LO N° 457 (25 sept 2011)
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LES MARCHÉS
— Je reviens du marché. Ils sont inquiets. Les patates sont en baisse, les topinambours en hausse, comme en 40.
— Emprunter est de plus en plus difficile : ni mon maraîcher ni mon boucher ne veulent me prêter courgettes ou biftek… Le confiance se perd.
— Les investisseurs ne jouent plus le jeu, tout le monde cherche à vendre. C'est bien un signe.
— Chez le pharmacien, c'est pareil : il essaie de refiler ses produits toxiques comme un vulgaire banquier.
— Ou un négochiant en engrais chimiques.
— Moi, c'est du côté de la zone uro que j'ai des pertes de liquidités.
— Le tout, c'est de garder ses fonds propres.
— Mais regardez : la pub nutella conseille, dans un style très nutritionniste, de prendre au petit déjeuner (outre le nutella, bien sûr) un jus de fruit et un verre de lait. Essayez, pour voir si vous garderez des fonds propres, après ça.
— C'est sûr qu'y a de la prise de risque, là, question de laisser filer les déficits.
— Mais mon bas de laine sous le matelas me le disait encore ce matin : il est pas rassuré, lui non plus. Ses garanties de dépôts ne sont pas assurées. On a siphonné les réserves.
— La situation se dégrade. La dette est en crise.
— Moi c'est ma cadette. L'agence a encore dégradé sa note sur l'échelle de Richto.
— Faut prendre des mesures d'hostilité.
— CHALUT ! Aujourdhui, c'est la saint Phynance ! Bonne fête à tous les caca-rente ! Gluon du Glouvernement, qu'en plensez-vous ? (Y'a qu'une télééé, c'est téléchat !… Merci Topor !)
— Oh, moi… Du moment que j'ai mes valises de billets provenance a-fric, bananes et chocolat, pas de problème. J'émets des réserves dans tous les tiroirs de l'élysée, sous tous les lits. Mon petit aura des couches-culottes en billets verts (numéros qui ne se suivent pas, SVP).
Alors, on se décide à les taxer, ces transaction financières ?
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LIBERTÉ CHÉRIE
Libéralisme (la démocratie) et libéralisme économique font la paire, ou vont de pair.
On peut croire (ou on a pu croire) au pouvoir émancipateur de l'économie de marché. Elle est fondée sur la liberté, et la liberté c'est forcément bien, non ? C'est la base de la démocratie. Liberté de produire ce qu'on veut (quantité et qualité), de vendre, d'acheter, d'utiliser, de consommer.
Mais si on produit de la merde ? Personne n'est obligé de l'acheter (dit le producteur). Le consommateur est libre, lui aussi.
Ah bon ?
Ramenons le terme "consommateur" à son origine : j'ai un besoin ou un désir à satisfaire, que je ne peux pas satisfaire directement par moi-même (des bananes, du chocolat), qui suppose donc un achat. Le consommateur est captif : il a faim, il doit acheter. Et il n'a pas forcément le choix de ce qu'il achète et où il l'achète. Dans une banlieue où il n'y a qu'un super-marché et pas (ou plus) de marché en plein air du dimanche matin ni de petite épicerie de quartier, le consommateur (client potentiel) n'a pas le choix. Du coup, la grande surface peut vendre ce qu'elle veut, de la qualité qu'elle veut, au prix qu'elle veut (jusqu'à un certain point).
Où est la liberté du client ?
Et donc, c'est con, mais il se trouve que la merde a du succès. Est-ce à dire que "les gens" ont mauvais goût. "On", "les gens", "le consommateur", "les Français", "la population", "le peuple", "le public", "l'anonyme" homme de la rue qui répond au micro-crottoir…
Il faut évaluer, déjà, les ravages du conditionnement publicitaire sur son cerveau reptilien. Pavlov ! Ici ! Couché ! Création de "besoins", créations de réponse réflexes à telle ou telle sollicitation.
Exemple capté dans la presse (britannique) : un patron de presse (Murdoch) choisit d'imprimer (grâce à la liberté libérale) de la merde dans ses journaux. Ben oui… C'est légal. Il a le droit d'imprimer de la merde (ragots, dénonciations, paparazzi people, etc.). – et ça marche. Politiquement et éthiquement, il a tort : voilà donc ce qu'il fait de cette magnifique liberté que lui offre la démocratie libérale ! Mais commercialement, il s'est avéré qu'il avait raison quand les ventes de News of the World ou de The Sun ont dépassé celles du Daily Morror ou du Guardian. "Le public" aime donc cette merde, aime donc la merde ? Le public, oui, soutient ses journaux, pas avec des pétitions ou des manifs, il les soutient en les achetant – vérité statistico-commerciale – comme il soutient mcdo, coca ou lavachequirit.
L'une des perversions du système démocratico-libéraliste est que, par définition, la majorité ("le public") a raison. Mais cette définition ne définit en fait que le populisme au pire sens du terme.
La majorité, non, n'a pas forcément raison, mais elle gagne – ce qui ne veut pas dire la même chose.
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Question liberté toujours, la libéralisation du crédit a par exemple permis à beaucoup d'accéder à la propriété et, via l'actionnariat (parce que acheter des actions, c'est prêter de l'argent à une entreprise) a permis de créer ou développer bien des entreprises. Ceci non sans illusions : ou bien tu économises pendant des années puis tu t'achète ta maison ou ta voiture et elle est vraiment à toi. Mais ça, c'est vraiment rétro ! Ou bien, confiant dans l'avenir (le tien, celui de ta boîte, celui de ton pays, celui de l'économie mondiale) tu vas avoir ta maison, ou profiter d'une voiture sans l'avoir encore payée, et en croyant que c'est à toi : illusion. Argent facile. Marketing provoquant. C'est le principe même du crédit : tout tout de suite, profitez-en maintenant, payez plus tard.
Et le pire : au delà des crédits d'investissement (actions, maisons, voiture), les crédits à la consommation, c'est-à-dire qui permettent d'acheter des choses vouées à disparaître, consommées, consumées, avant même d'être finies de payer. Il faut sans doute être très costaud psychologiquement pour jouer de ce système sans se laisser embarquer. La quantité de surendettés semble indiquer que, non, nous ne sommes pas forcément assez costauds pour résister. Pavlov, encore ! Va chercher ! Trop de chant des sirènes de séduction… Manque de sirènes d'alarme.
Et donc drame de la consumation de services et d'objets, gadgets jetables, inutiles voire nuisibles, destructeurs de soi, de son temps, de sa santé, de l'environnement, donc de l'avenir.
Et drame de l'actionnariat qui a perdu sa vocation d'investissement au bénéfice de la pure spéculation.
Nous arrivons à ce stade ou nous savons tout ça, nous le sentons, au moins. (Oui, même "les gens"… "on"… "le public"…) Et donc, oui, nous perdons confiance. Pas seulement dans notre banquier, mais dans notre boucher ou nos hommes politiques.
NOUS SOMMES DÉÇUS. Nous sommes déçus, parce que nous y avons cru. Parce que ça aurait pu, ou dû, durer toujours… comme une grande histoire d'amour. Nous sommes déçus par le libéralisme économique et, partant, par la démocratie, puisque l'un ne va pas sans l'autre. Nous sommes déçus quand nous voyons les méga bénéfices d'un total, d'une banque ou d'un tradeur – et qu'ils ne bénéficient qu'à lui. Nous sommes déçus quand nous voyons qu'un labo pharmaceutique, censé œuvrer pour la santé, exploite le système jusqu'au stade de l'escroquerie, y compris la mutualité de la sécu, bel effort de solidarité sociale. Nous sommes déçus, bien sûr, par les promesses et les espoirs, poires que nous sommes, générés par les hommes politiques.
Et donc, finalement, déçus par le libéralisme et par la démocratie, et même sans être de grands idéalistes, nous sommes déçus, au plus profond de notre être philosophique, par LA LIBERTÉ.
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Rien à voir : un dessin paru, parmi d'autres, dans le dernier Psikopat en vente partout.
Et par la même occasion, pour les amateurs de jazz, sur TNT France Ô ce soir : le meilleur de Miles Davis live in Montreux de 73 à 91.
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