samedi 31 mars 2018

ALONE ON MOON / 18

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Rottweilers mécaniques.
Ils sortent dans la ruée du ciel. Ils pleuvent comme un rapace, tout taggés. Ils ont empaillés leurs pneus, se sont bourré le casque de grenades incendiaires et les dégobillent à tout vent, ils pétrissent la poigne d'accélérateur comme une sœur masseuse en furie vous empoigne le quéquette. Ça vroome, ça craache-kalach, ça fuume et ça ne sait pas, comme des bébés qui sonnent la charge. Ils font des trous dans l'air et dans les couilles d'ozone. L'odeur de foutre, de foudre, de poudre et de sang brulé s'échappe de leur trou du pot, laissant sur le bitume un long sillage de boudin. (Crame le latex brut !) Ça puduku et les pots pètent, la fourche craque, la selle empeste.
Comme un vol d'Ostrogoths hors du bordel natal, barbares hurlants, ils foncent à décorner les bœufs, mangeant les moustiques avec leurs dents de marbre, rotant du méthane à bouche que veux-tu, rugissant comme des gares, emportant tout le vent sur leur passage. Un aigle leur marche sur le dos. Les vautours ramasseront les miettes.
Ils s'embrochent aux vertèbres des réverbères, déplacent les bornes, aplatissent les platanes, s'éclatent kamikazes, foncent dans le mur et défoncent les barricades mystérieuses. Les croque-morts décérébrés délibèrent en famille, mais les gros cubes rient : les icônes en cuir ne se lamentent pas. Le soir, ils vitupèrent comme une matière noire enflée. Puis ils s'endorment avec rage dans leur cambouis et rêvent des chaos entropiques.
(Il y a des filles tatouées qui passent dans leurs rétroviseurs. Certaines, et non des moindres, sont rousses – c'est troublant. Mais il n'y a pas de canapés sous l'autoroute violentée. Leurs chemins cauchemars mènent ailleurs, où des clowns hallucinés déballent des orages.)
•••
Ils prétextent la liberté, se disent "moto verte" et viennent jusque dans nos bois égorger nos vignes et nos drailles. Cambrioleurs cambrés, ils cabriolent sur les décombres puis décampent en caracolant. Derrière eux : écureuils mazoutés, lièvres incandescents, désert de steak tartare et gaz à effet de bière.
Finalement, baveux, gueules de fer, ils s'éclipseront à toute voile. Rentrez chez vous, grosmonautes !
Mais le mal est fait. S'ils reviennent, on sortira les chiens de troupeau, les taureaux bramant, les vachettes enragées et les sept mercenaires. On entubera leurs tubulures, on bridera leurs abattis (au sens péjoratif), on leur coupera les rotules en quatre, on leur écrasera le champignon, on grabugera leurs engrenages, on pendra leur boite de vitesses entre le marteau et la faucille.
Pour en finir, on les parachutera sur Mars, terre délétère. Ils y glisseront le temps. Ils iront par les chemins préhistoriques étendre leurs chemises. Ils feront le dernier Dakar avec les robots de la Nasa.
Je ne m'atermoierai pas sur leur sort.


lundi 26 mars 2018

ALONE ON MOON / 17


Après une interruption du son et de l'image de pas loin d'un mois due aux encâblures campagnardes de madame Orange, les petits dédales 'pataphysiques reprennent leur cours, toujours en direct de la Lune.
Danse du ventre la fenêtre.
Si on ouvre son lit, si on retourne le matelas, sur le sommier on trouvera le sang, comme une conférence pour les oiseux. Le cirque avare est passé par là, avec ses ouailles et ses cochons rectangulaires. Ses chasseurs sauvages. La magie des rempailleurs de poules agit-elle encore, au matin frais ?
La lande est inventée, la rivière est de feu, des vagues teintées d'or dessinent des arabesques. On va secouer les nuages pour qu'il en tombe des plumes.
Papillon noir en exil, je m'avance dans l'allée du château. Tout est éclats de tubercules, tout miroite. Après avoir traversé prudemment la zone des caméras sourcilleuses, je frappe à la porte, à tout hasard. Elle s'ouvre à deux battants. La fée Caramelle m'accueille avec ses poils de sorcière sur le nez. Son corps de mante encadre encore la lande inventée. Elle piétine la rivière de feu de ses talons de fer, elle méprise les arabesques dessinées par les vagues teintées d'or. Elle a le monopole de la force.
— Tu n'as pas la moindre idée d'où tu mets les pieds, petit homme. Tu as voulu jouer avec les loups, vilain petit lapin. Ici sont les démons sur canapé, fanfaron, et les loups portant chapeau haut-de-forme. L'indifférence est leur arme. Ils te suceront la cervelle par les trous de nez.
Perclu par la voracité des faits, je ne peux qu'acquiescer. Elle continue, frémissante d'ordre :
— Pour éliminer les garous, il faut des balles d'argent, le sais-tu seulement ?
— Oui, mais cela coute les yeux de la veille – et la cervelle.
La fée pince les lèvres, lisse sa moustache et regarde le plafond.
— Vraiment bizarre, imprécate-t-elle une dernière fois, la carne au cœur de cuir, à l'œil de cuivre, aux œreilles de reine égarée. (Mais pourquoi tous ces e dans l'o ?)
Crapuleux est le sens ; orthogonal est le vide ; fière d'elle l'absence.
Et puis finalement le cahier se referme, claqué crispé sur sa reliure, le bic n'a plus d'encre et je voilier dérive, bredouille. La radio chante au féminin portuguesh des ères de bosse neuve (toujours ces vagues teintées d'or dessinent des arabesques). Il n'en faut pas plus pour que les fourmis croondent, que les abeilles bêlent et que rient les godons.
C'est pas pour me vanter mais tant de choses peuvent arriver.
A priori, on compte que tout se passe "normalement", c'est-à-dire en fait selon nos désirs et nos projets. Et puis voilà qu'il y a des aléas, des imprévus, des vicissitudes : l'adversité universelle. C'est comme si la réalité nous trahissait. Frustration. Colère. Et les questions fusent, accompagnées de la sagesse des nations :
— Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ?
— Ça devait arriver.
— À chacun son tour.
— Mais pourquoi donc y a-t-il ?!
— Que voulez-vous que je vous dise…?
— On tombe de sommeil en syllabe.
— On ne s'explique pas que.
— Non, mais on n'a pas le choix.
— Reste la musique, peut-être…?
— Oui, bien sûr… Ça console.