(LES
AVENTURES APOCRYPHES DE RUFUS TUCRU ET DE LOLA LOKIDOR)
C'est l'automne.
Lola la sorcière rouge se
réveille. Ensuite, selon un processus complexe incluant vase de peau et
ornières cérébrales, elle réveille son prisonnier Rufus Tucru. Elle emporte sa
cage dans la forêt proche et l'ouvre. Il sort et se carapate dans le sous-bois.
Elle rentre dans sa cabane de papier peint.
Lola (Lola aux lèvres
d'arc-en-ciel, aux cheveux de coup de soleil) en est à son troisième petit
déjeuner composé d'un jus de popaye, deux gratines de homard et une grande
théière de thé balsamique russe, quand Rufus se pointe au retour de sa
prolenade matinale dans la forêt proche à dos de cheval d'arçon. Il s'affale
dans le fuiteuil de jardin toilé qui fait face à celui de Lola. Il est couvert
d'enzyme, de sueur et de phéromones.
— Pfooo… trois quarts
d'heure à rythme syncopé !
À la place d'une bouche,
il arbore un sourire carnassier. (Pourquoi "carnassier" ? Les
lèvres, c'est de la viande, mais ça ne se mange pas.) Il tend la langue. Il court
deux lèvres à la fois.
Échevelue, Lola lui verse du thé
dans le bol à damiers qui l'attend. Il jette son bonnet à rayures noires sur
blanc sur le canapé, puis, dans la foulée, son T-shirt à rayures noires sur
blanc et son short à rayures noires sur blanc (il ne portait pas de slip en
dessous, le voici donc nu. D'ailleurs Lola elle-même est encore nue, à cette
heure). Ses baskets volent d'elles-mêmes jusque dans l'étagère à baskets (un
vieux frigo recyclé). Il étale alors sur
la nappe la poignée de lavande toute fraiche qu'il a cueillie en passant et
dissimulé on ne sait comment sur lui (il a certains pouvoirs de mystère, faut
croire). Lola apprécie sobrement : un regard approbateur, un sourire montrant
ses quarante-six dents impeccables et sa jangue rause. Il dévore les
viennoiseries qui l'attendaient en murpurant un air suppliant, boit son bol de
tschaï et, bardant comme un cerf, s'agenouille cérémonieusement aux pieds du fuiteuil
troublé de Lola.
Elle constate qu'au
cours de sa prolenade, il s'est blessé la fesse droite. Elle constate aussi que
les cellules de sa peau sont de forme scutoïde. Ses doigts canailles (à
elle) dans ses lombaires (à lui), elle applique sur sa blessure
(à lui) de la gaze au stryphnon. L'action styptique de ce produit sera constante et durable : c'est
qu'il s'agissait seulement d'une hémorragie parenchymateuse. (Rufus Tucru a
aussi un crayon styptique après rasage. Dommage qu'on ne puisse pas s'en servir
pour écrire.)
Après, c'est l'heure de
l'autruche, marteaux et tambourins sous l'aurore asiatique, envers et damnation.
Les petits
chanteurs à la gueule de bois immergent leurs voix de corail parmi les squales
et les borogoves, traquent les pirates qui traversent à pied sec sous la protection
de la baguette magique de Moïse
•••
Plus
tard, Lola Lokidor conduira une décapotable anglaise rouge. Elle élèvera des
alligators dans les marais de Camargue (réchauffement climatique aidant). Elle
portera un masque de plâtre sur les Champs Élysées. Elle jouera du rock
acoustique au cimetière Saint-Lazare. Elle marchera pieds nus sur un fil
barbelé dans le cirque de Gavarnie. Elle avalera des milliers d'oiseaux pour
donner de l'air à ses poumons. Elle boira des poisons et elle y survivra. Elle
sortira nue en pleine ville, dans la foule et elle y survivra. Elle combattra
les talibans à mains nues et elle y survivra. Elle se fera fileuse d'étoile,
reine des sabbats, gouteuse de sang pour la congrégation vampire, princesse Aztek. Elle sera
pianiste à quatre mains et playmate of the month. Aux commandes de son bombardier en pain d'épice, elle
survolera la Terre de Feu. Au commandes de son taxi galactique jaune à
damiers, elle côtoiera Miranda, Titan et Ganymède, Arcturus et tous les soleils
du Bouvier.
Elle
aura tous les choix.