LO 479 (8
mai 2012)
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Evidemment,
il a fallu que je tombe sur un autre article "dans la lignée des
précédents" : "Aux sources morales de l'austérité", Mona
Chollet, Le Monde Diplomatique de mars 2012.
"Dans la
lignée", parce qu'elle va elle aussi chercher dans la religion les sources
du capitalisme et de l'état de crise actuel.
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SACRIFICE
« Rigueur,
austérité, efforts, sacrifices, discipline, règles strictes, mesures douloureuses…
à force d'assiéger nos oreilles de ses fortes connotations moralisatrices, le
vocabulaire de la crise finit par intriguer », commence-t-elle. Et elle relève ainsi nombre d'usages de ces termes
christiano-moralisants dans le parler politico-économique de l'Europe en crise
financière. Nous aurions à payer pour les péchés de ces dix dernières années,
nous serions punis pour des années de folie dépensière, d'imprévoyance. (Moi
qui disais dans une LO précédente, via Walter Benjamin et Giorgio Agamben, que
le capitalisme ne pratiquait pas l'expiation… et qui évoquerai bientôt la problématique du sacrifice pour la gauche…) Le schéma se dessine ainsi :
en se permettant des années d'hédonisme, de paresse, d'insouciance (la cigale
de la fable), nous nous sommes attiré une juste punition divine, les foudres de
Zeus, ou plutôt les fléaux bibliques… Il nous faut faire acte de
contrition et expier. Se serrer la ceinture, en revenir aux vertus
traditionnelles, l'épargne, la frugalité. Pétain déjà entendait substituer
"l'esprit de sacrifice" à "l'esprit de jouissance".
…Mais enfin,
si nous avons bel et bien emprunté et dépensé pour des conneries, nous avons
aussi espéré bien nous nourrir, bien nous soigner, payer pour une bonne éducation…
Et quand on voit le nombre de gens qui, dans cette même période, ont été mal
nourris, mal soignés, mal éduqués, on se dit "mais que s'est-il passé,
sommes nous si coupables, n'avons nous été que des consommateurs crétins et
imprévoyants ?"
… Et puis les
"cures de patate" (Danemark) ou la destruction de tous les services
publics, baisse des salaires, des retraites, etc. (Portugal, Grèce, Espagne) se
traduisent par explosion du chômage, pertes de logements, « un sociocide
pur et simple »…
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APRÈS LA
DETTE, LA DIÈTE (dite aussi "cure
d'austérité")
… Ça se sait
maintenant, même en hauts lieux européens, que la cure en question est en train
de tuer le malade, et pourtant les appels à la contrition continuent, l'invitation au labeur, à l'abnégation, à la mortification. Ils
servent évidemment les intérêts des dominants : il s'agit d'en finir une
bonne fois avec les acquis sociaux de l'après-guerre. Mais au delà du cynisme
bien connu, et à cause du vocabulaire employé, de la passion punitive qui semble animer les donneurs de leçons, on en
vient à penser qu'il y a autre chose en dessous : une sorte de terreur
superstitieuse face aux revendications du peuple à vivre bien… comme un vieux
substrat culturel judéo-chrétien et plus précisément protestant réformiste qui
s'exprime. Il ressort une sorte de "jubilation morbide" de ces appels
au sacrifice, à la "purification", un peu comme on disait parfois
"il leur faudrait une bonne guerre". Pétain, encore lui, disait aussi
que « depuis Adam, le châtiment est un appel au relèvement, une
promesse de régénération. » De
nouveaux imprécateurs appellent au repentir : la fin est là, vêtez vous de
sacs, couvrez-vous la tête de cendre, vous l'avez bien mérité. « Le châtiment,
le châtiment ! » comme clamait le prophète Philippulus dans Tintin,
"L'Étoile mystérieuse".
Face à ce tir
de barrage de la morale expiatoire, la réponse des indignés semble bien timide, comme si, quelque part, il y
avait une résignation, comme si, sourdement, on se disait que oui, "on l'a
bien mérité".
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L'ORIGINE
DU MAL
Selon Max
Weber (1905) l'éthique protestante (puritaine) a contribué à mettre en selle le
capitalisme en façonnant un "esprit" favorable, esprit qui perdure
hors de tout référent religieux, bien incrusté dans la mentalité collective
d'Europe du nord et des USA. Dans le catholicisme, l'ascèse restait confinée
dans les couvents. Avec le protestantisme, elle en est sortie : « Soumettant
chaque aspect de leur vie à une discipline stricte, les fidèles investirent
toute leur énergie dans le travail, quêtant dans le succès économique un signe
de leur salut. La fortune cessa alors d'être condamnable – bien au
contraire. Seul le fait d'en jouir était répréhensible. » Le "devoir professionnel" prolonge et
remplace les croyances d'autrefois, secrètement. Le travail devient une fin en
soi, une valeur, une vocation – le mérite à la clef. Et réciproquement, la
paresse, profiter de la vie, perdre son temps… sont péchés damnables.
Comme disait
je ne sais plus qui, « La religion est comme un vieux chewing-gum. Même
si vous n'en voulez plus, elle se colle sous vos semelles. »
Laïcisons nos
esprits.
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