« Les Boschimans flairent de loin l'arrivée de
personnes qu'ils ne peuvent ni voir ni entendre. Ils ont aussi un sentiment qui
leur dit l'approche du gibier, et ils décrivent par quels signes leur propre
corps fait reconnaitre cette approche. »
Exemple : « Il me semble que mon père approche,
je sens la place de son corps où est sa vieille blessure. » Cette
blessure est en quelque sorte "la caractéristique" de son père. Quand
l'homme pense à son père, il pense à sa blessure, ou il a l'image de cette
blessure comme superposée dans ses pensées à l'image de son père. Et surtout il
la ressent dans son propre corps.
Autre exemple : Une
femme sort pour quelque longue course avec son enfant attaché à son épaule par
une courroie. Son mari reste seul. Plus tard, voilà qu'il sent la courroie de
sa femme sur sa propre épaule. Il sait alors que sa femme revient.
Autre : Par une sensation
aux pieds, les pieds qui "bruissent dans l'herbe" (mais sans que ce
soit auditif), le Boschiman sent l'approche des antilopes. Il a aussi une
sensation au visage, reproduisant le tracé de la rayure noire qui est sur le
museau de l'antilope. Un autre sent dans ses propres mollets le sang de
l'antilope qu'il portera quand il l'aura tuée.
Etc.
Évidemment, nous ne sommes
pas (plus) des Boschimans, mais peut-être avons-nous parfois de ces
pressentiments ou intuitions où l'imagination se joint à l'empathie, et
peut-être devrions-nous en tenir compte.
(D'après Elias Canetti
"Masse et puissance", Tel-Gallimard, 1966, rééd. 2004. P 358 et sq.)
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