Georg Simmel est l'auteur
du concept de "série téléologique" : série d'actions enchainées vers
un but.
Téléologie (à ne pas confondre avec la théologie). Définition
usuelle : "l'étude des fins"... "Télos" traduit le
grec "fin", dans le sens de finalité,
but. Cela peut prendre l'aspect d'une doctrine philosophique selon laquelle
toute chose, toute forme a une finalité. Dans une définition plus moderne, on
parlera de :
"science des processus de finalisation ou comment, en
fonctionnant et en se transformant, et en se formant des représentations de
leurs comportements (informés, et par là, informant), les systèmes élaborent en
permanence leurs propres processus de finalisation." Formule assez
abstruse, certes, mais il faut dire que là, on entre dans le domaine de la
complexité, l'étude des systèmes, l'information, la cybernétique… Je n'irai pas
plus loin, sauf pour citer J. Ladrière : « C'est une téléologie qui se construit. Il n'y a pas un télos
posé à l'avance, il y a comme un processus d'apprentissage à la faveur duquel
une démarche d'abord tâtonnante réussit à dessiner de façon de plus en plus
précise son propre cheminement. Un processus interne d'auto
finalisation. »
Ce qui m'intéresse particulièrement, là, c'est
que ces finalités d'un système (individu, État, espèce…) ne sont pas forcément
conscientes, elles ne se confondent pas avec les buts consciemment et
volontairement définis par les acteurs du système en question. On pourra donc
parler d'un finalisme aveugle, même
si ça semble paradoxal…)
Un État est un groupe humain survivant aux décès successifs de ses
membres et leur remplacement par des nouveaux, comme une espèce est un ensemble animal, humain ou végétal survivant aux
décès successifs de ses membres et leur remplacement par des nouveaux, comme un
individu est une entité survivant
aux décès successifs de ses cellules et leur remplacement par de nouvelles.
Aussi, il faut penser un État, une espèce ou un individu non comme des choses ou des états statiques, mais comme des processus s'étendant dans la durée,
formant "série téléologique".
À part que l'idée de but
(fin, finalité, projet, but conscient) n'est pas si évidente. Quel est le but d'un État, d'une espèce, d'un
individu ? Le but de la Vie, de la Nature ? Le but n'est-il pas
seulement : être et durer, c'est-à-dire exister le long du temps, persister –
sans fin… c'est-à-dire sans but ?
Sauf, chez les humains,
pour qui croit au divin, le but, la fin (aux deux sens, finalité et finitude)
c'est "l'après la mort" – paradis avec angelots à cul nu ou
11000 vierges…
Pour la civilisation de la même foi,
l'équivalent collectif à cette mort/paradis est l'apocalypse : la révélation de "l'après la fin du monde
terrestre" : parousie, Jérusalem céleste, point Oméga… (Ce qui
correspond à la téléologie vue par la philosophie spéculative classique :
cette fin, sous forme de cause finale,
est au-delà du connaissable, en Dieu.)
Sur un plan plus concret,
la nôtre civilisation est braquée sur l'idée de Progrès : ce n'est pas vraiment un but au sens de fin, rupture
et passage dans une autre réalité, mais on peut quand même parler de téléologie
dans le sens de tension vers un futur imaginé, projeté : toujours plus
beau toujours plus mieux, à l'infini. Une pure dynamique, en fait, tirée en
avant par une projection collective personnelle et impersonnelle plus ou moins
nette, un fantasme du mieux et du plus, et donc peut-être bien tout aussi
mystique et mythique que le précédent concept religieux avec arrière-monde à la
clef.
L'État est-il lui aussi établi dans cette tension vers le
mieux ? Pas sûr. Théoriquement, idéalement, oui… mais en réalité…? (Penser
à demander à un homme politique quel est le but de l'État…)
Quant à une espèce, il n'y a pour elle aucun
projet, aucun but, aucune fin. Cela dure, cela continue, se développe s'il y a
de la place, se restreint s'il y a un manque dans le contexte, disparait s'il y
a un gros manque, ou un gros trop… À part que l'évolution peut être vue comme
une série téléologique, un processus interne d'auto finalisation – non
conscient, impersonnel. Finalisme aveugle.
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