Michel Serres : « A défaut du sujet, je peux dire l'adjectif. »
On n'emploiera "je suis" que suivi d'un
définissant, d'un qualificatif : Je suis ceci ou cela. Comme ceci ou comme
cela. — Je suis un homme — je suis blond — je suis fatigué… par exemples et en
se rappelant toujours qu'il ne s'agit pas d'états fixes, absolus, mais
passagers.
Je suis "un homme" – lu en tant qu'être
humain, représentant de l'espèce humaine, l'humanité. (Petit problème
sémantique : quand je parle de l'humanité ou du genre humain, c'est pour
ne pas dire à tout bout de champ "l'Homme", cette généralisation
abusive, cette invention. Et quand je dis "un homme" ou "les
hommes", c'est un humain en général, mâle ou femelle, enfant ou vieux. Que
les chiennes de garde ne m'aboient pas aux fesses en me forçant à dire, comme
un quelconque homme politique « les hommes et les femmes » !)
Être "un homme", un humain, donc, c'est un
état durable (encore qu'un coma prolongé puisse faire douter de l'état
humain : on dit légume, alors, mais c'est faire injure aux légumes), un
état relativement durable mais pas fixe. "Homme en tant que mâle adulte",
oui, par exemple, mais j'ai été bébé, enfant, ado, et vieillard je deviens
(restant pourtant homme mâle encore, tant que je bande.)
De même, blond, je le fus, plus ou moins, et de moins
en moins…
De même pour "fatigué", parfois, et à durée
variable.
Une fois de plus : Ne jamais oublier le temps. L'identité,
ce n'est que « ce qui demeure au
sein de ce qui devient. » (Raphaël Enthoven). Le soi se maintient dans
le temps, par mémoire et anticipation, et se reconnait soi-même comme soi, sur la longueur. Il y a une unité
narrative d'une vie.
MOI n'est pas. Je suis définissable comme ceci ou
cela, certes, mais à un moment – et
ça change. Un homme n'est pas un être,
mais un existant, un processus étalé
dans le temps et dans l'espace, une activité.
D'ailleurs bien des désignées "choses" sont en fait des processus. Tout,
même. Même un caillou a une naissance, une vie, une mort… disons plutôt un
début, une durée, une usure, une fin. La différence c'est que le caillou, sujet
à l'entropie, va vers une dégradation, une usure, alors que l'humain, et
l'espèce humaine, le vivant en général, évolutifs, fers de lance de la
néguentropie (ou syntropie) vont vers une complexification (du moins pour un
temps).
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