Mort interdite
Elle était comme ça, cette fille-là. Elle ne supportait pas
la moindre contrainte, le plus petit frein à sa liberté. Toute interdiction
générait, chez elle, un impérieux besoin de la transgresser. Prenez les panneaux
« sens interdit » par
exemple. A peine en apercevait-elle un que ses sens, titillés par la
signalétique, s’exacerbaient, prenaient leurs aises, s’autorisant, par
réaction, tous les débordements, tous les excès. En réponse à l’agression du
cercle rouge barré de blanc, sa chair délicate était saisie d’une frénésie dont la démesure la laissait
pantelante, en proie à une apothéose de sensations extrêmes. Les « Défense
d’entrer, d’afficher, de stationner, de piqueniquer sur l’herbe, d’uriner, de
cracher par terre, de déposer des ordures, de nourrir les pigeons, de jeter des
tampons dans les WC, etc, » lui
faisaient le même effet, de sorte que l’essentiel de ses activités, dans les
zones « protégées », sur les relais d’autoroute et aux abords des
supermarchés, consistait à déverrouiller des portails blindés, à tracer des
graffitis sur des murs vierges, à boucher les chiottes, à distribuer du maïs à
la volée, à encombrer les couloirs d’autobus et à bloquer les entrées de garages.
Bref, elle déployait une activité débordante — mais somme toute assez peu
constructive — pour contrer l’agaçante
propension de ses semblables à empêcher autrui de jouir de son libre arbitre dans
l’espace collectif.
C’est en traversant en-dehors des clous qu’un beau matin, elle
fut fauchée par un camion. Transportée d’urgence à l’hôpital, elle sombrait
dans le coma quand l’ange de la mort lui apparut, portant, sur son T-shirt
céleste cette inscription : « Défense
de vivre », dans un grand cercle d’or barré d’argent.
Dans un ultime réflexe, elle lui cracha dessus. Ainsi
devint-elle immortelle.
Gudule
4 commentaires:
Parfois, ce serait bien de croire en quelque chose, un au-delà, un autre monde...
Beau dessin, beau texte, triste nouvelle.
Beau choix.
Je me souviens quand Gudule a écrit cette histoire. On en a beaucoup parlé, la fin ne la satisfaisait jamais assez. On s'est bien marrés, quoi.
Superbe dessin, Philippe.
Par contre, je ne me souviens pas où elle a été publiée. Pas dans les "contes à vomir debout"... Peut-être un Psikopat ?
A Castor. Je ne sais pas : il me semble qu'elle était inédite. Elle est arrivée chez Armada après les Contes à vomir et Jérôme Baud va la sortir en carte postale 2 volets, comme un bonus au bouquin (comme L'histoire de potes, qui, elle, est dans le bouquin) (Bouquin qui est enfin prévu pour la fin de ce mois de septembre. On devrait l'avoir pour les Aventuriales à Ménétrol (63200) les 26-27 sept. )
Enregistrer un commentaire