• La guerre, normalement, laisse entrevoir une fin, la possibilité d'une
victoire ou d'une défaite. La guerre concrétise une situation, l'explicite,
permet une lucidité : on a peur, mais la peur connait son objet réel. La terreur, par contre, est sans début ni
fin. Quand l'objet est fluide, invisible et omniprésent, c'est l'angoisse qui
domine.
Pendant
l'occupation, le résistants français étaient
qualifiés de terroristes par
l'occupant et les collabos. Mais lancer une bombe sur un convoi militaire
allemand en criant « Vive la France ! », ça n'a rien à voir avec
le terrorisme islamiste international actuel. Les tueurs du vendredi 13 ne sont
pas, que je sache, les résistants
d'un pays occupé. Ce ne sont pas non
plus exactement des agresseurs venus
d'ailleurs, comme une cinquième colonne vouée au sabotage. Ça y ressemble
un peu, si ? quand même ? non…? Oui, mais… Succession de définitions
et de non-définitions ponctuées de "oui peut-être", "mais non
peut-être," "ou bien…?" qui aboutissent à l'idée que rien n'est
simple, tout se complique = quelque chose comme le chaos.
•
Histoire de confirmer qu'il s'agit d'une "guerre civile mondiale" (le pape parle d'une
"guerre par morceaux"… oui… et qui laisse des gens en morceaux…), on
peut examiner le calendrier de ce mois de janvier :
Valence : attaque automobile contre les soldats en
faction devant la mosquée.
Tel Aviv : attaque à une terrasse de café.
Cologne : agressions sexuelles de masse.
Paris, La Goutte d'Or : attaque d'un commissariat
avec couteau et ceinture d'explosif factice (!)
Marseille : un lycéen attaque un prof juif à
la machette en se revendiquant du Califat.
Jakarta : attentats.
Istanbul : attentat.
Ouagadougou : attentats.
Quant à la Libye………
Et j'en oublie surement tout un
tas : je ne cite que ce qui sort aux infos les plus courantes.
On peut aussi appeler ça
"chaos planétaire", comme le fait Willem dans Charlie Hebdo.
• Ce
qui entraine, "dans l'intérêt de la raison", la nécessité de trier. Pour ça il faut soit enculer les
mouches coupées en quatre, soit inventer des mots nouveaux, soit tourner autour
du sujet en spirale, c'est-à-dire en prenant successivement différentes
grilles, différents point-de-vue, et surtout, après avoir affirmé un
point-de-vue, examiner son inversion. (Ça donne par exemple ces inversions :
le politique qui instrumentalise la religion ? ou la religion qui
instrumentalise le politique (les deux !), comme : la radicalisation
de l'islam ? ou l'islamisation de la radicalité – formule venant de
Olivier Roy – ? Les deux !)
Soit
encore trancher, c'est-à-dire
simplifier en récupérant un vocabulaire peut-être brutal mais clair : –
C'est une guerre. – Celui-là est notre ennemi. – Il faut l'exterminer. – Notre
civilisation mérite d'être défendue, etc. Partant, retrouver une puissance (un
potentiel d'action). Ça, c'est plutôt le problème des hommes politiques, qui
ont effectivement à agir.
•
Entretemps, je suis tombé sur un article de Médiapart qui rend compte de trois
bouquins sur le sujet des djihadistes et de leurs motivations.
-
"Les Nouveaux somnambules" de Nicolas Grimaldi, qui évoque non pas
des motivations mais "un rêve"… des gens envoutés dans une fiction (fable, chimère, hallucination…)
mais dont les actes – problème ! – s'inscrivent bel et bien dans la réalité. J'aime assez cette vision des
choses, qui correspond à l'idée de secte, de gens sous emprise, comme
"possédés"…
-
"Tueries" de Franco "Bifo" Berardi, qui, lui, évoque les
différentes tueries de masse dans la monde, aussi bien les américaines de
campus que la bande à Baader et les islamistes. Derrière toutes, une seule
cause profonde : le "capitalisme absolu" comme apocalypse. Ce
qui m'apparait comme une de ces simplifications idéologiques auxquelles je me
refuse.
-
"Les Enfants du Chaos", d'Alain Bertho, anthropologue. Au delà des
"passages à l'acte" individuels, voir le sens collectif :
historique, politique, culturel. Lui aussi évoque l'idée d'islamisation de la radicalité,
ou comment les échecs des revendications sociales, l'espèce d'impuissance qui
nous étreint face au ventre mou du monde politique, entrainent un passage à la
violence terroriste, laquelle trouve un cadre favorable dans l'islamisme… Mais
je dirais, aussi bien, entrainent le vote FN, autre radicalité.
Des
trois (que je n'ai pas lus), il me semble quand même ressortir l'idée globale
du nihilisme. Le projet terroriste a toujours une part suicidaire qui
s'idéalise dans une fiction, une métaphysique eschatologique : il est plus
facile d'imaginer la fin du monde que la fin de ce chaos civilisationnel que
nous ressentons (nous tous, pas seulement les djeuns' plus ou moins musulmans),
donc la demande d'une "conversion" (dans le sens de metanoïa), d'une apocalypse dans son vrai sens de révélation, d'une "fin de l'histoire", avec la mort
hallucinée comme libération, accès au paradis, à la cité céleste. (Ou à l'enfer
sur Terre… J'entendais il y a peu un reportage radio sur un collège et ce que
lisent les adolescents en SF : du post-apo…)
(Pour les mots
bizarres, comme eschatologie, pas de
panique, c'est pas un
gros mot, mais l'étude du thème de la fin
des temps. Et la metanoïa, c'est
l'idée d'une mutation accompagnée d’une renaissance, au point d’aboutir à une
inversion des valeurs, une transmutation. Ça peut concerner l'individu
(conversion religieuse ou dé-conversion : apostasie) ou un groupe, une société.
On parle aussi de "changement de paradigme".)
à suivre
5 commentaires:
Belle analyse, cher Philippe. Les Enfants du Chaos me semble poser une hypothèse plausible. Quoique le terme chaos soit exagéré et catastrophiste à l'échelle de la planète. Il est volontairement utilisé par les deux parties en guerre, car elles ont un intérêt commun: autant les cellules terroristes (100000 combattants, c'est peu pour une armée mondiale) que les gouvernements tirent profit de la terreur des populations, ça fait marcher le business des armes, ça justifie l'état d'urgence, ça permet aux oligarchies capitalistes de se draper dans le manteau vertueux de la démocratie, ça donne à des individus insipides le costume glorieux du martyr, comme des assassins qui tuent pour avoir leur nom dans le journal.
Donc il ne s'agirait pas de Chaos. Mais plutôt de la lutte récurrente entre une vision binaire et une vision polymorphe, multiple du monde. On oppose religion et athéisme. Cela me semble à nouveau réducteur, simpliste, binaire. Les religions monothéistes, pensée binaire - le bien, le mal, le divin, le matériel, l'esprit, le corps, etc. - sont organisées sur le mode fasciste, une multitude reliée individuellement à Un Dieu, donc un faisceau. On retourne aujourd'hui après deux millénaires de domination monothéiste à une conception polythéiste ou polymorphe et nous assistons aux soubresauts désespérés de résistance de la pensée manichéenne. Enfin, on peut l'espérer, restons positifs... Amitiés. François
Ah bon, l'eschatologie c'est pas l'étude du caca ?
Non, celui-la je le connaissais, mais "metanoïa", j'avoue que j'ai cru que c'était un album de Jodorowski !:)
Comme je n'ai pas trop de temps en ce moment pour lire Charlie, je viens juste de finir le "numéro spécial" dont tu causais il y a peu. Un article que j'ai trouvé vraiment bien, ça m'étonne que tu ne l'aies pas cité, c'est celui de Taslima Nasreen. Ce qu'elle dit sur l'islam qui n'est pas une religion de paix, on ne l'entend pas beaucoup.
En parlant de ce que lisent les ados, as-tu lu "Le chaos en marche" de Todd Hewitt ?
Trois livres excellents, ( premier tome "la voix du couteau"), c'est de la bonne SF et ça démontre les mécanisme de la guerre, du totalitarisme, de la manipulation...
Ouais, Wens, je l'ai citée très rapidement ds la page du 16 janvier : "Taslima Nasreen… qui sait de quoi elle parle…" sans insister pour ne pas passer pour un gros vilain -phobe. (En fait, je suis seulement tueursphobe). Mais je suis totalement d'accord avec, au point que je ne peux pas en sortir de citation : il faudrait recopier tout l'article !
Sinon, non, je n'ai pas lu Hewitt… C'est un peu comme les films avec la fille qui tire à l'arc ?
François, je crois que je vais retenir, voire recopier quelques bons morceaux de ton commentaire !
"Le chaos en marche", ça n'a rien à voir du tout avec les Hunger games de "la fille qui tire à l'arc", ( principal attrait des films : l'actrice Jennifer Lawrence, ça marche les deux premiers épisodes, ce petit air de révolution est rafraîchissant, mais la fin est une catastrophe comme seuls les américains sont capables d'en réaliser : faire ça avec tout ce fric, quelle misère ! ) Hewitt, c'est mille fois mieux, mais il est difficile de donner envie de le lire sans en dire trop, il y a plein de surprises ( contrairement aux Hunger games dont la fin est cousue de fil blanc ), ça fait penser à K.Dick, c'est violent et méchant par moment mais tout est là pour quelque chose.
Ça se passe sur une autre planète, avec des colons, c'est une ambiance un peu à la Jérémiah de Hermann, sans le côté post-apocalypse, pas de grande technologie, des pionniers confrontés aux mystères de cette planète et à eux même. C'est très habilement écrit.
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