(La vérité n'a que peu à voir avec l'histoire, mais une
fiction n'est pas un mensonge.)
Carnet de
bal.
Le crabe sous hypnose, marchant du côté de chez Swann
rencontra Marcel réincarné en cinéaste. À l'ombre des jeunes fils de fer, les
enfants de Paris faisaient la queue d'atmosphère devant les portes de l'ennui.
Les héritages, parfois,
sont pénibles : comment se partager une boite à musique, un carton à dessin, un
balai de chiottes, un fusil à lunette, un entrechat ? Et les coffres
pleins de mots ?
Don Juan est malade – souviens-toi !
Il est au bar, noir, noir démon, trafiquant
d'étrange, avec une Amazone aux pieds bleus. Le zinc est incandescent et les
tortures pleuvent par entrechats. Le monde a un son d'orgue Hammond orgueilleuse,
les lumières tamisent des cocktails d'orangeades, amers comme un veau. Le
barman, désinvolte, a bien trois yeux, comme prévu.
Évitez les pluies acides et
les chutes de canards.
••••••••••••••
Trouble in Paradise
« Un
torrent surgi de son âme dévasta son subconscient… » Mais… Qu'est-ce que
je raconte, moi ?!
Rien. Everything is absolutely NORMAL.
La plage est désertée, ma
main aussi, la pluie s'écrase sur la nuit, le vent bouffle et je nage entre
deux comas. Je jette un œil vague sur la mer en contrebas. (La mer est toujours en contrebas.) Les tsunamis se
tiennent sages et les crabes attendent le déluge. (Ils sont si naïfs, les
crabes.) Le sable est bleu comme un enfant. Au loin, Charybde oscille dans la
brume hydrophile, les sirènes chantent, bien cachées, les poissons nagent entre
deux eaux. (Pourtant, il n'y a qu'une
eau, fluide habitant le monde dans toutes ses dimensions, à la forme de tous
les creux, de l'océan unique à l'atmosphère unique, et terres, ruisseaux,
rivières, lacs, glaciers, aventures souterraines, et jusqu'aux cuvettes de
chiottes et nos vessies.) Les vagues sont lourdes sur la mer, elles n'iront
nulle part – parce qu'il n'y a nulle part où aller : le monde est clos,
l'océan est unique, tout autour de la Terre qu'on pourrait faire ronde.
Nous pensons sans cesse par
début et fin. Nous pensons un fleuve de sa source à la mer, c'est une
approximation trompeuse. La source, déjà, est une vue de l'esprit cartographique
simplifiant : il y a la pluie, le ruissèlement, la rivière souterraine,
etc. Quant à "la mer"… ?
Dans l'embouchure ou le delta, où finit le fleuve, où commence la mer ?
(La carte, décidément, n'est pas le territoire.) L'eau du monde est un fluide
non fini, continu, comme l'espace, comme le temps. (Nous, dans un but
d'illusoire maitrise, nous adorons découper l'espace, le temps, les choses et
les êtres en tout petits morceaux, en miettes conventionnelles.)
Ravagé de virages de vagues,
je rentre à l'hôtel. Ne m'attendez pas.
Ceux qui, de retour à
l'état sauvage, pénètreront dans la mer salée n'en reviendront pas. Ceux qui,
aveuglés, pénètreront dans la caverne platonique n'en reviendront pas. Ceux
qui, pieds enflés, pénètreront dans la grotte vénusienne où la sphinge pose ses
énigmes n'en reviendront pas.
Moi, au bar, au son des
mandolines, je boirai du champagne rose avec une paille assez large pour
laisser passer toutes les bulles. Quelqu'un entrera me dire que le petit chat est
mort. C'est triste, mais heureusement, Gina Lollobrigida a un décolleté
généreux.
À qui nuit la beauté ?
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