(LES
AVENTURES APOCRYPHES DE RUFUS TUCRU ET DE LOLA LOKIDOR)
Extinction des feux à 10 h.
Rufus
Tucru dort –
dans le sens longitudinal du terme. A-t-il un cerveau ? J'ai souvent
l'impression d'un crane vide avec un papillon qui volète dedans.
Cauchemar. Il y a près de chez nous une basse terre nommée les bas de
Hurledent où vivent des sorcières-reptiles. Elles habitent des tombeaux et même
des sépulcres. Elles vivent dans l'ombre. Elle mangent l'obscurité qui sourd
des pierres brulantes. Elles boivent
dessus le sang de boucs noirs. Quand le sang noir coule, les âmes des morts
accourent de l'Érèbe. Elles conçoivent dans les étangs. La reptile-sorcière
femelle combat son mâle pendant quarante nuits avant de lui céder. Elles
enfantent en l'air. Je reste seul avec des oiseaux morts.
Il se réveille, il va
pisser.
Là, il s'appelle Jeepers Creepers. Une Emmanuelle noire a fait monter sa
fièvre. Il a chopé la gungunya d'azul, la maladie des larmes bleues. La tour de
contrôle ne contrôle plus rien, les dunes du nord sont débordées, la mer danse
avec le ciel amer, les digues ne tiendront pas.
Il se réveille, il va
pisser.
Puis il court parmi les iguanes à la poursuite du diamant vert. Celui-ci
court moins vite que Rufus, mais il est parti plus tôt. Et voilà que l'empereur
du nord l'arrête dans son élan. Il se fait psychiatre financier à Wall Street –
pas psychiatre ET financier, non, mais décrypteur de l'inconscient du monde de
la finance, traders, fonds de pension, etc. Y a du boulot. (C'est ça ou les
crocodiles.) Sa secrétaire se nomme Lola Lokidor. Elle est rousse.
Rufus Tucru, à son réveil,
est confondu. En s'habillant trop vite, il met son pull de travers d'un quart
de tour. Il se retrouve avec une manche vide qui pend par devant, une autre qui
pend dans le dos, et les deux bras coincés contre les côtes. Sa zone de
confusion le rétrécit. En plus, il a les nougats qui collent au plancher.
< Au secours >, pense-t-il tout bas. Il sent sa bouche rugueuse.
Lola vient à son aide, le
délivre de son pull, lui masse les gencives, les oreilles et les orteils à
l'akiléine.
Puis
il lui raconte ses rêves de la nuit. Les rêves de la nuit sont la mise-à-jour automatique
du système.
—
… À mon réveil, tu affichais un angéluRs sur ton visage. Je me suis demandé un
moment ce que faisait ce R avant l's d'angélus, puis, bizarrement, je me suis
rendormi (alors que j'avais déjà mis mes lunettes). On ne change pas d'avis au
beau milieu d'un rêve, ou alors j'aurais dû faire psychiatre industriel.
Beaucoup plus tard, je me demandais ce que ça pouvait bien vouloir dire
"afficher un angélus sur son visage", avec ou sans R. Un air angélique,
mais russe ?
(Rufus ne se rendait pas compte qu'il aurait peut-être eu besoin d'un
petit coup de psychanalyse sémantique et orthographique.)
Rufus proteste : —
J'en ai marre de cette voix off de l'auteur qui se permet d'intervenir à tout
bout de champ. Il met ses commentaires entre parenthèses histoire de se
protéger, ou en italique pour se faire remarquer discrètement, parfois les
deux, mais au final, qu'est-ce qu'il se permet, ce con ?
— Je devrais m'exercer à
chasser les sorcières, ajoute-t-il sans se demander si ça a quelque chose à
voir. (Il est encore dans la confusion matutinale.)
— Il y en a beaucoup, dans
ton coin ? s'enquiert Lola.
— Il y a un nid sous mon
lit.
— Si ce n'est que ça, tu
n'as qu'à scier les pieds de ton lit.
— Je l'ai fait, mais elles
sont toujours là, toutes plates, en papier glacé… mais quand elles sortent de
dessous, elles ne sont plus plates du tout, elles ont des trucs ronds sur la poitrine,
elles n'ont pas d'habits…
— Ça s'appelle des photos
cochonnes… Lui… Playboy… c'est pas des
sorcières.
— Mais… Elles
m'ensorcèlent, elles m'envoutent… comment je peux m'en débarrasser ?
— Je vais te montrer.
Lola, affichant un R
angélique mais russe, déboutonne son chemisier, puis dégrafe son soutif. Ses
seins de grâce se dépoyyent aux yeux de Rufus.
Il sera à jamais
prisonnier des sorcières.
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