… parfois ils mordent – comme la mer.
Je rampais sur la plage de galets, "concentré
sur la nécessité de conserver intact mon fond de carter" (comme disait un
personnage de Keith Roberts. ["Les Turbines Géantes", Fiction N°284,
1977] ; en le lisant, je me suis interrogé un moment sur le sens de
l'expression "conserver intact mon fond de carter", jusqu'à ce que je
comprenne que le personnage en question – le
narrateur – roulait en voiture – une Midget – sur un mauvais
chemin de campagne – dans le Dorset –, puis j'ai décidé d'en
tirer une métaphore concernant les couilles rasant le sol d'un narrateur en
train de ramper sur une plage de galets.)
Donc, je rampais sur la plage de galets, etc. Je me
mis à frire paisiblement. Des larmes s'enfonçaient dans mes yeux. J'allais à la
rencontre d'une nymphette sirénéenne jouée par une actrice à la carrière aussi
bien remplie que son soutif.
— T'as un tatoo sous ton soutif ? lui
demandis-je allitéralement.
J'avais découvert depuis peu qu'il existait un film
nommé Rusalka ou The Rusalka évoquant une romance entre une sirène d'eau douce
et un mormon muet (!). Et pourquoi pas, me dis-je, une romance entre
l'abominable homme des neiges et Jeanne d'Arc après son bucher ? Entre
Salvador Dali et une femelle hippocampe géante trisomique ? Entre un
Shadok et un Amish ventriloque ? Une danseuse nue du Crazy Horse Saloon et
un peintre aborigène australien ? Une baroudeuse boudeuse et un lézard
basilosaurus ?
Moi, je n'étais ni mormon ni muet ni etc. et c'est
bien de la mer et de ses dents amères que je sortais en rampant jusqu'à ma
maison aux vitraux bleus taillés en losanges.
— « Écoute ! — Écoute ! — C’est moi, c’est Ondine qui
frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les
mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine
qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
» Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est
un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond
du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
» Écoute ! — Écoute ! — Mon père bat l’eau coassante d’une
branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les
fraiches iles d’herbes, de nénufars et de glaïeuls, ou se moquent du saule
caduc et barbu qui pêche à la ligne. »
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt,
pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais, pour être
le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que
j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa
un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long
de mes vitraux bleus.
(Aloysius Bertrand. Gaspard de la nuit)
J'éclatai en losanges.
••••••••••
NDE : Je rappelle à ceux qui peuvent s'étonner de
certaines bizarreries orthographiques telles que l'absence de plusieurs accents
circonflexes ou le f de nénufar, que j'ai (outre quelques fantaisies
personnelles) programmé mon Word pour la "nouvelle orthographe
recommandée", ce que les correcteurs et -trices des éditeurs semblent peu
apprécier, ne voulant pas affronter des règles supplémentaires, alors que cette
NOR (recommandée depuis une bonne vingtaine d'années, quand même…) est, sur la
plupart des points, une sim-pli-fi-ca-tion. Et une rationalisation. Comme quoi,
les "recommandations" de l'Académie ne servent à rien, on veut des
ordres ! On n'accepte les réformes que contraint et forcé.
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