"JE" n'existe
pas. (C'est quoi, moi ? Ou pire
"le moi" ?) Même Pascal (qui n'est pas dans mes petits papiers)
se demandait « Où donc est ce moi ? » qu'il disait
"haïssable". Le moi n'a rien de substantiel. "Je" et
"moi" sont seulement des facilités grammaticales et des illusions
pratiques : on aurait bien du mal à vivre et à communiquer si l'on ne
pouvait pas, sujets que nous sommes,
dire "je" et se revendiquer "moi", c'est-à-dire un
individu, une personne, un sujet.
Je, moi = illusion
nécessaire. En ce sens, le moi n'est pas haïssable. N'est pas non plus "un
autre" rimbaldien – pose de poète. Mais toujours se rappeler que
cette personne n'est personne. Que la notion
de "moi" n'est qu'une enclosure pratique, un peu comme ces
"patates" que l'on trace pour expliquer les "ensembles".
Tracés provisoires, entrecroisés, mous sur les bords, flous. Se rappeler que la
frontière qui sépare deux pays est aussi le lieu où les deux pays se touchent,
se côtoient, communiquent, échangent.
Nous ne sommes pas séparés
(des autres et du monde).
À partir du moment où l'on
sait que notre corps contient des milliards de bactéries qui sont comme des
cellules nomades, non fixées dans des organes, mais vivant libres dans ce
milieu et, de plus, entrant et sortant, s'échangeant avec les voisins comme
l'air qu'on respire et qu'on pète, comment se penser comme une monade enfermée dans sa peau comme dans
une armure et se suffisant à elle-même ? Je parle des bactéries, je
pourrais aussi bien évoquer les courants électromagnétiques et les regards, les
mots et les phrases que nous échangeons avec nos concomitants.
Avant même le net, la
toile, le réseau Internet, je suis, nous sommes, chacun de nous, un nexus, un nœud dans un réseau, tant
naturel que culturel. Notre substance, physique comme mentale, n'est faite que
de processus, c'est-à-dire d'activités. Processus non seulement internes, mais
aussi et autant ou plus externes : échanges, interactions multiples avec
notre environnement (naturel, artificiel, culturel), tellement multiples que
nous sommes incapables d'en dresser la liste et de les maitriser, la plupart de
ces processus se passant hors du contrôle de la volonté individuelle ou
collective.
On
nait et on grandit dans un pays, une langue, une religion, une famille, comme
si ça allait de soi. Et en fait oui, ça va de soi. Rien d'autre. C'est "le
monde comme ça". Dire "j'aurais aussi bien pu naitre en Afrique,
parler Bambara, ou naitre musulman…" c'est une bêtise. Dire cela est
souterrainement croire qu'on est, avant sa naissance, une âme qui attend de
s'incarner ici ou là. Si tu étais né ailleurs et autrement que tu n'es né, ce
ne serait pas toi.
L'individu est un mirage produit par une idéologie dominante
qui nous fait croire que nous sommes séparés les uns des autres, singuliers.
Mais l'individu et la masse forment en fait les deux faces d'une même médaille
: « Par ce simulacre de singularité, l'individu est immédiatement
massifié. » (D'après Juliette Cerf analysant et citant Miguel Benasayag
dans PhiloMag N°38)
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