Je dois seulement savoir
que "moi-même" est plus une illusion
qu'une réalité, une croyance plus qu'une entité existant "en vrai". Pourtant
il faut bien croire à une réalité de
son "moi", c'est un besoin. Comment pourrais-je vivre, communiquer en société et
être responsable de mes actes si je ne crois pas en un moi qui me positionne comme auteur, acteur de ma vie.
« Le moi est haïssable, mais c'est tout ce que
j'ai. » (Philippe Bouvard)
Comment vivre
autrement ? La responsabilité, la continuité… Nous avons besoin d'y
croire, à ce moi, ce qui ne veut pas dire qu'il existe. Où ? Où serait-il, ce
"noyau insécable", cette "origine" ? Qu'est-ce qui, en
moi, avec le temps, demeure identique à soi-même ? Tout change avec le
temps, les cellules, les idées comme la position sociale. Tout au long de la vie, je
m'invente, j'évolue. Je devrais dire : le vécu m'invente, m'évolue…
Une
petite citation d'Einstein (Albert), ça fait
toujours bien : « La vie c’est
comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. »
Mais, plus joli :
« Caminante no hay camino,
se hace el camino al andar. » Poème de Antonio Machado qu'Edgar Morin adore
citer : « Toi qui chemines, il
n'y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant. »
Le moi n'existe que dans l'avance, le cheminement, la marche (ou le
pédalage).
L'identité n'est pas
une chose. On ne peut pas dire de
quelqu'un qu'il est identique. (Authentique, peut-être, mais encore faudra-t-il
le prouver.)
— Excusez-moi de vous avoir fixé comme ça, je vous avais
pris pour un autre
— Mais justement : je suis un autre.
L'identité serait
plutôt un être, – à condition de bien
lire ce mot comme un verbe. Et on devrait
dire un étant ou un existant plutôt qu'un être. Autrement dit, l'identité est un
processus en cours, toujours en cours, en fabrication, en invention, en
construction constante, en chemin. (Je rabâche, je sais.) L'ego est transcendant dans ce sens qu'il n'est jamais abouti,
arrivé, terminé, figé, réifié. Il n'y a pas de "moi-même" au sens
d'une essence. Mais ce n'est pas le néant (sartrien) non plus, c'est un processus. (Comparable non à une machine
mais au mouvement/travail de la machine.)
L'identité pensée comme
acquise, établie, serait un leurre qui, de plus, briderait ma liberté, qui masquerait
ma complexité, ce ne serait qu'une persona,
une étiquette. (Et en fait, il en est de même de toute chose.)
Et pourtant il y a quelque
chose qui persiste d'un bout à l'autre de la vie, quelque chose de permanent,
qui reste identique à lui-même. Qui dure dans le temps, que je reconnais, que
les autres reconnaissent, et que suis donc bien forcé d'appeler
"moi". (C'est le terme "quelque chose" qui est
gênant : notre langue utilise le mot chose
à tout bout de champ, aussi bien pour désigner le plus concret, un caillou, que
le plus abstrait, un concept.)
Si c'est une illusion,
c'est une illusion nécessaire, indispensable.
Et pour finir, on peut dire JE ou MOI, mais en
n'étant pas dupe, en sachant que derrière cette nécessité de se poser comme
SUJET, autonome, actif et responsable (et même libre, si on veut), il y a tout
ce conditionnement et ces conditions biologiques, historiques, culturelles,
politiques, le passé et l'avenir, tout ce qui fait que JE-MOI n'est pas une
entité détachée du reste du monde, du cosmos, mais un point de croisement de
mille et cent mille déterminations.
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