L'infini
des chaines de causalité (intérieures, extérieures, passées et présentes) est
inaccessible, inanalysable, inconnaissable au delà des quelques maillons les
plus proches dans le temps et dans l'espace, les plus évidents, les plus
mécaniques. (Mais c'est Moi.)
Mon
inconscient freudien, je n'y ai accès, par définition, que très fugitivement. (Mais
c'est Moi.)
Mon
histoire personnelle, ma mémoire et les témoignages de mes proches ne me disent
pas tout de mes "constellations familiales"… (Mais c'est Moi.)
Mes
gènes, mes hormones, mes circonvolutions cérébrales, neurones et l'infini de
leurs connexions possibles, les neuro-bio-sciences n'en savent pas tout et
n'expliquent pas tout, loin de là, surtout quand elles mélangent causes et
corrélations. Avec ça, on commence à découvrir qu'une enfance vécue dans un
milieu merdique bousille les gènes eux-mêmes, et que ces destructions se
transmettront aux descendants… La culture, le vécu influe sur la nature, le
biologique, l'ADN. (Mais c'est Moi.)
Les
influences, fastes ou néfastes, de "la société", qui peut en faire le
compte ? Et mes rôles, dans
cette société ? Et la météo ? Quand à Dieu, au Destin, au Grand Livre
là-haut, ou les extraterrestres, ils sont par définition inaccessibles. (Et par
ailleurs imaginaires.) (Mais c'est Moi.)
Bref,
si
1)
je suis totalement déterminé par
TOUT, mais si
2)
l'infini des causes, ce TOUT, est inconnaissable… si je n'ai aucun moyen de savoir tout de ce par quoi je suis déterminé,
c'est comme si je n'étais pas déterminé du tout.
Je
suis libre. À partir du moment ou mon Moi (je) est constitué de TOUT, et que ce
TOUT est hors de portée de mon savoir, je suis libre.
—
Mais… tu cultives les paradoxes ! Ta liberté n'est qu'une illusion fondée
sur la non connaissance des déterminations… Dans l'absolu…
—
Mais "dans l'absolu", ça n'existe pas. Personne ne vit "dans
l'absolu". Tout le monde vit dans le monde réel. Un Moi illusion vivant
une illusion de liberté dans un monde réel, moi, ça me va !
— Mais si je sais que c'est une illusion, est-ce
encore une illusion ?
— Pas exactement…
— Mais alors, c'est
quoi ?
— Un jeu. Une illusion
assumée, c'est un jeu, un acte gratuit. On fait semblant d'y croire et on obéit
aux règles du jeu.
••••••••••
Le
sujet agissant, Moi, Je, est constitué de tout ça, ce gros tas de causes, ces
conditions, ce TOUT. Moi, mon Moi, c'est tout ça. Tout ce que j'ai essayé de m'étranger pour me dédouaner de mes
erreurs ou fautes, c'est bien Moi. Je ne peux plus dire « c'est la faute à
mes pulsions, mes gènes, ma névrose, mes hormones, le Destin, la malchance… »
comme si c'étaient des aliens. Tout ça,
c'est Moi. What else ?! Mes gènes, c'est Moi, mon éducation, c'est Moi, ce
que j'ai mangé à midi, c'est Moi, mon histoire, ce qui m'est arrivé de bon ou
de mauvais dans toute ma vie, c'est Moi, l'état de mes lombaires, c'est Moi,
les injonctions du curé au caté de mon enfance, c'est Moi, les cours de
philosophie de terminale c'est Moi, le temps orageux, c'est Moi… (Et quand je
me tape sur les doigts à force d'enfoncer le même clou, c'est Moi qui ai mal,
c'est pas "mon doigt".)
Tout
ça, ce n'est pas un carcan imposé d'un prétendu extérieur et qui "me"
tiendrait prisonnier. Tout ça, c'est tout ce qui constitue Moi… cette illusion
que j'appelle Moi. Mon Moi est fait de tout ça. Je suis fait de tout ça.
Partant
de là, je peux de nouveau agir en tant que Moi, sujet libre et responsable,
sans me prendre la tête plus que ça avec « est-ce bien Moi qui agis ou
suis-je agi par mes conditions ? » Quels que soient mes choix, ils
viennent de Moi, c'est-à-dire de tout cela qui constitue Moi, tous mes atomes,
tout mon passé, tous les liens de causalité qui mènent à Moi-en-cet-instant. Mes
actes sont bien mes actes et je peux
bien les qualifier de "libres et intentionnels", je dois, même, les revendiquer comme tels.
Ce
qui veut dire, enfin !, que ma
responsabilité est totale.
1 commentaire:
Henri Laborit part d'une analyse analogue. Nous sommes constitués par les autres et par l'environnement, que notre cerveau plastique intériorise. Nous sommes également déterminés (génétiquement, biologiquement) par des structures préexistantes de notre système nerveux central, en particulier le paleocerveau - le cerveau réptilien - et le cerveau limbique - mémoire et affects -.
Le premier déclenche les réactions fondamentales de survie, comme la recherche de la gratification et l'évitement/la destruction des agressions. Le second permet de dépasser l'instant présent en débordant sur le passé et le futur.
Mais Laborit diffère ensuite en s'intéressant à la troisième couche cérébrale des mammifères: le cortex associatif, qui permet de reconjuguer les expériences en de nouvelles combinaisons.
Selon lui, en comprenant nos déterminismes nous pouvons les court-circuiter et chercher d'autres solutions via l'imaginaire. C'est donc une libération en quelque sorte de passer d'une interface input-output - au déterminisme simple et étroit-, à une boîte noire de complexité pratiquement infinie.
Un exemple pour illustrer cette troisième voie quant à la réaction au stress sans passer par la fuite/l'agression, c'est la créativité humaine, qui permet de sublimer, transformer des problêmes tout en restant dans l'action. (L'inhibition de l'action, en cas de stress, nous causant angoisse et pathologies, ce n'est pas une solution au long terme).
Enregistrer un commentaire