Pascal (Blaise)
aurait été le premier, au XVIIème, à faire du petit mot Moi un substantif :
« Qu'est-ce que le moi ? » et ce fut pour dire dans la foulée
qu'il était introuvable : ni corps ni esprit… et cependant haïssable. Il y
voyait ce qu'on appelle aujourd'hui l'égo,
avec tout ce que ça sous-entend de nombrilisme, d'injustice, d'égoïsme… le bouffon
bouffi d'orgueil… le tout-à-l'égo…
On ne pourrait donc pas s'aimer soi-même ?
Rousseau
fait une distinction assez intéressante entre amour de soi et amour-propre :
« L'amour de soi, qui ne regarde
qu'à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais
l'amour-propre, qui se compare, n'est jamais content et ne saurait l'être,
parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les
autres nous préfèrent à eux ; ce qui est impossible. Voilà comment les passions
douces et affectueuses naissent de l'amour de soi, et comment les passions
haineuses et irascibles naissent de l'amour-propre. »
L'amour de
soi serait
donc « un sentiment naturel qui
porte tout animal à veiller à sa propre conservation. » L'instinct de
conservation, donc, simplement, que nous avons en partage avec les autres
animaux. Il est indispensable, la réponse à la nécessité vitale, aux besoins
réellement nécessaires et universels de l'animal humain.
L'amour-propre, lui, est typiquement
social, relatif, il se nourrit du souci d'être "considéré", estimé,
aimé, de l'inquiétude quant à la valeur que les autres nous accordent. Il est
la source du sentiment de l'honneur, il provoque ou intensifie les conflits,
mais produit les "premières règles de la civilité". (Quant on voit
comment ça se passe chez les autres mammifères sociaux, singes ou loups, on voit
que ce genre de comportement n'est pas une invention strictement humaine.)
Il
n'y a pas de mal à s'aimer soi-même, mais sans la jalousie ou l'envie, sans la
concurrence.
D'une manière assez fine psychologiquement, Rousseau met en évidence que nous sommes empathiques ou compassionnels envers celui qui souffre, mais que nous n'avons ni empathie ni sympathie pour qui est plus heureux que nous. « L'aspect d'un heureux inspire aux autres moins d'amour que d'envie ; on l'accuserait même d'usurper un droit… etc. » … « L'amour-propre souffre encore en nous faisant sentir que cet homme n'a nul besoin de nous. » Alors que « la pitié est douce, parce qu'en se mettant à la place de celui qui souffre on sent pourtant le plaisir de ne pas souffrir comme lui. » (Il y aurait comme un égoïsme cynique dans la compassion ! Eh oui… lucidité plutôt réjouissante !) Par contre « l'envie est amère…» : face à un homme heureux, on ne "se met pas à sa place", on regrette de ne pas y être ; et on ne lui dit pas "je sais ce que tu ressens", on a envie de le tuer pour la lui prendre, sa place ! (Là, j'extrapole, pardon Jean-Jacques…)
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