"Rêver 2074 / Une
utopie du luxe français / par le Comité Colbert" (et quelques écrivains et
écrivaines…).
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ET SI ON PARLAIT DES
NOUVELLES ?
J'ai encore pas mal de
considérations générales en réserve, parce que, après tout, à partir de cette
série de nouvelles et des commentaires qu'elles ont suscité, c'est l'occasion
de parler de la société, du commerce, du travail d'auteur, de la SF, de l'argent, du réel
et de l'idéal… bref, du monde actuel. Mais je vais garder ça pour plus tard,
après avoir quelque peu décrypté les textes.
"Décrypté", parce
que ces textes sont parfois cryptiques…
Et puis en gardant toujours
en tête que ces nouvelles n'existent pas "en soi" mais dans ce contexte. Sachant aussi que mes
remarques ou décryptages, mes suppositions sur les intentions plus ou moins
cachées des uns et des autres, seront mes interprétations. (Mais il n'y a
pas de lecture sans interprétation.)
… Nouvelles qui évoquent ou
sont censées évoquer une utopie du luxe français située dans les années 2070, commandées,
éditées, signées, je le rappelle, par le Comité Colbert, donc sponsorisées par
"le luxe français"… l'objet final étant et virtuel et gratuit… le
tout dans le contexte d'une France avec tant de millions de chômeurs, 112 000
SDF… dans le contexte d'un Monde de 7 milliards d'habitants dont un milliard de
crève-la-faim… le tout en pleine crise de civilisation (crise morale, économique,
climatique, démographique, etc.)
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J'avais lu d'abord Joëlle
Wintrebert, "Le Don des chimères", j'en ai déjà parlé plus haut, j'y
reviendrai. Mais je vais reprendre les textes dans l'ordre, ça a peut-être une
importance. Et en donnant quelques éléments des narrations, thèmes, pitch ou
citations, surtout pour les idées que je peux en faire ressortir, les
convergences et les contradictions, le sous-texte et les subversion éventuelles
(les écrivains se sont-ils fait piéger – naïvement ¿–
sincèrement ¿– cyniquement ¿)… ont-ils respecté le contrat ?
ont-ils piégé leurs textes ? – c'est ça qui m'intéresse. (Et sans trop me
préoccuper des qualités littéraires.)
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1) XAVIER MAUMÉJEAN - "L'ARBRE
DE PORPHYRE"
Bizarrement, à mon sens,
cette histoire a peu à voir avec les commerces du luxe ou alors très superficiellement.
Le thème n'y est qu'accessoire. (Mais après tout, dans la mode, les foulards H…S
ou les sacs V…N ne sont que des "accessoires".)
L'enjeu est une artiste, Gorgeia
Akos, dont l'art (après une pandémie dite "LA Pandémie") avait "guéri
le monde" par la beauté qu'elle créait (magie ?). Depuis, elle a
perdu la vision des couleurs. Et "le monde", représenté par l'OMS, par
reconnaissance, se doit de, à son tour, la guérir de cette infirmité.
Une sorte de détective,
Paul Gilson (et son assistante Lakshmi) est chargé de la rejoindre et de lui
offrir cette guérison, par un moyen que je ne sais trop comment qualifier… tant,
sous les termes techniques, il apparait "magique"… On peut parler de
symbole, de spiritualité New Age ("Peut-être que l'âme perçoit la teinture
de l'espoir"… Hum…), à la limite de mystique chrétienne.
Mais au moins s'agit-il (je
préfère) de solidarité humaine – du domaine de l'éthique, donc… ou de
l'écologie (? mais… voir plus loin).
Le truc est assez complexe (et un peu fou, non ?)
Il s'agit, de
réunir des numéros (de sécu ?) par dizaines de milliers, chacun associé à
un dossier médical (de gens que l'art de Gorgeia Akos a guéris, je suppose), et
de les intégrer à un modèle virtuel en 3D reproduisant le modèle organique
corallien.
Je cite
partiellement : « Du corail.
[…] Le corail vit en colonie. Tous les éléments qui la composent sont
solidaires et vivent en parfaite symbiose avec l’environnement. L’individu en résonance avec l’universel
[…] ce que l’on appelait le
proximondial. […] Lakshmi finissait de mettre au point le squelette
colonial. À l’état naturel, il était composé d’une substance appelée
"Gorgonine", l’équivalent de la solidarité qui, par l’action
d’Akos, unissait tous les membres de l’espèce humaine. Au-delà de
l’apparente froideur de ses outils numériques, la programmartiste renouait avec
le savoir-faire des joaillers qui, depuis des temps immémoriaux, travaillaient
le corail. »
(En passant, désolé,
mais les coraux n'ont pas attendu d'être travaillés par des joaillers, aussi
artistes soient-ils, pour être beaux et pour exprimer quelque chose comme de la
solidarité : un récif de corail est typiquement un milieu écologique, l'"holobionte"
(le corail et toute sa communauté symbiotique) où vivent en interdépendance des milliers
d'espèces. Je veux dire par là que le symbolisme du corail est valable et
plutôt beau (entre autres parce que, malade, il se décolore), mais le rattacher
aux joaillers de la place Vendôme n'est qu'un artifice placé là pour faire
plaisir au client.)
(Avec ça, je ne
résiste pas à citer Wikipédia : # Le prix très élevé du corail rouge en
joaillerie a entrainé sa disparition presque totale sur les côtes françaises et
italiennes à des profondeurs de moins de 10 m. Si l'espèce est aujourd'hui
protégée, la lenteur de sa croissance n'a pas encore permis une recolonisation
significative, d'autant que la pêche illégale est encore florissante. # Autant
pour l'écologie…)
(Ce
symbolisme du corail me fait penser au concept de Deleuze et Guattari : le rhizome social, c'est-à-dire un «
réseau de tiges souterraines qui forme un système sans racines ni hiérarchie. »
C'est le principe de buissonnement, d'arborescence, ou même de
poly-arborescence, structure réticulaire et coopérative qui permet de connecter
un point quelconque de l'ensemble avec n'importe quel autre point de
l'ensemble, et donc constituer des multiplicités
sans les subordonner à une unité supérieure. Le réseau Internet en est une
concrétisation.)
Bon. Paul Gilson choisit,
un peu mystérieusement (ou au moins, encore, symboliquement) la forêt primaire
polonaise biélorusse préservée comme holobionte pour y révéler à Gorgeia Akos
le résultat, buisson de corail holographique, 'l'arbre de porphyre" du
titre. Et là, miracle ! face à cette prolifération rhizomique, la dame a un
flash tout rouge et elle est guérie.
Disons que c'est une fable.
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Placement de produits
C'est donc l'histoire d'une
guérison psychologique, celle d'un personnage vieillissant ayant perdu quelque
chose d'essentiel de son être au monde. (Perte d'un sens, perte DU sens – le
thème reviendra…) (Le thème de la guérison magique aussi, particulièrement chez
Joëlle Wintrebert.)
Le thème luxe n'est que
dans le décor, il s'exprime en "placements de produits", comme dans
un James Bond ou une série télé. (Pas de marques actuelles, certes, c'était
dans la charte, encore heureux ! mais des créateurs fictifs, des marques
fictives.) Dès la première page : "Le vin français, un grand
cru…" Plus loin, le TransEurop Express, cognac, musique classe… etc. Il y
aura nombre d'éléments décoratifs du même genre dans toutes les nouvelles.
L'idée de luxe n'est pas un
enjeu du scénario, sauf à considérer la création de beauté humaine par une
artiste, ainsi que la solidarité humaniste, comme une émanation des industrie
du luxe (!). Et donc l'auteur, se sachant hors sujet sur le fond, rattraperait
le coup en plaçant à qui mieux mieux des pages de catalogue ?
Contexte parasite.
L'idée de luxe s'impose plutôt
comme une nébuleuse qui enveloppe l'écriture et la dévore ou au moins la
dévoie. Ces citations répétées, lignes "de complaisance", il y a une
certaine jouissance à les déceler, comme dans un jeu de piste, mais très vite
leur répétition frise le ridicule (en tout cas pour le lecteur critique trop
conscient du contexte) et, à force, entraine une irritation, tant elles
apparaissent comme des passages obligés, des contraintes imposées, et
finalement un parasitage qui dessert l'histoire. Confusion des sens ou du sens.
La beauté, l'art, la
solidarité, la haute technologie, le "proximondial", comme dit le mot-valise
oxymoresque d'Alain Rey, tout cela ne passe absolument pas, dans la nouvelle
(pas plus que dans la réalité), par des objets et services du luxe, mais par
des actes d'intuition, de psychologie, d'art, de technique, de talent, d'éthique
: en gros, l'art et l'amour. Par exemple, dans le prologue et l'intrigue
secondaire parallèle, les objets que Sarenkov doit sauver pour regagner l'amour
de sa femme ne sont en aucun cas des objets "de luxe", mais des
objets à valeur purement sentimentale, cela est dit clairement. Et l'objet
"de luxe", sa maison, on la fait sauter dès qu'il en a libéré ses
objets de cœur !
Quant à l'artiste Gorgeia
Akos, si elle n'exerce plus son art et ne jouit plus des choses à cause de la
perte des couleurs, elle s'habille modestement et tient une cantine pour ses
voisins ! Au point que tout cela (fait exprès ou non, je n'en sais rien) irait
plutôt à l'encontre du cahier des charges du Comité de Surveillance, le
subvertirait discrètement… Ce qui est plutôt rassurant ! Un petit
nettoyage des placements de produits et il n'y paraitrait plus. Resteraient des
personnages attachants, un texte empreint d'humanisme, et, comme déjà dit et
j'y reviendrai, une sorte de mystique (une "mystique du
luxe" ?!).
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(à suivre)
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