Il est peut-être tôt pour la réflexion distanciée, mais
j'ai lu ça dans Philosophie Magazine déjà quelques jours avant…
Professeur de
rhétorique au Cap (Afrique du Sud), Philippe-Joseph Salazar a lu les discours
de l’État islamique. Selon lui, le Califat se sert du verbe comme d’une arme.
D’où la nécessité d’adapter notre propre vocabulaire.
Vous montrez dans votre essai que la parole a une fonction
bien précise dans le monde musulman.
Philippe-Joseph Salazar : Lorsqu’on se convertit à l’islam, on
prononce une unique formule laconique, presque tautologique : « J’atteste qu’il n’existe pas
d’autre dieu qu’Allah et j’atteste que Mahomet est son prophète. »
Pour vous convertir au christianisme, vous devez passer par une préparation
reproduisant le parcours spirituel du Christ, il y a dialogue avec le prêtre,
baptême… L’islam prétend avoir une telle force d’évidence qu’une seule phrase
suffit. Par ailleurs, dans le septième verset de la première sourate du Coran,
la fatiha, le croyant demande à Dieu de le conduire dans le droit
chemin, non pas « celui de ceux qui ont encouru ta colère, ni des
égarés ». Ces mots opèrent un partage du monde en trois : ceux qui sont dans le droit chemin
(musulmans), ceux qui encourent la colère divine (juifs), ceux qui sont égarés
(chrétiens).
Vous soulignez que le Califat est né par proclamation.
Les médias occidentaux n’ont pas compris ce qui s’est passé, ce
jour de l’été 2014 où Al-Baghdadi a surgi dans la mosquée de Mossoul pour
entonner l’homélie de la refondation du Califat. Nous avons réagi par l’ironie : pour qui se prend-il ? Comment espère-t-il fonder un tel État ? Ce qui n’a pas été saisi, c’est qu’il n’existe
pas, dans le mode de pensée des djihadistes, d’autre source possible de la
légitimité d’un pouvoir politique qu’une telle homélie, par laquelle un guide
spirituel, également guide politique, s’engage à conduire les croyants. Il
faudrait faire un parallèle entre cet acte et le sacre des rois de France dans
la cathédrale de Reims. Une fois le Califat proclamé, tous les musulmans sont
appelés à ne pas rester au milieu des égarés. Le Verbe a une force d’appel.
Vous critiquez aussi le vocabulaire inapproprié des
leaders et des médias occidentaux.
Regardez l’hésitation grotesque autour du terme désignant notre
ennemi : faut-il
dire « État islamique », « Isis », « Isil »
(version officielle de l’ONU), « Daech » ou « Daesh »
(version de France Télévisions) ? Nous avons
peur de reconnaitre que notre ennemi administre un territoire et nous n’en
reconnaissons pas la souveraineté. Moi, je préconise d’employer le mot
« Califat », qui désigne une forme politique non occidentale. De
même, on ne sait plus ce que signifie la Terreur ou le terrorisme. Le jus
terrendi, ou « droit de terroriser », a des origines romaines.
Pour le juriste Pomponius [IIe siècle de notre ère], la terreur est
ce qui permet à un magistrat de tenir en respect un criminel en lui inspirant
une « peur salutaire ». Étymologiquement,
« terroriser » signifie « chasser du territoire ». L’usage
de la Terreur par le Califat est un acte d’appropriation territoriale, ni plus
ni moins.
Cela dit, peut-on juger de la dangerosité d’un adversaire
en se fondant sur ses discours et non sur sa puissance militaire et logistique ? N’encouragez-vous pas des répliques
violentes en vous fondant sur du déclaratif ?
Les deux sont
à mener en parallèle : il est
indispensable de faire un audit militaire et financier du Califat, mais aussi
de comprendre sa pensée et sa force de persuasion. N’oubliez pas que ce verbe
djihadiste est assez fascinant pour que 30 000 jeunes
Européens aient à ce jour rejoint le combat califal dans les sables du désert.
À ces jeunes, nos autorités proposent aujourd’hui un traitement psychologique,
comme s’ils étaient malades. Cela me parait une pratique totalitaire : quand vous vous opposiez autrefois au
communisme en URSS, vous étiez bon pour l’hôpital psychiatrique. Il me parait
plus légitime de reconnaitre en eux des combattants ennemis et de les traiter
comme tels. En somme, à chacun d’assumer ses responsabilités. Les djihadistes
font un choix politique et y répondre par de la thérapeutique et des soi-disant
protocoles de désendoctrinement revient à nier l’essence même de la politique.
(Propos
recueillis par Alexandre Lacroix)
Je retiens
particulièrement ça :
Nous avons
réagi par l’ironie : pour qui se
prend-il ? Comment
espère-t-il fonder un tel État ? Ce qui n’a
pas été saisi, c’est qu’il n’existe pas, dans le mode de pensée des
djihadistes, d’autre source possible de la légitimité d’un pouvoir politique
qu’une telle homélie, par laquelle un guide spirituel, également guide
politique, s’engage à conduire les croyants. […] Moi, je préconise d’employer
le mot « Califat », qui désigne une forme politique non occidentale.
(Et donc nous
avons un problème de langage = un véritable problème culturel…)
Et
encore :
À ces jeunes,
nos autorités proposent aujourd’hui un traitement psychologique, comme s’ils
étaient malades. […] Il me parait plus légitime de reconnaitre en eux des combattants ennemis et de les traiter comme
tels.
— Est-ce
à dire qu'il faut les tuer ?
— Ben… si
c'est la guerre et si ce sont des ennemis………
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