(Article écrit avant les attentats du vendredi 13 novembre
et destiné à Zélium, numéro spécial "guerre" qui vient de paraitre et
où, finalement, rattrapé par les évènements et un bouclage chaotique, il n'a
pas trouvé sa place.)
(Corrections diverses apportées le 20 décembre, particulièrement sur les usages du NOUS et du ON…)
À la base, selon la
définition du dictionnaire, une "guerre", c'est la lutte armée
entre deux ou plusieurs États. Internationale, donc, et, à l'occasion,
mondiale. Une "guerre civile", par contre, c'est la lutte armée
entre groupes et citoyens d'un même État.
Actuellement, nous (a priori, quand je dis nous, c'est nous Français, et plus
largement nous Occidentaux…) sommes, d'une part, dans une (sorte de) guerre
contre un ennemi intérieur :
des Français terroristes islamistes ; ce n'est pas tout à fait une
"guerre civile" dans la mesure où on n'en est pas – pas encore – à
une lutte armée entre citoyens d'obédience FN et citoyens djihadistes ; mais
en faire une simple affaire policière suffit-il à définir le problème ? D'autre
part et dans le même temps, nous sommes dans une lutte armée extérieure, pas vraiment déclarée, et
pas vraiment contre d'autres États : les ennemis sont à la fois ce qu'on
peut appeler l'ITI : Internationale Terroriste Islamiste (le califat, dit
daesh, al-qaïda, les talibans, boko haram, etc. etc. etc.), mais aussi le
gouvernement syrien (Bachar et plus ou moins son allié Poutine), quand même un
peu les autres gouvernements de la région, non ? Alliés-ennemis…? Et puis
il y a les pauvres malheureux réfugiés qui déferlent sur nos villes et nos
campagnes pour ne pas dire nos filles et nos compagnes… Amis ou ennemis ?
Extérieurs ou intérieurs…? Depuis quand ? Jusqu'à quand ?
La situation est un peu compliquée, non ? Mais dire que ce
n'est pas une guerre sous prétexte que ça ne correspond pas à la définition
officielle me semble un argument de fuite, une lâcheté intellectuelle et
politique. Après, on peut se dire que cette guerre n'est pas de notre fait,
qu'elle nous est imposée, que c'est une guerre imbécile ou tout ce qu'on veut,
il n'en reste pas moins que.
Sur un plan plus
individuel, aussi bien nous Français et Occidentaux que les arabo-musulmans en
leurs pays nous nous retrouvons pris entre deux feux : la lutte armée (ou
guerre) pratiquée par l'ITI, l'internationale terroriste islamiste contre un
peu tout le monde et la lutte armée (ou guerre) pratiquée par nos gouvernements
contre ledit terrorisme islamiste.
L'état de double contrainte (double bind) est endémique. Nous, individus dits "hommes de la
rue" ou citoyens lambda (encore une fois aussi bien nous Français et
Occidentaux que les arabo-musulmans en leurs pays), sommes otages du terrorisme
et sa menace latente partout (c'est sa vocation, son fonctionnement) ET otages
de la lutte antiterroriste qui suppose des flics et militaires à tous les coins
de rue et des lois de surveillance intérieure ("lois liberticides",
comme on dit toujours). Nous (là, plus particulièremen nous Français et
Occidentaux) adorons être connectés par tous les bouts (smartphones, twitter,
facebook…) ET nous ne voulons pas être fliqués par les lois de renseignement et
surveillance. ET, quand un drame se produit (un attentat), nous dénonçons les
failles de ladite surveillance. On veut faire des affaires avec l'Arabie
Saoudite ET on se méfie du financement des mosquées en France ou en Belgique par
cette même Arabie Saoudite. On veut que nos djeuns' ne partent pas au djihad en
Syrie ET quand ils rentrent on les met en prison au lieu de les serrer bien
fort contre notre cœur ou de les mettre contre un mur et douze balles dans la
peau, comme on fait généralement aux traitres à la patrie, dans les guerres.
Vous remarquerez que je ne
dis pas MAIS entre chaque proposition, mais ET : elles sont contradictoire,
sans doute, mais en fait surtout complémentaires, situées au même niveau
cognitif et émotionnel, et par là-même pathogènes.
Le double bind rend fou.
Ainsi, pour résumer, si
guerre il y a, nous sommes en guerre contre une organisation ou un mouvement
international tant intérieur qu'extérieur. Je sais (même après diverses précisions
apportées entre parenthèses) que ce NOUS est difficile à définir : au delà
de la France, est-ce "l'Occident" ? Non, pas que… Est-ce
"la communauté internationale" ? Euh, pas toute… L'ONU ?
Les citoyens du monde entier, les peuples ? La Raison ? Un peu tout
le monde………?)
Si on ne veut/peut pas
appeler ça une "guerre" selon la définition officielle, disais-je, et
pas non plus exactement une "guerre civile", je me vois contraint de
reprendre, non sans un rictus à la fois de dégout et d'ironie, le terme et concept
émis dès 1943 par Carl Schmitt, le juriste du parti nazi, qui parlait de la fin
des Nations et donc de GUERRE CIVILE MONDIALE.
Complément d'information : Un article de Philosophie
Magazine N°16 (février 2008).
La parution
de La Guerre civile mondiale relance la polémique française autour de Carl
Schmitt. Quelle portée donnée à la publication des essais d’un juriste allemand
accusé au procès de Nuremberg d’avoir inspiré la politique hitlérienne ?
La philosophe Céline Jouin a regroupé et traduit des textes inédits de Carl
Schmitt sur le droit international, datant de l’après-guerre. Plusieurs années
après l’Allemagne et l’Italie, la France s’intéresse à nouveau au juriste,
jadis admiré par Raymond Aron. Le philosophe marxiste Étienne Balibar apprécie
sa critique du système libéral. Les libéraux eux-mêmes, le politologue Philippe
Raynaud en tête, s’appuient sur ses écrits pour interroger leurs idées. D’où
provient cette étrange fascination de nos intellectuels ?
C’est lors
d’une conférence prononcée à Madrid, en juin 1943, que l’expression « guerre
civile mondiale » apparait. Carl Schmitt désigne ainsi un nouvel ordre
mondial. La guerre interétatique n’existe plus ; elle a cédé la place à la
guerre de l’ère industrielle. Cette guerre « totale » s’étend
hors du domaine militaire : elle est économique (embargos et autres
sanctions), technologique (aviation et contrôle des airs) et idéologique (menée
au nom de la paix, de la justice ou de la démocratie). Parce qu’ils sont les
plus puissants et qu’on réclame leur aide, les États-Unis se sont mis à adopter
des mythes « de mission démocratique » issus du messianisme
protestant. Mais le juriste allemand ne croit pas aux valeurs
universelles : elles ne sont que des masques dont se parent les puissances
occidentales pour défendre leurs intérêts. Il n’y a pas de guerre juste.
L’histoire n’est pas finie. L’humanité n’est pas réconciliée dans un
ultralibéralisme triomphant. Elle sera toujours en guerre.
Carl Schmitt a prophétisé l’existence du nouvel ennemi : le
terroriste ou le « partisan », comme il l’appelle, celui qui
opère en dehors de toute armée conventionnelle. Un ennemi sans visage et sans
nom, que le nouveau droit international est incapable de combattre. Pour Carl Schmitt,
le diagnostic est clair : les guerres à venir seront religieuses. Curieuse
intuition au regard de la montée des intégrismes d’aujourd’hui.
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