Un article dans le
Télérama de cette semaine :
http://www.telerama.fr/idees/etat-d-urgence-pourquoi-nous-souhaitons-etre-surveilles,138222.php
(C'est moi qui souligne et
fais quelques coupes)
État d'urgence : pourquoi nous souhaitons être surveillés
État d'urgence : pourquoi nous souhaitons être surveillés
« La
sécurité est la première des libertés »*, martèlent le Président et le Premier ministre depuis
le mois de novembre. Comment sortir de cette ornière rhétorique ? Réponse
d'Antoine Garapon, magistrat et secrétaire général de l'Institut des hautes
études sur la justice.
#
L'agitation politique actuelle dit bien la difficulté que nous éprouvons à mener le débat entre sécurité et liberté. Avec les attentats, celui-ci a
changé de nature. […] Le néo-sécuritarisme actuel n'a plus rien à voir avec
l'idéologie sécuritaire qui portait sur la longueur ou la dureté des peines à
propos de faits divers ou de crimes. Aujourd'hui, il ne s'agit pas tant de
demander aux institutions politiques – police, justice – d'être plus sévères,
que d'empêcher la survenue de nouveaux
attentats. C'est complètement
nouveau. Désormais, cela ne gêne plus une immense majorité de Français
d'être "fliqués", à condition
que l'État nous protège ; nous souhaitons être surveillés. Droite et gauche
se rejoignent autour des mêmes questions : qu'ont fait les services de
renseignement ? N'auraient-ils pas pu empêcher les attentats ? Que font-ils
pour mieux surveiller la population ?
En effet,
avec l'état d'urgence et la réforme pénale à venir, on ne reproche plus à des gens ce qu'ils font, mais ce qu'ils sont ou,
plus précisément, ce qu'ils pourraient devenir. Il s'agit de prévoir les
risques, de mesurer le potentiel de dangerosité d'un individu en fonction de
ses convictions, avant même qu'il ait agi. Prédire l'avenir, aucune institution
ne peut le faire. Mais de véritables défis nous sont posés : que faire de ceux
qui reviennent de Syrie ? Que faire d'individus potentiellement dangereux, qui
sont de nationalité française ? Grandit aussi l'illusion d'une prévisibilité
totale des comportements grâce aux big
data, d'un destin "algorithmique" où untel aurait telle
propension à se radicaliser...
Le
basculement est majeur. Et il laisse la
critique en difficulté, parce que la menace est inédite, et nous fait peur.
Nous sommes pris entre la nécessité du contrôle pour nous protéger – rôle
premier de l'État – et la crainte d'une régression terrible : celle de faire
peser une présomption de culpabilité sur chacun, alors même que la présomption
d'innocence doit être garantie pour tous. […]
La
restriction des libertés publiques soulève peu de débats au sein de la
population. On peut y voir le signe que la France a changé, y compris le peuple
de gauche, lui aussi gagné par la peur. Nous vivons un état d'exception
démocratique ratifié par la population.
Nous ne
sommes pas les seuls. […] Les Américains, après le 11 septembre, se sont
déclarés majoritairement favorables aux écoutes, même illégales. Parce qu'ils
ont peur et qu'ils ne se sentent pas concernés par la privation de libertés – le terroriste, c'est l'autre... Joue
enfin un phénomène de servitude
volontaire, celui d'un homme démocratique fatigué, qui n'a plus envie de se
battre pour des principes intouchables, comme il le faisait il y a encore
quelques années.
Tout cela
est à la fois très nouveau et très ancien. […] Notre pays s'est construit comme
un État de police, c'est-à-dire non pas par des garanties externes au pouvoir
– les fameux checks and balances anglo-saxons – mais par une autolimitation du pouvoir par ses
serviteurs mêmes (dont la meilleure illustration est le Conseil d'État). La
peur pousse à ne plus supporter les contrepouvoirs. Mais la France
acceptera-t-elle de vivre longtemps encore ce déséquilibre croissant des
pouvoirs ? Je n'en suis pas sûr. »
Notes issues de quelques liens
fournis par l'article ci-dessus :
* Article 2
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits
sont la liberté, la propriété, la sureté
et la résistance à l’oppression. »
Mais la sureté de 1789 ne s'entend
pas comme la garantie de sécurité
physique ou matérielle des citoyens contre des agressions civiles. Elle est la
garantie offerte à chacun que ses libertés individuelles seront respectées
contre une arrestation, un emprisonnement ou une condamnation arbitraire. C'est
l'affirmation d'une rupture avec l'arbitraire du pouvoir monarchique. C'est
donc au prix d'une lecture erronée de la Déclaration que certains hommes
politiques invoquent aujourd'hui la « sécurité, première des libertés », pour justifier la limitation des
libertés individuelles. […]
La sureté de la Déclaration est donc bien une autolimitation du pouvoir par
ses serviteurs eux-mêmes, État, police, justice, et non pas "la sécurité".
La sécurité, c'est autre chose. Qu'il
s'agisse de la dame susceptible de se faire arracher son sac, du bijoutier
susceptible de se faire braquer ou de copains buvant un pot en terrasse
susceptibles de se faire massacrer à la kalachnikov, la demande du citoyen à
l'État, c'est que ça ne puisse pas arriver. On ne lui demande pas de nous faire
peur, pas plus de nous rassurer comme des enfants, mais de nous protéger. Et si quelque chose nous
rassure, c'est de bien voir qu'on est bien protégés. C'est de l'ordre du
principe de précaution. Les caméras de surveillance sont alors perçues comme
caméras de sécurité ou de protection.
Et… c'est
bien ou c'est pas bien…? Je veux dire cette demande de protection, c'est normal
ou c'est de la trouille infantile ? Monsieur Garapon, comme bien d'autres
abusant du mot peur, renforce
celle-ci. Avoir peur est rationnel. Avoir les moyens de surmonter cette peur,
c'est autre chose. La question n'est pas d'avoir peur ou non. La question est
de prendre en compte les faits et de prendre en mains la réalité.
Individuellement et collectivement c'est-à-dire, entre autres, avec l'aide de
l'État, le gouvernement, la police, la justice, les pompiers… Institutions
auxquelles on est censé faire confiance (le problème est là…)
Se
pose toujours la question du "nous". Quand Garapon dit « nous souhaitons
être surveillés », c'est très ambigu à cause de ce "nous" qu'il
emploie. Mais si on le complète avec ce qu'il dit plus loin : « le
terroriste, c'est l'autre », on comprend mieux : parmi ce
"nous" (disons : notre pays), il y a un "autre"… qui
n'est pas vraiment "nous"… "Nous", toi ou moi, « on
n'a rien à se reprocher », on est a priori innocents, donc la surveillance
ne nous concerne pas, elle ne concerne que "l'autre" – et là, on
exige qu'elle soit efficace. Panique paranoïaque ou attitude raisonnable ?
Si la
sécurité n'est pas "la première des libertés", elle en est quand même
la condition. Une des conditions. Sinon,
on est dans une sorte de rêve, d'idéal hors-sol où "La Liberté" est
une sorte d'absolu sans condition qui n'a rien à voir avec les faits, la
réalité. Disons, pour essayer d'être fin, qu'un
niveau correct de sécurité est la condition de la possibilité d'exercice de nos
libertés. Exemple : comment exercer (l'esprit tranquille) sa liberté
de prendre un pot en terrasse si l'on est (si l'on se sent) sous la menace
permanente d'un attentat ? L'idée que la foudre ne tombe jamais deux fois
de suite au même endroit, que les terroristes changent de cible selon
l'inspiration, que ça peut donc être n'importe où, c'est-à-dire partout ou
nulle part aussi bien, peut faire partie de la panique paranoïaque OU on peut
ranger ça dans un coin de sa tête comme symptôme de léger et faire ce qu'on a à
faire sans s'en faire plus que ça. Après, la présence d'une caméra de
surveillance ou d'un flic armé au coin de la rue peut être supplément de
rassurance… Ou le contraire. Et alors retour au point 2) de l'article
précédent.
Selon
le tempérament de chacun, sans doute. Mais avoir plus peur de notre
gouvernement que des terroristes islamiques me semble typique de l'état
d'esprit masochiste de la société française actuelle.
(à suivre)
paru dans La Mèche
2 commentaires:
Le problème, je le répète encore une fois, est que "notre" gouvernement semble avoir les MÊMES envies d'interdire les MÊMES formes de libre pensée que les terroristes islamistes.
Je pense que tu exagères, Georges !
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