Autrement dit, il faut (ou il faudrait) s'y habituer… Passé le chagrin, la colère, les doutes et
critiques sur l'action ou l'inaction de nos gouvernants (mais que fait la
police, que font les renseignements ?), vient la résignation.
Vraiment ? En tout cas une idée d'impuissance :
on sait très bien que ça peut arriver n'importe où n'importe quand. Si une
salle de spectacle ou un aéroport peuvent avoir un aspect symbolique, que dire
du métro ? C'est juste un endroit où beaucoup de gens sont rassemblés et
donc où le terroriste a des chances de faire le plus de morts. N'importe quel
lieu populaire, touristique, sportif, commercial, un grand magasin jour de
soldes, une file de cinéma jour de sortie, une manif pour tous ou pour les
autres, une nuite deboute, une sortie de salle de prière musul ou d'église ou
de synagogue, d'école, de lycée, etc. etc. Donc on s'y attend et en même temps
on ne sait "ni le jour ni l'heure" ni le lieu. C'est comme la mort,
quoi… On vit tous avec la mort en vue, on le sait, on l'oublie, tel fait nous
le rappelle périodiquement. Mais là, ça se concrétise en forme d'épée de
Damoclès invisible. Une ombre projetée (je sais, c'est pas tellement concret,
mais on se comprend…).
Et donc l'attitude que l'on a face à la mort, zen ou
désespérée, prend tout son sens, se concrétise aussi. La conscience de la mort
quitte le sous-conscient, le "en filigrane", pour entrer dans la
conscience claire et l'habiter. (Un peu comme dans le film "Jusqu'à ce que
la fin du monde nous sépare", où l'inéluctable de la fin du monde dans un
délai de trois semaines met au jour l'attitude de chacun face à la mort, sans
faux-fuyant possible. Et curieusement, ça file la pêche ! Mais bon, on n'a
pas tous une Keira Knightley comme voisine…)
« Choron est
mort, Cavanna est mort, Siné est mort… et moi-même je ne me sens pas très
bien. »
Tous les jours on apprend la mort de quelqu'un, que
l'on connaissait ou qui faisait partie des personnes connues ou aimées, de
notre paysage mental, social, culturel. Tous les jours, on apprend des
accidents, parfois terribles, genre bus en flammes ou avalanche. Et parfois des
coups de folie de déséquilibrés, surtout américains, qui tout à coup
mitraillent un campus ou un macdo… Mais les actes terroristes ont un autre
impact. Sans doute parce qu'on ne peut plaider ni l'accident ni la folie. Les
gens qui tuent, là, le font, semble-t-il, en toute conscience. (Je dis
"semble-t-il" parce que cela mériterait une redéfinition de ce qu'on
appelle la conscience et la folie : peuvent-ils être considérés
"sains d'esprit", "agissant en toute conscience", ceux qui
se font exploser en tentant de tuer le plus de gens possible autour
d'eux ?)
Les terroristes "rouges" des années 70
avaient pour but quelque chose comme instaurer le communisme et agissaient dans
le cadre de nos codes européens. Il n'étaient pas plus excusables mais plus
compréhensibles et, partant, plus combattables.
Serge
Tisseron : « Il n'y a pas à
établir de concurrence entre les diverses causes de mortalité, mais ce qui
terrorise à juste titre dans le terrorisme, c'est le fait de nous sentir
totalement à la merci d'évènements sur lesquels nous n'avons aucun contrôle.
Nous pouvons développer des pratiques de prévention de la maladie, choisir de
bien nous soigner ou pas, de prendre notre voiture ou non, de respecter les
règles de sécurité ou non, mais le terrorisme nous confronte à un sentiment
d'impuissance qui remet en cause le sentiment – que nous construisons
patiemment – de pouvoir organiser notre vie et notre mort comme nous
l'entendons. » (Le Monde)
Il a tout
dit, là… Ce nouveau quotidien qu'on n'a pas choisi, qui s'impose à nous. La
perte de la maitrise de nos vies, oui – ou de l'illusion de maitrise de nos
vies que nous entretenons par habitude…
Finalement,
au présent et subjectivement, peu importent les causes, extérieures
(Moyen-Orient) ou intérieures (quartiers…) ou historiques (guerres du Golfe…), il
reste qu'on a peur, à juste titre (et la peur est bonne
conseillère – jusqu'à un certain point), qu'on est en colère, pas
comme contre un volcan ou un tsunami, mais contre des gens (et la colère est
bonne conseillère – jusqu'à un certain point).
(Il serait
d'ailleurs intéressant de savoir comment ça se passe dans la tête des gens qui
vivent sous la menace, à proximité de Tchernobyl ou de Fukushima, au pied d'un
volcan, voire sur ses flancs très cultivables, sur les zones de faille où la
terre tremble périodiquement, Japon, Californie, en attendant le grand boum.)
Paru dans Psikopat
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