Stratégies étrangères.
Au bord des routes de
province poussent les putes – short et peau bronzée car c'est déjà l'été. Elles
s'appellent toutes Lola. Pour appâter le gibier, elles ne racolent pas, elles
attendent juste que la route ralentisse à l'ombre et largue son lot de mâles en
rut. Elles vendent cher leur peau, leur chair, leurs hormones et leurs
viscères. Leurs fluides corporels. La peau des fesses, ça coute. Les capotes et
klinexes ne sont pas compris dans le prix.
Au bord des routes de
province, il y a des grues de chantier, aussi, qui construisent maisons, lotissements
et cités intermédiaires entre retraite et cimetière. (Le terme grue est aussi utilisé pour désigner les
putes, semble-t-il. Mais pourquoi ? Et pourquoi y a-t-il autant de
synonymes – tous vieillis – pour prostituée ?)
Poussent aussi là des antennes
de télécommunication par micro-onde, dernières traces d'une civilisation de
science-fiction. Les étoiles sont paraboliques et les GPS tiennent compte de la
relativité d'Einstein (qui l'eut cru ?). Il est bien loin le temps des
télégraphes, du morse et du poste à galène.
Je n'ai rien à reprocher
aux éoliennes, qui pourraient aussi s'appeler Lola et qui, elles aussi,
poussent dans le décor au bord des routes. Mais je préfère prendre le train, le
"chemin de fer".
En train, je n'ai rien à
dire, rien à décider, je suis impuissant, porté par les rails du destin. Gare
de départ, destination, roulage jusqu'à une arrivée opinée en gare prévue à
l'heure prévue. Le train est une machine à métaphorer le destin inéluctable.
Mais qui pourtant y échoue. Tentative vaine : le hasard alcoolisé est toujours
prêt à reprendre ses droits : incident ferroviaire indépendant de notre
volonté, rupture de cathéter, fuite de lockheed, embardée de passage à niveau.
Et puis parfois, sur l'échiquier de la carte SNCF, deux trains décident de
roquer, je me retrouve à mon point de départ sans avoir rien vu de mon point
d'arrivée. Ai-je seulement vécu cet entre-deux ?
En train, espace en voie
de disparition, le ciel est un très long panoramique. Arrive la septième heure,
sévère, le crépuscule : on arrive à Massy. Cyprès sur l'eau : on
dirait l'ile des morts. Il y a peut-être une poupée tombée entre les branches.
De la fumée avant toute
chose. Et croquent les gaufrettes à destination de Nantes où sont les LU, comme
en Arles sont les Aliscams. (Suivant le bon conseil du fin poète, je prendrai
garde à la douceur des chose – diabète oblige. Plus tard, je déciderai
sans doute de mourir.)
Rentré
chez moi, des soupçons d'aventure frayent encore leur chemin entre mes
synapses. La lecture est sans rémission. Dans le désordre insane de ma
bilbothèque chargée de fantômes (car les livres sont les
fantômes de leurs auteurs, savez-vous) où
je range bilboquets et bilboquettes, oursons aux pieds velus et ktulus au pied
palmé, dans ce désordre, dis-je, j'extirpe une Aphrodite. Rousse, le sang aux
joues autant qu'à ses grandes lèvres vénusiennes. Corps doré adoré. Sa peau est
cuite cuivre, son front insoucieux, ses genoux tachés d'herbe fraiche et de
colombes. Les tropiques se réveillent. La couche de neige bondit à ma face, éclate de plumes
en muguet. Révolution du premier mai.
Puis la pression se
relâche.
L'univers est sans
concession et sans compassion. L'excès (l'en-trop) entraine l'entropie.
Il serait temps que je me
fasse exorciser les orteils comme le commun des immortels. Les rotules aussi. (Mettez-vous
à ma place.)
Pour l'heure, n'en ayant
pas une paire à me mettre sous les yeux, je me contente d'admirer les nibards en
ribambelle qui ballotent au gré du balancement du chwal de l'west dans les
westerns féministes. (— Ça existe ? — Oui ! L'étonnant "Convoi
de femmes" de William A. Wellman, 1950, sur un scénario de Franck Capra.
Mais les nibards n'y ballotent pas tellement, en fait…)
Il faut conclure.
— Tu as un beau chapeau, cow-boy, mais les coyotes
hurlent dans la plaine, surtout si tu regardes trop Lola, la fille du pasteur.
(La plaine de sel à traverser, d'abord, ce sel dont on bâtit des églises
blanches pour les femmes bronzées du Mexique.)
—
Tu ne sais pas de quoi je suis capable, renchérit
l'Indien au galop, déplumé.
— Et ton cheval, qu'est-ce
qu'il en pense ?
— Attends, je vais lui
demander.
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