Insomnie (ça
commence souvent par l'–).
Le marchand de sable a monté ses prix. Ma tête pèse
comme un dictionnaire.
Bien que ma colonne verbale ait de bonnes lunettes,
elle a cessé de respirer.
Dans la chambre, c'est l'hallali, à corps et à cris.
À cette heure (horrible manteau), le lit éventré me
vomit, la moquette m'accueille tous poils dressés (un hérisson en rut n'en
voudrait pas), je rampe l'escalier jusqu'à la salle de bain (sol de carreaux de
lave, murs peints, plafond céleste – lambris lazurés). Une douche hurlante me
réconciliera avec la vie. Le linge m'attend, frais trépassé.
À l'extérieur, la douleur pend.
Je sors dans la Terre battue. Les décapodes marcheurs
(homards, tourteaux, araignées de mer) ponctuent le sable de la plage de petits
pas pointus.
Cézanne m'emmène-eu
écouter les cigales-eu
au pied de la Sainte Victoire.
Dans une forêt de sycophantes, je croise une famille
de cendriers, espèce invasive surnuméraire qu'il convient de réguler (me dit le
garde-chasse). Mais qui est invasif surnuméraire, ici ? Ne serait-ce pas
l'espèce humaine ? Sur les 25 habitants du hameau, personne ne chasse. Les
chasseurs viennent d'ailleurs, envahisseurs en tenue camouflette et cascouquette
fluo, extraterrestres tombés d'une autre galaxie, robots de rodéo armés de machine-guns,
de lance-roquettes et de tire-laitues.
Avec nos arbres fruitiers, il y a confliture
d'intérêt.
Numérotez vos quatres-abattis. Secouez vos puces.
Lâchez les chiens !
Partout autour, il y a cette rumeur de moteur. Les
monstres ne se cachent même plus. Ils sortent en plein jour, ils se nourrissent
dans les poubelles (les sacs jaunes uniquement) et s'abreuvent en siphonnant
les réservoirs des tracteurs. Les voisins, tous les dimanches matin, promènent
leur machine à laver sur leur pelouse. À moins que je sois harcelé par des
bandes de moustiques motorisés qui murmurent à l'oreille des cerveaux.
Il y a bien une piscine, mais on y nage comme on
laboure : boustrophédon.
— Contente-toi de jouir de la baignade, me dit
Lola Lokidor. Rejette toute allégorie, tout ce qui exige interprétation. Les
faits, rien que les faits. Le réel, rien que le réel.
Et ne mets pas de S à quatre.
— OK.
Je vais par la route de briques jaunes jusqu'au
village voisin "Lachesis mutus" à la recherche des crimes qui ont enchanté
le monde. Trois têtes sont piquées sur des lances, comme des poteaux
indicateurs. C'est un village hypersensible : il y a trop d'humanité absorbée
derrière ses façades – et même le dimanche. Sur chaque trottoir, des mendiantes
supinent*. Des femmes enceintes, leur visage muet exprimant seulement la lourde
satisfaction de leurs hormones.
Je danse sur la mauvaise pente. J'ai laissé ma canne
à la Nouvelle Orléans. Un faux pas suffit pour dévisser. Freinant des quatre
fers, me cramponnant aux branches, j'essuie les plâtres des montagnes. Les
fruits murs tombent en un navrant exercice de style. Aucun mensonge ne peut
aider, pas plus que les rêves creux et la route de briques jaunes.
Trois sacs-à-main discutent sur le passage clouté,
puis se disputent, puis se battent. Épiphénomène hybride, mais cocasse.
Par dessus les toits, un funambule marche pieds nus
sur un fil de fer barbelé.
Plus loin, Keira Knightley, grande sorcière au cœur
de sable peinte en bleu, lascive vassale, affronte les chevaliers de la nuit, the night knights. (Les allitérations
peuvent être hallucinatoires, c'est le danger du systématisme. Mais il y a
toujours quelque chose pour rattraper le coup, adoucir l'acide des cerises,
trancher les nœuds gardiens des codes – les pianisses me comprendront).
— C'est quoi, ces manières ?! Soyez un nez, une
fois pour toutes, me dit mon chat. (Je pense qu'il voulait dire « Soyez
honnête ».)
Aussitôt, mes caténaires se brisent, mon pain se
rompt – petit patapon. Mais j'attendrai 2050 pour promulguer la fin du
monde.
— Vous n'avez pas le droit, ajoute-t-il. (Comme si
l'univers était régi par "le droit" !)
* Supination. C'est en
lisant "Premier amour" de Samuel Beckett que j'ai découvert ce mot.
État d'une personne couchée sur le dos. Le terme s'applique aussi à une main
présentée la paume en l'air, le pouce tourné vers l'extérieur, le geste du
mendiant, donc. Le contraire est la pronation,
en tout cas pour la main, alors présentée le dos en l'air, le pouce vers
l'intérieur.
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