DU COTÉ DE CHEZ DICK.
Le parc était presque désert. David, de son banc,
laissait errer un regard vague. Là-bas, sur la pelouse, il y avait un type en
combinaison de travail orange (un prisonnier ?) qui manipulait un truc… un
appareil… un outil…? Vu de loin ça pouvait passer pour un aspirateur à feuilles
mortes ou un détecteur de métaux. Il avançait de côté, balayant la largeur de
la pelouse de gauche à droite, puis reculait, faisait un autre rang de droite à
gauche. David pensa "boustrophédon", en se demandant ce que venait
faire ce mot dans sa tête et ce qu'il pouvait bien vouloir dire. Il se redressa
et, en concentrant son attention, il vit que l'engin manipulé par le prisonnier
(?) était en fait une sorte de sulfateuse, mais faisant office de pistolet à
peinture : là où il était passé, la pelouse était grise.
Grise ?! Ce type était en train de peindre l'herbe en
gris ?!
Un courant d'air froid passa entre les arbres de l'allée,
quelques feuilles tombèrent. David réprima un frisson. Il se rassit et,
baissant les yeux sur le gravier de l'allée, il vit que les graviers étaient……?
Il se pencha et en ramassa un. Un caillou blanc, vaguement rond, comme un
galet, mais avec trois marques sombres, trois creux disposés en triangle qui
dessinaient deux yeux, une bouche… comme un visage…
Comme une tête de mort.
Le caillou glacé glissa des doigts de David, percuta
les autres au sol, les rejoignit. David se rendit compte que ses pieds reposaient
sur des millions de crânes minuscules, desséchés, craquant comme des coquilles
d'escargots. Il releva les jambes, posa les pieds sur le banc, s'allongea.
Le banc se referma sur lui.
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Le naufragé sur l'ile de chair (d'après un titre de Robert Darvel et un dessin de
Fred Grivaud pour le Carnoplaste - collection Aventures) (Sans leur demander la
permission)
Je
ne comprenais pas comment j'arrivais là. (Il n'est pas sûr d'ailleurs que
parler en alexandrin avec rime intérieure à la césure allait arranger mes
affaires.) En bref, j'étais naufragé, jeté hagard sur la plage d'une ile
déserte. Déserte…? C'est la question qu'il faut toujours se poser, dans ce
genre de cas… Quant à la plage…? La texture du sol où j'étais affalé n'évoquait
en rien le sable. On aurait dit plutôt… de la chair. De la peau tiède et douce
et rosée de femme.
Je
bandais. Et comme j'étais à poil, les vagues et les crabes ayant dévoré mes
vêtements, si je me levais, ça allait se voir. Mais par qui ? L'ile
n'était-elle pas, comme il se doit, déserte ? Je levai les yeux vers la
lisière de la forêt qui bordait la plage. Une silhouette manifestement féminine
se détachait sur fond de ciel dans une trouée entre les arbres velus. Féminine
et armée : son bras se prolongeait par ce qui pouvait être, vu de loin, un
fusil-harpon de pêche sous-marine ou un arbalète médiévale. Vue de plus près
(car elle s'était approchée – moi, j'étais cloué au sol), c'était bien une
arbalète (bricolée). A part ça, elle ne portait rien d'autre qu'une ceinture de
cuir à laquelle s'accrochait le fourreau d'un couteau de chasse. Sa peau était
d'un profond vert luisant. Elle dégageait un parfum sui generis exceptionnel.
Elle me prit par les cheveux et, d'une main, me releva. Je m'extrayai de la
chair de la plage avec un bruit de succion. (Désolé, mais aucun dictionnaire
d'orthographe ne donne un passé simple au verbe extraire ou s'extraire. J'ai
improvisé.)
La suite, ce fut la torture rouge, le radeau de la
méduse, le bain de minuit avec Tarzan (toujours impeccablement rasé) et pas mal d'autres aventures exotiques, des prises de
bec avec un cacatoès au cours d'un karaoké, des brachiations dans les lianes et
l'odyssée que fut l'accession au sommet de l'ile en triporteuse en bambou.
(L'indigène au harpon était une fière bricoleuse. Elle parlait suédois, ça
aide.)
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L'homme à la jambe de femme (d'après un titre de Robert Darvel pour le
Carnoplaste - collection Aventures)
Suite
à un accident et à l'amputation qui suivit, les chirurgiens greffèrent à
Ludovic Fournaise une jambe de femme. Pendant la première année, il la traina
péniblement, inerte. Pour le fun, il la fit tatouer : aucune douleur. Puis,
petit à petit, les connexions artères, veines, nerfs s'établirent et
s'installèrent solidement. Le signe en fut la poussée des poils : sa jambe
était enfin valide, vivante.
Ludovic
acheta de la cire à épiler. La douleur commença.
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