INONDATION DE FIN DU MONDE
« Ça me fait chier d'être né sur terre, il pleut tout
le temps.
— Pourquoi on est sur Terre, aussi ? Hein, pourquoi
? » (Brève de comptoir)
Juin blêmit. La pluie n'a pas dit son dernier mot, le
monde sort de son silence et la pression est atmosphérique. Le naturel, chassé,
s'enfuit au galop à la vitesse de la marée au boulevard Saint-Michel. Des
stères de gangue limoneuse embrassent les gangsters et les limonadiers des chais
enlisés. Les alluvions envahissent le boulevard Gouvion Saint-Cyr et s'insèrent
entre les serres du jardin des plantes, lesquelles, apeurées à pleurer par ces
fuites, s'effritent et ruissellent, leurs fruits dégoulinant de liniment. L'orage,
au désespoir, pleut, vente, neige. Les nappes se font
frénétiques. Les piscines prennent l'eau…
… Et les cornes de s'embrumer.
Comme à l'appel de l'automne, les feuilles mortes se
ramassent sur elles-mêmes, prenant leur souffle, puis chargent et balaient tout
sur leur passage : enfants des jardins publics, grilles et tas de sable, et
balayeurs municipaux. La ville ne s'en remettra pas. Bientôt les transsexuels
brésiliens envahissent le Bois, et Boulogne se désespère, les quais de Seine
désertent, Montmartre implore notre pardon et la Place du Tertre gratte ses
croutes.
Trente-trois départements sont placés en garde-à-vue.
Sur la télé, la vigilance orange fait rage. Les journalisses y vont de leurs
clichés préférés, authentiques – ou presque… On apprend ainsi que les pluies sont
conséquentes, que comme une réaction en chaine fait boule de
neige, puis tache d'huile, l'eau est montée en flèche et la crue a tout emporté sur
son passage. Que les pompes sont prises d'assaut. Que les maisons prennent
l'eau à tombeau ouvert. Mais rassurons-nous, nous dit le monsieur météo :
d'aussi loin que nous le savons, c'est un fait assez rarissime. Désormais la
pluie va énormément faiblir, la matinée sera froide, voire très fraiche :
11° de la Côte d'Azur à Nice. Quant aux prévisions climatiques à long terme :
2050 : 50 degrés – sans nuances.
— C'est la nature qui
reprend ses droits.
•••
La dictature participative
bat son plein, de même que la dérégulation climatique. Pour l'éradication de
l'espèce humaine, l'industrie est plus efficace que la guerre. La guerre, c'est
périodique, l'industrie, c'est permanent.
Le monde moderne, c'est Game of
Thrones contre Hunger Games : le jeu des puissants entre eux contre les
jeux du cirque des affamés. Il viendra un temps où les gens mangeront les gens. (Déjà,
sur eBay, on trouve à vendre des implants mammaires d'occasion.) Des clones
morts-vivants profaneront les cimetières. Les lois n'y seront pour rien et n'y pourront
rien. Depuis longtemps déjà, le chant de la Terre joue faux.
•••
Je marche pieds nus sur la Terre massacrée. Restent seulement des arbres mangeurs d'hommes portant des fruits zombies.
Des boites de fer jonchent le sol. Elles contenaient,
avant, des seringues qui contenaient des poisons. Dessous, les
scolopendres rongent les soldats de sable. C'est que les champignons
ont pris les commandes du monde : nos cerveaux sont des éponges où les
spores se plaisent. Ils m'ont raconté comment ils
creusèrent un puits et entendirent les cris montés des enfers. Ils m'ont
raconté comment ils bâtirent la tour Éveil et chatouillèrent les couilles de
dieu. Ce sont les étoiles mourantes qui ont écrit leurs dernières volontés.
La maison m'appelle. Je m'éloigne. Et plus je
m'éloigne plus je perds mes doigts. Le sol se fait de plus en plus lourd,
obscurci de ronces et noir. Je tombe à genoux car j'ai perdu mes pieds. J'essaie
encore de ramper pour m'éloigner, mais c'est impossible. Chaque pas plus loin
souffre plus. Je n'ai même pas le courage de hurler. Pourtant il y a cette
étoile dans le ciel, devant, une étoile amère appelée Absinthe. Je ferme les
yeux, je renonce. Je ne fais même pas demi-tour. Je laisse la rotation
terrestre me ramener à la maison. En chemin je retrouve mes yeux, mes pieds,
mes doigts. La maison m'absorbe. Je suis bien.
•••
Une
conclusion s'impose : même si l'humain a ses spécificités, il est une espèce vivante
parmi les autres, lesquelles ont aussi leurs spécificités, le chimpanzé comme
la banane ou la blatte.
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