dimanche 8 juillet 2018

ALONE ON MOON / 34


La nuit a mis fin à ses jours.
À cinq heures, les oiseaux même pas ils chantent. (C'est quoi, ce français ?!)
Cette nuit j'ai rêvé d'une ancienne amoureuse et me suis réveillé tout schématique. (« Ne regarde pas en arrière », grince la voix derrière moi.)
Réveil. C'est dimanche mais les anges dorment encore. Champion du monde de descente de lit, je suis le seul témoin de l'aube et des éléphants qui piétinent dans le cirage. La radio joue "Send out the clowns…" par les Tiger Lillies et c'est très bizarre et beau.
La nuit m'étiquette au long cours, dérive mes produits qui s'embrochent. Toutes les nuits mes gencives saignent. Au matin je ramasse mes dents sur l'oreiller et je les recolle une à une. (Il faut d'abord que j'aie retrouvé mes doigts, bien sûr.) Pour les pieds, c'est plus simple, ils sont restés dans mes pantoufles, debout sur la moquette. Je n'aurai qu'à les enfiler, mais après la douche, quand ils auront désenflé. Pour l'instant je rampe jusqu'à la salle de bain. Les araignées me saluent au passage.
« La "théorie du ruissèlement" (dis-je tout haut le long de mon trajet,) qui suppose que les richesses produites par et pour les riches finissent par profiter à tout le monde, est une inversion de ce qu'est en réalité le ruissèlement : des millions de gouttes de pluie toutes petites tombent au sol et ruissèlent, c'est-à-dire convergent, s'aglutinent et forment des ruisseaux – qui convergent et forment des rivières – qui convergent et forment des fleuves. Etc. Bref, c'est le travail de tout le monde, ceux qui "ne sont rien", qui fait la richesse des riches. »
Les araignées m'écoutent gravement et approuvent en doodelinant.
La douche est comme prévu : mouillée. L'eau trop calcaire me raye la peau avec un grincement de craie sur un tableau. Des saumons me remontent le dos pour aller frayer sous mon scalp – j'ai l'habitude. Des grenouilles domestiques chantent la mort d'Isolde, cette infinie respiration où l'on perd le souffle.
Quand je sors de la douche, mes escargots préférés m'ont apporté mes pieds, je n'ai qu'à les enfiler. C'est que je n'ai plus le choix : quand le lendemain ouvre ses portes, il faut bien y entrer, même après seulement une ébauche de nuit (mémoire des nuits mouillées comme les poules et leurs chairs dispersées flatitude des mouches émerveillées par le soleil matin.)
Les ennuis commencent dès la sortie.
C'est dimanche après la hache, j'entends déjà le boulot des balayeurs dans l'allée. Des poudingues manchots exercent leurs talents à la lisière du bois. Des oiseaux éparpillés parallèles gazouillent criaillent. La maison d'en face est si pâle, le regard égaré, avec sa robe de calcaire et son chapeau de tuiles roses – cliché. Une parabole pend à la façade, silencieuse, aussi dépourvue de sens que celles d'un certain jésus triste. Des pommes de terre, encore en robe de chambre, descendent l'escalier en rappel. Le spectacle est à couper le beurre.
C'est le joli mois de juillet, qui est joli quand il fait beau et qui s'en fout quand il pleut (mais c'est compter sans les cochons).
Les matins de brouillard
Dans la fraicheur boueuse
Mon voisin débrouillard
Mange ses œufs brouillés
Sort sa débroussailleuse
Son sécateur rouillé. (Dans le but évident d'aller faire du nettoyage agraire dans les environs.)
Dehors, les fous de passants, les corps du délit, les champignons de l'apocalypse, les chansons vierges, les monstres vagues, les voisins vigilants, les animaux comestibles… Ils sont tous bizarres : ceux qui ne sont pas dingues sont au moins adultes.
Des cageots tombent du ciel. Un vent désinvolte étire en volutes les trainées de condensation des aviateurs sponsorisés. (Certains disent chemtrails. Paranos, bien sûr, mais il ne faut pas négliger l'impact psychologique de l'effet de la serre sur les champignons cérébraux.)
Je traverse la cour, je me rends au jardin par des chemins escarpolés, bien décidé à manger ses tomates nouvelles, s'il veut bien. Poursuivi par un mollusque de force 8, j'écrase quelques nains au passage. Je vide mon seau sur le compost. J'entends les abeilles.
Soudain, tout s'arrête.
Et tandis que les ombres volent vers la mer, je me tiens debout sur le centre du monde, et les larmes coulent librement sur mes poitrines bleues.
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