La nuit a mis
fin à ses jours.
À cinq heures, les oiseaux
même pas ils chantent. (C'est quoi, ce français ?!)
Cette nuit j'ai rêvé d'une
ancienne amoureuse et me suis réveillé tout schématique. (« Ne regarde pas en
arrière », grince la voix derrière moi.)
Réveil. C'est dimanche mais
les anges dorment encore. Champion du monde de descente de lit, je suis le seul
témoin de l'aube et des éléphants qui piétinent dans le cirage. La radio joue "Send out the clowns…" par les
Tiger Lillies et c'est très bizarre et beau.
La nuit m'étiquette au long cours, dérive mes
produits qui s'embrochent. Toutes les nuits mes gencives saignent. Au matin je
ramasse mes dents sur l'oreiller et je les recolle une à une. (Il faut d'abord
que j'aie retrouvé mes doigts, bien sûr.) Pour les pieds, c'est plus simple,
ils sont restés dans mes pantoufles, debout sur la moquette. Je n'aurai qu'à
les enfiler, mais après la douche, quand ils auront désenflé. Pour l'instant je
rampe jusqu'à la salle de bain. Les araignées me saluent au passage.
« La
"théorie du ruissèlement" (dis-je tout haut le long de mon trajet,)
qui suppose que les richesses produites par et pour les riches finissent par
profiter à tout le monde, est une inversion de ce qu'est en réalité le
ruissèlement : des millions de gouttes de pluie toutes petites tombent au sol
et ruissèlent, c'est-à-dire convergent, s'aglutinent et forment des ruisseaux –
qui convergent et forment des rivières – qui convergent et forment des fleuves.
Etc. Bref, c'est le travail de tout le monde, ceux qui "ne sont
rien", qui fait la richesse des riches. »
Les araignées m'écoutent gravement et approuvent en
doodelinant.
La douche est comme prévu : mouillée. L'eau trop
calcaire me raye la peau avec un grincement de craie sur un tableau. Des
saumons me remontent le dos pour aller frayer sous mon scalp – j'ai l'habitude.
Des grenouilles domestiques chantent la mort d'Isolde, cette infinie
respiration où l'on perd le souffle.
Quand je sors de la douche, mes escargots préférés
m'ont apporté mes pieds, je n'ai qu'à les enfiler. C'est que je n'ai plus le
choix : quand le lendemain ouvre ses portes, il faut bien y entrer, même
après seulement une ébauche de nuit (mémoire des nuits mouillées comme les
poules et leurs chairs dispersées flatitude des mouches émerveillées par le
soleil matin.)
Les ennuis commencent dès la sortie.
C'est dimanche après la hache, j'entends déjà le
boulot des balayeurs dans l'allée. Des poudingues manchots exercent leurs
talents à la lisière du bois. Des oiseaux éparpillés parallèles gazouillent
criaillent. La maison d'en face est si pâle, le regard égaré, avec sa robe de
calcaire et son chapeau de tuiles roses – cliché. Une parabole pend à la
façade, silencieuse, aussi dépourvue de sens que celles d'un certain jésus triste.
Des pommes de terre, encore en robe de chambre, descendent l'escalier en
rappel. Le spectacle est à couper le beurre.
C'est le joli mois de juillet, qui est joli quand il
fait beau et qui s'en fout quand il pleut (mais c'est compter sans les
cochons).
Les
matins de brouillard
Dans
la fraicheur boueuse
Mon
voisin débrouillard
Mange
ses œufs brouillés
Sort
sa débroussailleuse
Son sécateur rouillé. (Dans le but
évident d'aller faire du nettoyage agraire dans les environs.)
Dehors, les fous de passants, les corps du délit, les
champignons de l'apocalypse, les chansons vierges, les monstres vagues, les
voisins vigilants, les animaux comestibles… Ils sont tous bizarres : ceux
qui ne sont pas dingues sont au moins adultes.
Des cageots tombent du ciel. Un vent désinvolte étire
en volutes les trainées de condensation des aviateurs sponsorisés. (Certains
disent chemtrails. Paranos, bien sûr,
mais il ne faut pas négliger l'impact psychologique de l'effet de la serre sur
les champignons cérébraux.)
Je traverse la cour, je me rends au jardin par des
chemins escarpolés, bien décidé à manger ses tomates nouvelles, s'il veut bien.
Poursuivi
par un mollusque de force 8, j'écrase quelques nains au passage. Je vide mon seau sur le
compost. J'entends les abeilles.
Soudain, tout s'arrête.
Et tandis que les ombres volent vers la mer, je me tiens
debout sur le centre du monde, et les larmes coulent librement sur mes
poitrines bleues.
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