A priori, c'est tout simple, on le fait sans arrêt. Pourtant,
quand je me touche le bras gauche de ma main droite (par exemple), que se
passe-t-il ? Où est JE ?
On pourrait dire qu'un JE actif touche un JE passif. Et
donc qu'il y aurait deux JE simultanément. Ce n'est pas que le JE actif se
limite à ma main droite et le JE passif à mon bras gauche. JE reste partout en
moi, mais avec deux rôles différents
ou deux couleurs différentes. Un
émetteur, un récepteur. Et un échange constant entre les deux : la main
qui touche impacte la bras touché, par choc ou caresse ou pincement, mais
simultanément elle en reçoit une sensation en retour : mes doigts de la
main droite perçoivent la température, l'élasticité, l'humidité de la peau de
mon bras gauche. Le JE se vit simultanément comme touchant et touché, dans ce
point de contact, mais aussi globalement (sauf schizophrénie). Le JE se vit en
sujet actif touchant un JE qui lui se vit en objet passif touché mais instantanément
répondant, donc activé, et tout aussi JE. Émetteur > récepteur > émetteur
> récepteur… etc. Un circuit se met en place, les deux JE n'ont en fait
jamais été deux. (Sauf vaguement, dans un coin de la tête.) Simultanément (sauf
schizophrénie) et intégralement. Je veux dire de manière intégrée : JE
touche / JE suis touché, en un seul geste / une seule perception.
Si vous voulez une image plus forte, imaginez soit des
actions quotidiennes anodines comme se lécher les lèvres, se ronger les ongles,
se curer l'oreille avec l'auriculaire ; soit des actions plus
violentes : se masturber, se donner une gifle, se couper accidentellement
en coupant son pain, et même se mutiler ou se suicider… Tous ces actes où une
certaine attitude (active) du JE agit sur JE alors placé dans une autre
attitude (passive). Ces deux attitudes engageant cependant, tout JE, tout moi,
toute la personne.
Le JE (ou MOI) est UN, mais se vit, s'exprime, dans
différentes options, attitudes, facettes, charges énergétiques ; actif /
passif ; émetteur / récepteur ; action / réaction.
On peut examiner ça aussi dans des actions
intellectuelles : quand j'écris, simultanément, je lis ce que j'écris, ce
retour va nourrir la suite de mon écriture. Quand je dessine, mon cerveau-main
est actif, faisant, mais simultanément mon cerveau-yeux est activé et
retransmet instantanément ce qu'il voit à la part active. Circuit de feed-back.
Et il se passe la même chose pour quelqu'un taillant de la pierre ou du bois, et
pas forcément dans un but artistique : toute action sur la matière
engendre un circuit de feed-back. Et bien entendu cela joue aussi dans la
communication avec un autre vivant, animal ou humain, parlée ou muette. Pas de
communication à sens unique : circuit.
Michel Serres : « Quand je touche ma main de mes lèvres, je sens l'âme qui passe
comme une balle de part et d'autre du contact, l'âme s'ébroue tout autour de la
contingence. » ("Les cinq sens", 1985)
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