"Rêver 2074 / Une utopie du luxe français / par le Comité
Colbert" (et quelques écrivains et écrivaines…).
••••••••••
7) JOËLLE WINTREBERT - "LE
DON DES CHIMÈRES"
Je relis, et je vais
m'attarder davantage… parce que, quand même, c'est le meilleur texte, malgré
certains commentateurs qui semblent le trouver incommentable…
J'essaye un résumé.
Idunn, jeune biologiste,
travaille pour la multinationale Proteûs, dirigée par Karen Elysium. Elle élève
des chimères mimétiques, hybrides de phoques et de sauriens, obtenues par
manipulations génétiques. Elles ont des peaux magnifiques et muent
périodiquement. Dans leurs mues Proteûs fabrique et commercialise de
merveilleux tissus soyeux très chers.
Appelée par sa patronne,
Idunn se rend au siège de Proteûs. Au cours du voyage, l'impression du too much
des notations sensuelles, élégantes, positives, me resaute aux yeux. Le style
de Joëlle est souvent "fleuri", ce n'est pas une nouveauté, mais…
L'auteure joue à fond le par
exemple, la séance de commande de fringues de luxe permise à Idunn par la ligne
de crédit fournie par son "sponsor", Proteûs (dont on ne sait encore
rien… serait-ce le Comité Colbert ?). Je revois Pretty Woman faisant les
boutiques de Manhattan ! (Au cours du voyage, elle boit aussi du Reine
d'Ambre et est nantie d'un sac Savage en cuir monoforme. Plus loin il sera
question d'émotissu… Joëlle Wintrebert a bien lu la "bible"
littéraire et se plie au jeu de l'œuvre collective.)
Et puis arrive la
conclusion du passage, que j'ai déjà citée, comme d'autres commentateurs :
"Tu t’es
fait acheter, ma fille, et tu ne sais même pas pourquoi. Soudain glacée, elle
se blottit en position fœtale".
••••••••••
Arrivée sur place, dans
une magnifique réception sur un toit (bien sûr) Idunn apprend que, de
nouveau, comme dans plusieurs autres nouvelles, la Maison de luxe en jeu
(Proteûs) a des problèmes : la concurrence, ma bonne dame, des gens qui nous
copient (des Chinois ?) et font du dumping.
Et
puis, surtout, la vraie créatrice des chimères, Surya Yemaya da Matha, n'a pas
perdu ses pouvoirs, elle, non, mais a
quitté la boite. Elle élève ses chimères pour elle-même dans sa maison-fleur
flottante sur l'étang de Bages, près de Narbonne. Apparemment elle détient un
secret de fabrication, celui d'obtenir des chimères la "cérémonie du
don" (et nous revoici dans la "magie"…) qui permet d'obtenir des
peaux encore plus exceptionnelles.
Il
faut absolument qu'elle revienne travailler pour la maison-mère Proteûs, ou qu'elle
lui cède son savoir-faire secret qui permet d'obtenir des chimères le
"don".
Idunn
est donc chargée par Karen Elysium de la récupérer. (C'est un peu la même
problématique que pour l'espèce de détective de la nouvelle de Mauméjean qui
doit ramener l'artiste Gorgeia Akos. Et à la longue, les ressemblances
thématiques et narratives entre les histoires du recueil, excusez-moi mais ça
lasse.)
••••••••••
Idunn,
rend donc visite à Surya, qui décèle instantanément le sens de sa visite et la
jette. (Surya vient de subir une tentative de vol de chimère, tentative qu'elle
attribue à Proteûs.)
De
nouveau, aux ordres, Idunn tente d'entrer clandestinement chez elle, à la nage.
(Le but de cette manœuvre est assez flou…) Dans sa nage, elle rencontre les
chimères de Surya… qui l'électrocutent ! Mais qui évitent de la noyer.
Surya la sauve, l'invite à diner, fait la cuisine (gestes traditionnels
préservés). La discussion, ici encore, peut être jugée signifiante quant à la position
de l'auteur par rapport au Comité :
# Le beau visage d’Idunn se ferma.
« On ne m’a pas laissé le choix.
— On a toujours le choix ! s’emporta Surya. Même si Karen
t’a menacée, ce dont je doute, tu pouvais refuser.
— Vous êtes riche ! explosa Idunn en retour. Vous avez
toujours été riche ! Vous n’avez jamais dû chevaucher en permanence la vague
la plus haute, prouver jusqu’à l’épuisement que vous étiez la meilleure, la
plus brillante, la plus désirable, vivre avec l’angoisse incessante d’un
déclassement. »
Surya la regarda, étonnée. La souffrance de cette femme,
évidente, lui échappait.
« Et pour ne pas te
déclasser, tu acceptes n’importe quoi ? #
Un
cri du cœur ! Justifié aussitôt par le fait d'avoir la responsabilité d'une
enfant handicapée. « Oui, si c’était possible et si ça me permettait de sauver
ma fille, je vous volerais jusqu’à votre dernière chimère. » En effet, un aspect de l'histoire à peine évoqué
jusqu'ici se fait jour : Idunn a une fille, Thilde, enfermée dans un institut
lointain. Elle est présumée autiste (mais en réalité traumatisée par la mort de
son père).
Idunn perçoit et révèle alors une nouvelle raison, la raison
profonde de "pourquoi elle s'est laissée acheter". Au delà de
protéger la paix de ses chimères, elle a "plié pour la protéger", sa
fille.
Sous l'impulsion de Surya, Idunn fait venir sa fille. Surya la met
en contact avec les chimères. Ce sera une sorte de cérémonie de guérison
chamanique… Oui, de la magie, encore, un miracle de guérison qui se produit
sans prévenir, sans plus d'intervention humaine, la "cérémonie du
don" : les chimères chantent, brillent, dansent un ballet, offrent toutes
ensembles leur mue… je pense à du Miyasaki, du Moebius ou du Theodor Strurgeon…
L'idée de fusion, encore. C'est assez beau, même si c'est encore quelque peu
New Age…
••••••••••
Et
c'est là la véritable fin de la fable. Ça aurait du être là, du moins.
Puis
vient une attaque : des sortes de mercenaires investissent les lieux, tuent
deux chimères et repartent avec deux autres. Mais Erik Strand, un homme
rencontré chez Proteûs, et qui semblait flirter avec Idunn (ou l'espionner), intervient
et les libère. Il est en fait l'envoyé de Proteûs, chargé de protéger Ildunn,
Surya, les chimères… Quant aux agresseurs, on soupçonne qu'ils aient eux-mêmes
été envoyés par Proteûs, que tout cela soit une grosse manœuvre pour faire
revenir Surya, type "je te mets en danger, puis je te sauve, la
reconnaissance te ramènera à moi…"
J'avoue
que tout cet épisode est la grosse faiblesse de la nouvelle, il apparait
inutile, inutilement tordu. Nécessité de faire de l'action ? de faire
intervenir un élément masculin, prince charmant, chevalier servant, puis James
Bond…? Et surtout sans doute d'obtenir le retour de Surya à son commanditaire
Proteûs et sa "reine-mère" Karen Elysium. Pourtant les deux femmes
auraient bien pu s'allier pour fonder leur propre société d'élevage de
chimères, détourner cette énergie à des fins de soins… guérir les autiste… c'est
quand même mieux que d'habiller les riches héritières !
# « Mais imagine si
ces créatures fabuleuses arrivent à guérir les enfants. Proteûs et toi, vous ne
seriez plus seulement calliphores ! Vous ajouteriez le soin à l’extrême émotion
esthétique. Même si la rareté des peaux les réserve toujours à peu d’élus, leur
destination cesserait d’avoir pour seul but le luxe et la beauté ! »
••••••••••
Détournement de chimères
Ce
qui est en jeu, là, ce n'est pas le luxe en soi, ou pas seulement. Une
technique (les manipulations génétiques) a permis de créer des chimères, des
bêtes "de luxe" (leur pelage, leurs mues), mais aussi empathiques,
guérisseuses. Mais pour que cet aspect thérapeutique soit éveillé, mis au jour,
il a fallu les détourner de leur usage premier qui est de produire des
peaux-tissus de luxe : c'est là-dessus que vit la compagnie Proteûs où cette
création de beauté (visuelle, sensuelle) n'est exploitée que pour le fric.
"Care"
Pour
que le scénario mène à autre chose, il aura fallu détourner les chimères de cette
"vocation" commerciale. Détournement "moral", donc, exercé
par les deux femmes biologistes, la gamine perturbée, les chimères elles-mêmes (qui
semblent bien souvent avoir l'initiative)… et l'auteur – l'auteure. Un
complot de femmes. C'est le triomphe du féminin sur le mode du
"care", bien au delà de la mode, des merveilleux tissus, peaux, sac,
parfums, tout ce bazar de la "féminité" Vogue, et bien au delà du
"féminisme" revendicatif. C'est "le féminin" en tant que
puissance empathique, compassionnelle, active.
La
technique génétique, présentée ici plus comme un art que comme une technologie,
suppose le fric, et donc suppose la clientèle luxe comme pompe à fric. Mais il se
produit un détournement (une trahison) des biens vers le bien, le bien proprement
humain. Dans d'autres nouvelles, il y avait aussi des détournements des buts
commerciaux vers des but moraux, voire vers l'amour universel. Mais finalement,
le détournement de sens opéré par Joëlle Wintrebert va plus loin que "se
laisser acheter pour assurer la paix de ses chimères", comme je l'évoquais
dans mon premier billet : il s'agit ni plus ni moins que de ramener un
enfant à la vie. S'il y a encore du miracle là-dedans, c'est beaucoup plus
réel, concret, humain, que l'éthéré diamant mystique de Jean-Claude Dunyach. On
sait d'ailleurs le bien que peut faire aux enfants perturbés le contact avec
les animaux, chiens, chats, chevaux… et pourquoi pas otaries, modifiées
génétiquement ou non.
Du
plaisir (le luxe), on est passé à la joie.
Disons quand même que si un détournement du luxe a eu lieu, c'est
seulement partiellement : "la rareté des
peaux les réserve toujours à peu d’élus"… ah bon, je croyais qu'on était dans le rêve du luxe pour
tous… Il fallait sans doute, pour les personnages, dans la logique de
cette utopie rien moins que socialo-communiste, respecter les BREVETS déposés,
et pour l'auteur, ménager la chèvre et le chou et donc le Comité Colbert,
défenseur des multinationales du luxe "calliphore" (et la calliphore
nie, c'est bien connu).
••••••••••
2 commentaires:
Pas lu, bien sûr.
Mais quand même j'ai une question.
D'un côté, Idunn veut sauver sa fille en profitant des largesses de Proteûs, Et là il s'agit de vie, de joie.
mais quand elle fait les boutiques, il y a compromission, c'est pour elle qu'elle les fait. N'est-ce pas un moment où elle jouit du luxe de Proteûs ?
Eh oui………… On se laisse facilement aller au luxe, quand il est offert gratos…
Enregistrer un commentaire