Je traduis ici un article lu en anglais dans le New
York Times. Traduc sans doute un peu maladroite faute de travail, mais le sens
y est.
Mustafa Akyol
Est-ce que les
"musulmans modérés" vont finir par élever la voix contre leurs
coreligionnaires militants ? Dans le monde entier, on a posé la question,
mais, comme par le passé, sans l'examiner sérieusement.
Certes, les hommes
d'État, membres du clergé et intellectuels musulmans ont ajouté leurs voix aux
condamnations du terrorisme par les dirigeants du monde entier. Mais ils
doivent soulever une autre question essentielle : la discussion et la
réinterprétation de la position traditionnelle de l'islam à propos du
"blasphème" ou de l'insulte envers le sacré.
Les terroristes de
Paris étaient apparemment animés par le zèle de punir le blasphème, et la
ferveur envers la même cause a produit ce genre de militance au nom de l'islam
dans diverses affaires (fatwa contre Salman Rushdie, manifs contre le
Jylland-Posten et ses caricatures de Mahomet en 2005).
Les moqueries sur
Mahomet, réelles ou perçues comme telles,
sont au cœur de presque toutes ces controverses sur le blasphème.
À première vue, ça
peut sembler sans importance, mais il y a quelque chose d'étrange là dedans, car
le prophète Mahomet n'est pas l'unique figure sacrée de l'islam. Le Coran loue
d'autres prophètes – comme Abraham, Moïse et Jésus – et dit même aux
musulmans de "ne pas faire de distinctions" entre ces messagers de
Dieu. Pourtant, pour quelque raison, les islamistes extrémistes semblent
seulement obsédés par le prophète
Mahomet.
Encore plus
bizarrement, la moquerie envers Dieu – qu'on pourrait s'attendre à voir comme le blasphème le plus outrageant
– semble avoir échappé à leur attention. Les magazines satiriques comme Charlie
Hebdo ont sorti des dessins ridiculisant Dieu (dans les contextes juifs,
chrétiens et musulmans), mais ils n'ont été pris violemment pour cibles que
quand ils ont ridiculisé Mahomet.
• Bien sûr, je ne
dis pas ça pour dire que les extrémistes devraient s'en prendre violemment aux
caricaturistes pour des raisons théologiques plus variées ; à l'évidence
ils ne devraient pas s'en prendre à eux du
tout. Mais cette focalisation exclusive sur Mahomet mérite d'être examinée.
Une explication évidente serait que Dieu et les autres prophètes sont sacrés aussi dans le judaïsme et le
christianisme, alors que Mahomet n'est sacré que pour les musulmans. En d'autres termes, le zèle ne s'appuie pas
sur le respect du sacré en général, mais sur ce qui est sacré pour nous – nous les musulmans. Ainsi, cette
sensibilité unique autour de Mahomet apparait comme une affaire de nationalisme
religieux, focalisé sur la communauté terrestre plus que sur la foi
profonde dont le point principal serait le divin.
Cependant, ce
nationalisme religieux est guidé par la loi religieuse, la charia, qui inclut des clauses punissant le blasphème comme péché
mortel. Il est donc d'une importance vitale que les penseurs musulmans ouvrent
aujourd'hui avec courage cette controverse. Ils peuvent commencer par
reconnaitre que, même si la charia
s'enracine dans le divin, la grande majorité de ses commandements ont été
édictés par des hommes et reflètent en partie les valeurs de l'époque de son
édiction (du 7ème au 12ème siècle), époque où d'autres religions
comme le christianisme considéraient le blasphème comme un crime capital.
En fait, la seule
source de loi islamique que reconnaissent indiscutablement tous les musulmans
est le Coran. Et manifestement le
Coran n'ordonne aucune punition terrestre pour le blasphème – ou pour
l'apostasie (abandon de ou renoncement à la foi), concept apparenté. Dans le
même ordre d'idée, le Coran n'ordonne pas non plus la lapidation, l'excision ou
le bannissement des beaux arts. Toutes ces innovations doctrinales sont des
interprétations médiévales liées aux normes de leur époque et de leur milieu.
Typiquement, les
punitions sévères pour blasphème ou apostasie sont apparues quand des empires
musulmans despotiques avaient besoin de justifications religieuses pour éliminer
leurs opposants politiques. L'un de ces premiers "blasphémateurs"
était le pieux universitaire Ghaylan al-Dimashqi, qui a été exécuté au 8ème
siècle par l'empire des Omeyyades. Sa principale "hérésie" était
d'insister sur le fait que les dirigeants n'avaient pas le droit de considérer
leur pouvoir comme "un don de Dieu", et qu'ils devaient prendre
conscience de leur responsabilité envers le peuple.
Avant ces
extensions et durcissements de la charia
liés à la politique, le Coran disait aux musulmans qui faisaient face à
des moqueries de la part des païens : « Dieu vous a dit dans le livre
que quand vous entendez les révélations de Dieu contestées ou moquées, ne
restez pas assis en compagnie de ceux-là, et ce jusqu'à ce qu'ils parlent
d'autre chose ; sinon vous deviendriez comme eux. »
Juste « ne restez pas assis en compagnie de
ceux-là », c'est la réponse à la moquerie que le Coran suggère. Pas la
violence. Pas même la censure.
Les sages
dirigeants musulmans du monde entier apporteraient un grand bienfait à l'islam
en prêchant et en réitérant de tels commandements non violents et non
oppressifs en réponse aux insultes envers l'islam. Cette instruction pourrait
aussi aider leurs coreligionnaires les plus intolérants à comprendre que la
colère n'est rien d'autre qu'un signe d'immaturité. Le pouvoir de toute foi ne
vient pas de la coercition envers les critiques et dissidents. Elle vient de
l'intégrité morale et de la puissance intellectuelle de ses croyants.
(Mustafa Akyol, in
International New York Times, 15 janvier 2015. Auteur de "Islam Without
Extremes : A Muslim Case for Liberty".)
(Traduction
personnelle, 28 janvier 2015. Les soulignés sont de moi.)
3 commentaires:
Bon sang Caza ! Tu as conscience avec ton superbe dessin que tu viens de leur fignoler un terrible logo ?
Le plus marrant, c'est qu'ils ne peuvent pas s'en servir !
Quelle subtile perversité.
Il est magnifique ce dessin! (comme d'habitude).
Merci,
Laurence
Excellent article et très beau dessin. Je ne connaissais pas ce blog avant, mais il file dans mes RSS.
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