Ceci prolonge le post du 24 février
"La foi des autres" mais n'exclut pas de garder en tête
"L'exception islamique" du 28, ainsi que l'article de Mustafa Akyol
"Le problème de l'islam avec le blasphème" (8 février) parce que,
même si je me réfère souvent au christianisme (parce qu'il fait partie de ma propre
culture) celui-ci, actuellement, ne brule ni ne kalashnikovise personne et que
c'est bien l'islamisme qui fait chier le monde.
Remarque
préliminaire (ou simplement liminaire, je sais pas…).
Bien sûr, je ne vois pas le dessin
précédent ("Il est d'enfer, ce pape !") comme un blasphème (dont
j'ai une notion très restrictive – voir plus bas). Je n'y vois pas d'insulte
non plus – je trouve même ça plutôt rigolo et sympa – et si j'étais
le pape, je prendrais ça bien ! (= j'en rigolerais.)
Par la suite, je vais revenir sur les
question d'injures, d'insulte, d'offense, de moquerie, d'ironie, d'humour.
Essayer de les définir, certes, mais avec l'idée bien ancrée qu'il faut s'entrainer
à les penser hors d'une supposée
objectivité.
Quand on parle d'"offense à Dieu"
ou à la religion, ou aux croyants, on parle comme s'il existait objectivement une offense. Or (encore
plus que le "froid ressenti" par opposition au froid objectivé par le
thermomètre) il n'y a que de l'offense
ressentie – ou non.
N'importe lequel des termes cités plus
haut (insulte, offense, etc.) recouvre
en fait une réalité à plusieurs point-de-vue : • celui de l'émetteur (et ses intentions) +
celui du récepteur (et son ressenti)
+ le contexte social, historique,
anthropologique : le voisin de l'émetteur, celui du récepteur, leurs
familles, la culture de l'époque, les mœurs, l'habitus, la coutume, la loi. (Ne
jamais oublier le contexte !)
Avec un peu d'entrainement, on voit
vite que dans ce domaine, il n'y a pas
d'objectivité – seulement un consensus
social – qui n'est lui-même qu'une généralisation
à partir de l'opinion de la classe dominante ou celle du plus grand nombre.
Dans un pays chrétien (sous l'ancien régime), l'opinion chrétienne EST le
consensus social. Mais dans un pays laïque et multi-religieux, la situation se
complique. Les opinions additionnées, mêlées ou coordonnées de toutes religions
confondues sous l'étiquette "la religion", ou "les
religieux", ou "les croyants"… 1) forment-elle UNE
opinion ? Et 2) peuvent-elles représenter le consensus social ?
Car le grand public des athées, agnostiques, indifférents… ne
peut pas se joindre à ce consensus des religieux, sinon sur la base de critères
extra-religieux : sensibilité, empathie (« Je ne suis pas d'accord avec
votre opinion, croyance, foi, mais je ne souhaite pas vous insulter et je
n'aime pas, par compassion, qu'on vous insulte en votre opinion, croyance, foi.
Partant de là, soit je vous défends, par "fraternité", soit je vous
dis : c'est votre problème, blindez-vous ou laissez tomber vos bêtises… ou
choisissez le bon sens et la prudence : on vous insulte quand vous sortez
dans la rue avec votre kippa ? Réservez la aux lieux de prière. »)
Quant à l'État (laïque, a-religieux,
profane, athée), lui non plus ne peut pas se joindre à cet éventuel consensus
des religieux, pas plus que les instances judiciaires. Laïques, a-religieuses,
profanes, athées, elles ne peuvent que faire appel, non pas au fmou des
"valeurs de la république" ((le fmou, heureuse faute de frappe, c'est
à la fois le flou et le mou)), mais, techniquement, se référer au droit civil et civique, à la loi de la république, l'appliquer,
et, en cas de carence, d'insuffisance de la loi, rendre des jugements qui
créeront une jurisprudence. (Le juge est d'abord, étymologiquement, "celui
qui dit le droit", partant il "applique le droit", "rend la
justice".) La Loi est finalement la seule forme d'objectivité à laquelle on puisse se référer, c'est une fabrication humaine, profane, collective,
l'expression institutionnalisée d'un
consensus social situé au dessus des opinions religieuses, culturelles,
communautaires et individuelles, et susceptible d'être revue et corrigée quand
le besoin s'en fait sentir. (Et c'est une sorte d'anarchiste qui vous le
dit !)
Si on n'admet pas ça, on ne vit pas en
république.
Le religieux qui place la loi de Dieu
au dessus des lois des hommes ne vit pas en république.
••••••••••
Définir
"blasphème".
Les définitions données par Larousse ou
Robert (les petits) sont très larges et finalement très vagues : "parole
qui outrage la Divinité, la religion". Je suppose que les rédacteurs ont
dit "la Divinité" pour rester dans le très général, éviter de
préciser de quel dieu il s'agit. La majuscule laisse penser cependant qu'il
s'agit toujours du même : LE Dieu unique, celui des trois monothéismes.
Question théologique, alors : Dieu, suprême créateur de l'univers,
éternel, tout-puissant, peut-il se sentir outragé par la parole d'un
homme ? Et si oui, pourquoi ne lui balance-t-il pas direct un éclair sur
la tronche ? Vieille question qui n'appelle qu'une réponse sérieuse :
parce qu'il n'existe pas.
Quant à "la religion", c'est
qui, c'est quoi, pour qu'elle puisse se sentir outragée ? Un fait
historique, social, anthropologique peut-il être "outragé" ?
Peut-on insulter une abstraction généralisante comme "la
civilisation", "le progrès", "la femme" ? Et puis
la définition de "la religion" pose problème : s'agit-il de la
foi, de la croyance, d'un ensemble de rituels collectifs, de la communauté des
croyants-pratiquants ? L'essence de la religion chrétienne, est-ce la
Bible, ou telle prière, le costume du curé, les sculptures romanes ou sulpiciennes ?
Une série de commandements moraux, ou les miracles de Jésus… marcher sur l'eau
changée en vin… et ceux de Lourdes…? (Extrapolez vous-mêmes vers les religions
voisines à base de Torah ou de Coran.)
Donc,
pour commencer, peut-être définir "la religion".
J'aime bien la définition lapidaire de
la religion par Durkheim : « Pensée et pratique ayant pour essence de
distinguer les choses et les actes selon qu'ils sont sacrés ou profanes. »
Il y manque pourtant la dimension collective, sociale, qui est essentielle. La
spiritualité intime, ce n'est pas "la religion".
Le Petit Robert est plus copieux (et se
mouille peut-être trop en mêlant nommément "Dieu" à
l'affaire…) : « Ensemble d'actes rituels liés à la conception d'un
domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l'âme humaine en
rapport avec Dieu. » Mais il précise diverses nuances, ou diverses
acceptions : « 1) LA religion (en général). Reconnaissance par
l'homme d'un pouvoir ou d'un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à
qui obéissance et respect sont dus ; attitude intellectuelle et morale qui
résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle social, et qui peut
constituer une règle de vie. ((Je reprocherai à cette définition le terme
"l'homme", tellement généralisant.)) • 2) Attitude particulière dans
ses relations avec Dieu. (Déisme, panthéisme, théisme, mysticisme…) • 3) UNE
religion. Système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec
un principe supérieur, et propre à un groupe social. ((Équivalents :
"Confession", comme on dit "quelqu'un de confession
juive" ; "Culte", par exemple : "le culte
musulman"…)) • 4) Au figuré. Sentiment de respect, de vénération, ou
sentiment du devoir à accomplir, par comparaison au sentiment religieux. Plein
engagement. (Un artiste peut vivre son art "comme une religion".) »
En guise de résumé, je tente :
« Croyance par un groupe humain d'un pouvoir ou d'un principe supérieur de
qui dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus ; attitude
intellectuelle, morale et sociale (dogmes, rituels, pratiques) qui résulte de
cette croyance, et qui peut constituer une règle de vie individuelle et
collective. »
(à suivre)
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