Intention ? Il y a (ou pas)
volonté d'insulter, de blesser l'estime de soi de l'autre.
Question : quand c'est
fait sans intention d'offenser, est-ce "une insulte" ? Ou
seulement pour celui qui se ressent
comme offensé – j'y reviens.
Ressenti : il y a (ou pas) un
ressenti d'insulte (humiliation, vexation, atteinte à l'estime de soi, se
sentir méprisé…) (J'ajoute qu'il faut bien se rappeler que, dans la parole, le
ton de la voix, l'expression, la gestuelle, peuvent faire de grosses
différences entre un simple constat critique et une remarque insultante.)
Et se pose toujours la question
de l'identification de l'individu à une religion, un mythe, une idéologie. Si
je suis anarchiste déclaré et que quelqu'un dit "l'anarchie, c'est de la
merde", l'intention de cet émetteur n'est pas forcément de m'insulter,
moi ; et dois-je me sentir visé, moi individu, insulté ? (De même une
insulte au Coran ou à Mahomet ou à la Bible ou à Jésus inclut-elle automatiquement l'insulte à tous les croyants de ces
confessions ?… Je cherche en moi s'il y a une cause ou conviction ou idée
générale à laquelle j'adhère dont je ne supporterais pas qu'elle soit insultée
par un tiers… Je ne trouve rien… J'ai peut-être un manque…)
En réponse à une insulte ressentie, il y a ressentiment (justement), désir de revanche ou de vengeance.
Ou pas. Ce qui suppose humour
dans le sens de capacité à l'autodérision, à ne pas se prendre trop au sérieux.
L'absence de réponse violente est la marque du civilisé. Freud disait un truc
dans ce genre : la civilisation commence quand on remplace un coup de poing par
une insulte. (On peut chercher comment elle continue, après… Au delà de l'insulte…
quelque chose comme le dialogue,
sans doute.) Il s'agit bel et bien de brider un instinct naturel. Quand le pape
dit « [si quelqu'un] dit un gros mot sur ma mère, il doit s’attendre à recevoir un
coup de poing ! C’est normal… » C'est
"normal", oui, chez les singes ou chez les GCP (gros con primaires),
mais on peut déjà lui rappeler les paroles d'un certain Jésus qui parlait de
tendre l'autre joue.
Et là, je reviens au légal. Philippe Huneman : « Le droit moderne reconnait
l'opposition entre les deux types de violence : si vous frappez quelqu'un parce
qu'il a injurié votre mère, vous serez condamné : le juge ne considèrera
pas l'insulte proférée comme une justification de votre violence
physique. » (Philosophie Magazine 87). Ça ne veut pas dire que la
violence verbale et donc psychologique n'existe pas, mais qu'elle garde, le
plus souvent, une ambigüité qui empêche de la condamner au même titre qu'une
violence physique, objectivable, elle, mesurable en "coups et
blessures", facturable en frais médicaux… Une moquerie, on peut s'en
foutre, un meurtre est irréversible. (Je ne nie pas la souffrance que peut
entrainer l'insulte, la violence verbale, et a loi ne la nie pas
systématiquement.)
Et de là, – suite dans les
idées… – je reviens au blasphème
(qui après tout est la question de base de ce travail de réflexion), toujours
avec le philosophe Philippe Huneman : « Il
faut établir une distinction claire entre l'insulte ou la diffamation, et le
blasphème. Pourquoi la loi ne considère-t-elle pas le blasphème comme la
diffamation ou l'injure ? Parce que l'insulte vise un citoyen, une
personne réelle qui peut souffrir des conséquences, alors que le blasphème vise
des entités – Mahomet, Jésus, Marie, Bouddha… – à l'existence desquelles seules
quelques personnes croient, et qui, en elles-mêmes, ne peuvent pas être
lésées. »
Se retenir, retenir son
instinct sauvage ou infantile, c'est la civilisation. Au début, il faut se
forcer, pour sortir de son sérieux infantile, de sa susceptibilité, sa vexativité
(vexabilité ?). Pour ne pas en garder un ressentiment, ce n'est pas
simple, c'est toute une éducation ou auto-éducation, qu'on peut appeler apprivoisement ou domestication… ou maturation.
C'est que d'abord, dans la société primitive des enfants, tu crains de passer
pour un lâche si tu ne réponds pas. Ensuite, retournement, tu crains de passer
pour un sauvage ou un GCP si tu n'es pas capable d'humour,
d'autodérision : prendre la distance, rire de toi-même. D'abord, c'est un
effort, certes, mais à la longue ça peut s'installer comme une seconde nature.
C'est l'éducation, c'est la civilisation (bis). (On verra plus loin la question
du chantage exercé par la caricature, la moquerie, l'humour.)
Un autre élément de la
civilisation, c'est l'appel à l'autorité officielle. Ce que j'ai désigné plus
haut comme la seule forme d'objectivité
à laquelle on puisse se référer : la Loi. Quand, entre adversaires, on
s'avère incapables de régler un conflit, on s'adresse à une instance
supérieure, reconnue comme supérieure par les deux parties ou partis. La loi,
le jugement qui arrête la bagarre, qui rompt le cercle ou l'escalade des
vengeances réciproques. Bien sûr chacun ne sera pas forcément d'accord avec le
jugement rendu par la loi, mais il peut l'accepter ou s'y résigner s'il
reconnait l'instance légale en question. Exemples : • un conflit entre
frères : le père tranche ; • un conflit entre locataires : le
propriétaire tranche.
Il y a problème si l'autorité
n'est pas reconnue. C'est l'un des problèmes politiques actuels.
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