John Stuart
Mill disait que le devoir de l'État n'est pas la providence (une sorte de
charité qui perpétue la soumission), ni de fournir des emplois. Pour lui,
l'État devait promouvoir les vertus de l'homme indépendant. Donc le
libéralisme.
L'État libéral
(libéraliste) serait un logiciel sans contenu. Une pure structure structurante.
Sans contenu, donc sans morale. Soit le libéralisme – qui ne promettait rien
d'autre que l'autonomie, l'émancipation des individus (avec son bon côté :
l'autogestion). L'ennui, c'est que ce sont toujours les plus méchants qui
s'emparent des principes structurants sans contenu et sans morale et qui
imposent le contenu(*). C'est ainsi que le libéralisme est « devenu le
bras armé du capitalisme, le socle idéologique de sociétés inégalitaires et
aliénantes. » (John Dewey)
(*)
Rappelez-vous l'aventure de l'intelligence artificielle Tay, en mars 2016, logiciel
sans contenu qui s'est fait manipuler par les plus méchants et les plus cons et
a proféré sur Twitter des messages dignes de Donald Trump. D'ailleurs, on peut
soupçonner Trump d'être un pur logiciel sans contenu, une émanation de Tay qui
capte des mots-clés racistes et sexistes qui passent et compose des phrases
avec, au hasard…)
On peut plutôt
voir ou revoir "Her" (Spike Jonze, 2014), avec Joachin Phoenix
amoureux de l'O.S. (système d'exploitation) de son ordi, lequel se nomme
Samantha et parle (et rit) avec la voix de Scarlett Johansson (son meilleur
rôle, puisqu'on ne la voit pas, et surtout pas en superhéroïne).
•••
Le langage
symbolique est partout, bien à tort. On dit ainsi que, à Charlie, les
djihadistes se sont "attaqués à la liberté" (d'expression), à
l'Hypercacher ils se sont "attaqués à l'égalité", au Bataclan à "la
fraternité". Et pourquoi pas aussi, aux terrasses, "à la
convivialité, à Nice à la festivité de l'estivalité…?"
Non. Ils ont
tué des gens.
On nous parle
d'intolérance, de racisme, de haine, de violence. Mais tout ça n'existe
pas : il n'y a que des gens intolérants, racistes, haineux, violents. Et
des gens victimes de ces gens intolérants, racistes, haineux, violents.
Nous sommes
(en particulier les Français) dans les idées. Culture nourrie de platonisme et
de christianisme ("le platonisme pour le peuple", dixit Nietzsche).
Le Mal, le Bien, la Paix : Idées à majuscule… on adore.
D'ailleurs,
les Charlie ne "défendaient pas la liberté d'expression", ne se
battaient pas pour la liberté d'expression. Ils exerçaient la liberté d'expression disponible, celle qui ne s'use
que si l'on ne s'en sert pas. Ils pratiquaient
la possibilité concrète d'exprimer des opinions, des critiques, des moqueries,
même parfois des insultes… de s'exprimer contre tel gouvernement ou gouvernant,
telle religion (toutes), tel parti ou homme politique, tel personnage public,
vedette ou autre, de goitre comme de drauche. Ce n'est qu'à partir du moment où
on les a attaqués (procès, insultes, violences, meurtres) qu'ils sont devenus
des symboles pour le monde, décorés chantres de la liberté d'expression,
allégorisés, et, partant, contraints et forcés d'assumer ce rôle… à leur corps
défendant (l'expression sonne tragiquement juste). Pourtant, non, ils n'ont pas
"sacrifié leur vie" pour la liberté d'expression (quelle formule
horrible issue encore de la religion et de l'héroïsme mirlitaire !).
L'idéal, l'idéalisme, l'idéologie, la folie sacrificielle, était bien loin
d'eux. (On dit ça des djihadistes kamikazes, que ce sont des idéalistes !)
J'écris au
passé parce que je pense encore aux assassinés de janvier. Mais ceux et celles
qui les remplacent et les prolongent sont bien vivants et continuent à pratiquer activement la liberté
d'expression. Avec sans doute un poids nouveau sur le dos. L'ombre de
l'assassin à kalachnikov qui vous surprend à caricaturer le prophète pèse plus
que l'ombre du pion qui vous surprenait à caricaturer le prof', au collège.
Doit-on se radicaliser pour
autant ?
— Tu t'inclus
ou tu t'exclus ? Parce que, si je ne m'abuse, tu pratiques aussi le dessin
et le texte "de presse" et souvent politiquement et religieusement
incorrect, acerbe voire cru.
—
Actuellement, j'avoue que je n'y arrive plus. Lassitude, trouille,
àquoibonisme… quelque chose s'est cassé, oui, avec les attentats et leur
répétition. Et puis l'âge et d'autres occupations plus personnelles qui font
que je n'ai plus d'énergie à consacrer à insulter des gens que je méprise… et
là je parle autant des ci-dessus cités djihadistes que des sarkos et
sarkosistes, juppés et jupettes, trumps et trumpettes, fillons et fions.
— Tu y arrives
quand même un peu, on dirait.
— Ouais, les
mots viennent tout seuls. Des dessins, des gags, c'est une autre affaire.
— Pourtant, le
fameux rire de résistance…
— …N'est qu'un
rire d'impuissance. Tant qu'on est capable de faire de l'humour on ne monte pas
les faux à l'envers pour prendre la bastille.
1 commentaire:
bien dit!
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