Daniel Pennac : « Pas d'affolement, rien ne se passe
comme prévu, c'est la seule chose que nous apprend le futur en devenant du
passé. » ("Chagrin d'école".)
Dépassée pas seulement par les réalisations concrètes
qui vont plus vite que l'imagination (la SF n'a pas prévu le plastique partout
ni l'ordinateur domestique pour tout le monde…), aussi par les imaginations qui
ne se sont pas réalisées, qui ne se réaliseront jamais. Les rêves de voyages galactiques
plus vite que la lumière (et pourquoi pas sortir de l'univers, aussi ?)
par exemple. On ne posera pas le pied sur Vénus (et surtout pas dans des
jungles peuplées de dinosaures rouges et d'amazones bleues géantes). On ne
terraformera pas Mars (déjà, on ferait mieux de s'occuper de terraformer la
Terre). On ne voyagera pas dans le temps (l'idée même est parfaitement
irrationnelle), seulement dans le futur, et à vitesse normale.
Les cauchemars de la SF, par contre, sont en cours de
réalisation accélérée : surpopulation, règne des robots, surpopulation,
pollutions, surpopulation, tyrannie numérique, surpopulation, pandémies,
surpopulation, dérangement climatique, surpopulation, dégâts des eaux,
surpopulation…
Le futur ne se cache pas derrière un quelconque
voile. C'est plus simple : il n'existe pas. On parle souvent de
"changer le futur". Mais on ne change pas le futur puisqu'il n'existe
pas – par définition. On ne change pas le futur, on ne le fait même pas, ou si peu, il se fait
tout seul, avec ou sans notre aide, mais avec nous y inclus, qu'on le veuille
ou non.
On peut espérer ou craindre le futur. On peut, non
pas prévoir, mais imaginer le futur, un futur, des futurs. On peut travailler à
le fabriquer ou à l'orienter ou on peut l'attendre passivement.
Notre angoisse du futur est liée à notre volonté de
maitrise. Nous aimerions bien pouvoir prévoir ou orienter, fabriquer le futur
comme nous le désirons, le nôtre personnel ou celui de l'humanité. On s'y
efforce – plus ou moins. Mais les impondérables arrivent en foule,
l'adversité nous blesse, ça ne se passe jamais "comme prévu" (comme espéré, en fait). Nous ne maitrisons
pas. En particulier parce que le futur, le présent, même, sont la conséquence
inéluctable de processus anciens, démarrés dans le passé. L'industrie polluante
née au XIX° siècle avec le capitalisme. L'islamisme né des colonisations et
décolonisations (on peut même remonter aux croisades… ou même à l'invention de
l'islam par Mahomet… ou même à l'invention du monothéisme par Moïse). La situation
des noirs américains née de l'esclavage vieux de plusieurs siècles. La
politique israélienne née de l'holocauste nazi, etc., etc., etc.
Les causes du futur sont installées dans le passé –
inaccessibles, donc, par définition, puisqu'il n'est pas question de voyager
dans le temps. On ne peut que tenter d'infléchir la séquence en cours. Mais la masse de la causalité exerce une poussée
énorme, quasi indéformable. Les infléchissement resteront marginaux.
Ce qu'on change parfois, ce n'est pas "le futur"
(comme semble le croire le héros de "Minority Report"), c'est un
futur possible, rationnellement envisageable ou purement fantasmé, un futur
imaginé, parmi d'autres, une probabilité plus ou moins probable. On ne change rien, on privilégie une probabilité parmi d'autres. Ce
"choix" rend obsolètes certaines des autres imaginations-prévisions,
ces autres probabilités – qui n'étaient que des probabilités.
« Le
futur n'est plus ce qu'il était », disait Asimov, déçu sans doute par la réalité moins
excitante que les rêves de la SF années 50… Le futur sera moins futuriste que
prévu. Eh oui, cher Isaac, le futur, c'était mieux avant… Le passé portait un
futur imaginaire. Plus ça va, plus celui-ci est contrarié par la réalité.
Imaginaire caduc, rêves inassouvis, désirs inaccomplis. Le résultat réel : notre
présent. Le réel présent infirme le futur du passé, un (éventuel) futur du passé dépassé. Maintenant, ce nouveau
présent, qui a remplacé tous ceux imaginés dans le passé, engendre à son tour
de nouveaux futurs, de nouvelles imaginations de futurs, de nouvelles
probabilités. Limitées puisque, comme dit plus haut, la masse de la causalité installée dans le passé exerce toujours sa
poussée.
Reste donc à savoir si ce présent engendre(ra) des
rêves d'avenir brillant, ou les étouffe(ra) dans l'œuf.
L'avenir nous le dira. (Phrase de conclusion très
con.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire