La machine à
exploiter le temps.
Ma petite maison avance par bonds dans la campagne
lunaire.
Elle croise une école abandonnée : c'est la
rentrée des classes à l'abri d'une halle Baltard. Des enfants aux mains serrant
des mamelles s'encadrent dans des fenêtres pâles.
Plus loin, un couple baise dans la neige (par
derrière). La neige est verte et vierge sur ce vieux dessin censuré par ma
fiancée qui a eu beaucoup de travail pour dessiner la neige. Il faut changer de
position, dit-elle. Derrière les fenêtres, villageoises et bonnes sœurs observent
la scène, scandalisées. Je tire les rideaux, elles s'en vont.
Plus tard, toujours par cette fenêtre, je regarde les
montagnes au loin. Un vautour urubu plane, menaçant de son aile affutée une
ourse brune. Des diplodocus se profilent sur la crête – mais ça n'existe
plus ces choses là… D'ailleurs ce ne sont que des éléphants : leurs
trompes, faisant longs cous, m'ont induit en erreur. Pourtant, oui, il y a bien
des tyrannosaures qui les poursuivent. Et dans ma baignoire, des
salamandres jaunes et noires et leurs petits – qui nagent.
Je tire la chasse et je vais à la messe de Pâques
pour la première fois. La chapelle est bourrée de néandertaliens et d'œufs de
bêtes préhistoriques écailleuses. C'est l'holocauste des brontosaures. Le
vicaire et sa chorale chantent mal un psaume moral : ils fêtent le mariage
d'un vautour urubu et d'une ourse brune. Dans la vasque du bénitier, les
salamandres noires et jaunes relaient le cantique de leur voix pointue.
Je monte au clocher. Mes bretelles
me lâchent en pleine ascension du septième étage : l'ascenseur est
tellement rapide ! Du coup, mes parties honteuses sont de sortie.
Je ne me sens pas très ergonomique. Ni néolibéral.
Plutôt néolithique.
Anthropopithèque, j'élève un ogre domestique. (En cas
de famine, peut-on manger un ogre ?) Locavore, j'ai déjà dévoré trois
hectares de garrigue et de bois, y compris écureuils, sangliers, lapins et
buses. (En cas de famine, peut-on cuire des fantômes ?) Végan venu de Véga
en soucoupe édentée, j'ai déjà suçoté les cerveaux de trois mille zombies. (Ce
n'est pas nourrissant.) Permaculteur, j'ai permuté les sens insensés des mots
du Livre amer, j'ai emmuré l'oreille des dévots, j'ai détesté les pesticides,
dégraissé les engrais, me suis gavé de bouillie bordelaise et de purin d'ortie.
Quand
ma dernière ampoule à incandescence est morte, j'ai décidé de la faire
empailler. Demain je cracherai sur vos bombes et je démonterai la poussière à
voix basse.
Il ne faut pas que j'oublie. Il faut que je n'oublie
pas. Il faut que je. Il faut que. Il faut. Il.
Il fait froid, dans ce lit. Le papier glacé de mon
livre me gèle les doigts. Il me faudrait un rhododendron de plus. En attendant,
j'entoure mon matelas de barbelés domestiques. (Mais cette barricade ne serait
même pas capable d'arrêter une pendule.)
D'ailleurs des
rats, déjà, tourmentent la carpette.
La nuit
retient son souffle. (Heures d'encre, heures de plomb, solennelles.)
Du cœur des
ténèbres, mes doigts de pied se fraient difficilement un chemin vers l'aube. Je
me décide à me lever et à sortir. Il fait beau, ça me rappelle quand j'étais
fœtus. À la campagne, le matin, l'air est tout neuf, presque vert. Mais il ne
faut pas regarder trop longtemps le lever de soleil.
L'herbe est fraiche de rosée. J'ai des
chaussures, pourtant, mais elles semblent m'être aussi utiles que si je n'avais
pas de pieds. (C'est
quoi, cette manie d'acheter des chaussures, d'ailleurs ?)
Devant moi, une immense plage constellée de
nouilles…
Et mes parties honteuses sont toujours
de sortie. (Si tu savais comme j'en ai marre, de ces rêves à la con,
maman !)
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