mercredi 22 février 2012

QUI GAGNE PERD


LO N°469 (22/02/12)
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GRÈCE ENCORE
Ajoutons encore que quand on a fait entrer la Grèce dans l'EuroZone, on savait que ses comptes étaient pourris. En 2005, la commission européenne a demandé un audit sur la Grèce, qui a été refusé par la France et l'Allemagne. Pourquoi ? La France et l'Allemagne vendaient des armes à la Grèce. (Et continuent à lui en vendre : fin 2011, en pleine crise, la Grèce nous achetait des vedettes militaires.) Ils auront tout ce qu'il faut pour assurer leur guerre civile… Et derrière ce surarmement de la Grèce et l'approbation de ce surarmement par l'Europe, il y a vraisemblablement un aspect géostratégique : la Grèce est la frontière de la Turquie… c'est à dire de l'Islam…
Ajoutons encore, pour rester dans les faits de guerre, que l'Allemagne n'aurait jamais payé à la Grèce les dommages de guerre de 39-45, qui s'élèveraient, de nos jours, et sans intérêts, à quelques cent milliards d'euros (le chiffre varie entre 80 et 160 selon les calculs des uns et des autres). Le principe même est contesté ici ou là, surtout en Allemagne, sauf de la part de Daniel Cohn-Bendit, qui, lui, se place sur un "plan moral" : « Les Allemands, qui se disent vertueux, estiment que les Grecs ont péché et qu'ils doivent payer. Or, ceux qui ont le plus péché, ce sont tout de même les Allemands, dont la dette a pourtant été effacée parce que les Américains y voyaient un intérêt stratégique. Pourquoi ne pas considérer que sauver la Grèce est stratégique, au lieu de mettre ce pays à genoux ? »
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J'ai cité, le supplice de Tantale, l'épée de Damoclès, l'hydre de Lerne… on n'en finirait pas de faire appels aux mythes grecs pour décrire la situation. Le mythe de Sisyphe (la dette), Atlas portant le poids du monde sur ses épaules et peut-être faire appel encore à Hercule pour nettoyer les écuries d'Augias.
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ÉGALITÉ / INÉGALITÉ
La croissance, en elle-même, n'est rien. L'important c'est la répartition des richesses. Le progrès, le vrai, n'est rien d'autre qu'une saine répartition des richesses.
Un milliardaire de plus = combien de pauvres de plus ?
Nous vivons une société à l'envers de Robin des bois : prendre aux pauvres pour donner aux riches. En fait disons plutôt prendre aux classes moyennes pour donner aux riches, et ainsi créer de nouveaux pauvres.
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http://www.oikosblogue.coop/?p=3086
###  Pour la société, une femme de ménage est plus importante qu’un banquier. Selon le rapport « A Bit Rich ? » de The New Economics Foundation, lequel plaide en faveur d’une révision fondamentale de la manière de reconnaître et de rémunérer le travail, la préposée d’un hôpital a plus de valeur pour la société qu’un banquier ou un fiscaliste. Les auteurs de ce rapport se sont basés sur une nouvelle méthode servant à calculer la valeur du travail, afin de briser certains mythes liés aux hauts salaires.
La méthode consiste à regarder au-delà de ce que certaines fonctions reçoivent comme rémunération pour voir comment elles contribuent à la société. Plutôt que de dériver leur valeur sociale de leur rémunération, la méthode cherche à évaluer cette valeur de leur contribution à la société. De plus, les auteurs de cette recherche ont développé une méthode qui tient compte des valeurs économiques, sociales et environnementales que ces fonctions produisent ou détruisent, selon le cas.
Ainsi, The New Economics Foundation pense que des travailleurs comme le personnel de nettoyage ou les ouvriers qui se chargent du recyclage des déchets créent davantage de valeur pour la société. Par exemple, chaque euro versé à une puéricultrice produirait de 7,76 à 10,5 euros d’avantages pour la société. Par contre, les salaires élevés provenant de hauts bénéfices s’expliquent par le fait que les entreprises ne paient pas le coût réel de leurs activités, comme le coût des émissions de gaz à effet de serre. Si le coût réel était payé, certaines prestations seraient remises en question parce que ceux qui remplissent certaines fonctions (des dirigeants d’entreprises polluantes ou des fiscalistes experts des paradis fiscaux) prennent des décisions extrêmement nuisibles à la société.
Les auteurs ont mise en oeuvre leur méthode d’analyse en l’appliquant sur six différents emplois : trois à faible rémunération – préposé à l’entretien, à la récupération et à la petite enfance – et trois à rémunération élevée – un banquier, un fiscaliste et un cadre en publicité. Les résultats confirment que ceux qui ont les plus fortes rémunérations ne travaillent pas nécessairement plus que les moins bien payés, que le secteur privé n’est pas nécessairement plus efficace que le public et que le salaire élevé ne reflète pas le talent…
Les auteurs font une série de recommandations afin de réduire les inégalités et pour reconnecter les rémunérations aux réelles valeurs du travail. ###
J'ai toujours pensé qu'un éboueur devrait être mieux payé que moi…
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ENTROPIE
La pensée néolibérale, c'est simple (simplet), c'est promettre le bien-être général comme résultat magique de la main invisible du Marché, du libéralisme qui est censé être l'interaction spontanée des "acteurs économiques" (plus quelques agents politiques). Partant, au nom de la défense du Marché et de la libre concurrence, tout sera fait pour empêcher les interventions de l'État visant à réguler certains secteurs et à éviter l'aggravation des inégalités. Car, c'est bête mais il est de plus en plus clair (criant, même) que le Marché et sa main invisible créent et augmentent constamment les inégalités. Pourquoi-comment ? C'est assez simple aussi : on ne prête qu'aux riches, comme on dit. Celui qui a beaucoup aura encore plus, celui qui a moins aura encore moins. Les déjà riches ont beaucoup plus d'argent à placer que les pauvres si bien qu'ils deviennent forcément de plus en plus riches. C'est simple à piger : celui qui peut placer un million à 10% gagnera beaucoup plus que celui qui ne peut placer que mille… D'où boucle de rétroaction positive (c'est-à-dire augmentatrice). La monnaie se concentre comme les planètes se fabriquent. Loi de la pesanteur. Coalescence, accrétion. Convergence, agglutination. L'argent va à l'argent. L'argent attire l'argent comme le plus massif attire le plus léger. La logique des inégalités est cumulative.
Dans un espace clos, à la longue, concentration, il n'y a plus qu'un corps, une seule masse. Une seule banque. Elle a gagné. Mais du même coup, elle a perdu (implosion) = fin de l'histoire.
Qui gagne perd
Expérience avec le Monopoly : si les cinq hommes les plus sages du monde y jouent, à la fin il y a des riches et des pauvres.  De même avec des jeux de rôle où chacun doit gérer un territoire : à la fin, on a réinventé le capitalisme. C'est con. Est-ce que le système de jeu lui-même induit ça ? Est-ce parce qu'on n'a pas d'autres idées ? Est-ce parce que les joueurs sont conditionnés par le système dans lequel ils vivent, donc enfermés dans un mode de penser ? Ou bien se trouve-t-on devant un mécanisme universel, objectif, une sorte de loi de la nature, une sorte d'entropie. TINA, disait Margaret Thatcher : There is no alternative. (On voit le résultat !)
Seulement voilà, le plus avide, en gagnant, perd. En gagnant, meurt. Le banquier ne peut survivre qu'en réinjectant des liquidités dans le milieu, en "explosant" – en dépensant ou en prêtant… pour qu'il se passe quelque chose : l'échange d'énergie et d'information avec le milieu est indispensable. Sinon : entropie. La concentration d'une étoile la transforme en trou noir, elle disparaît. Celui qui a tout meurt.
Maintenant, là, j'ai évoqué un système clos, un morceau d'espace (un système solaire), ou le système bancaire d'un pays, ou l'unique banque d'une ville (Monopoly, comme son nom l'indique). L'effondrement se produit en vase clos, because manque d'échange d'information et d'énergie avec l'extérieur. En réalité, il n'existe pas de système parfaitement clos, ce qui  devrait empêcher l'effondrement… mais pas forcément : on l'a vu avec l'île de Pâques ou la civilisation Maya : un certain degré de clôture sur soi-même suffit.
Donc reprenons : la banque a gagné la partie de Monopoly, OK, elle possède toute la ville, devenue ville de pauvres : on a abouti à une banque super-riche à la tête d'une population de super-pauvres. Tout pourrait s'arrêter là, comme suggéré plus haut. MAIS, dans un monde ouvert, vraiment ouvert, il y a d'autres banques, d'autres villes. D'autres banques, ailleurs, ont conquis de même leur ville, en ont fait une ville de super-pauvres à leur merci, sont devenues super-riches. Ce faisant, n'ayant plus rien à faire (échanger), elles s'ennuient chacune dans leur coin. Jaillit alors une nouvelle idée : « On va jouer entre nous. Dans chaque ville, les habitants super-pauvres vont continuer leurs petites affaires (survie), mais nous les banques, on va jouer ensemble, de banque à banque, avec comme enjeu non plus des possessions réelles (maisons, objets, gens…) mais avec ce que nous possédons toutes en abondance : l'argent (des chiffres dans des ordinateurs), voire les dettes, c'est-à-dire quelque chose comme du non-argent. »
On aboutit donc à un Monopoly mondial. Les banques s'amusent bien, longtemps. Pourtant, à long terme, le résultat est inéluctable : concentration sur une unique banque mondiale gagnante, qui possède tout et donc gagne – et donc perd. Fin de l'histoire – mais tout de bon, cette fois, puisque c'est le monde entier qui est conquis : il n'y a plus d'ailleurs. TINA. Concentration finale = entropie maximale, implosion, effondrement, big crush, trou noir. (Dont la seule solution est que la réaction nucléaire chaotique interne entraîne une ré-explosion, un nouveau big bang. Plus tard.)
Pendant ce temps.
MAIS il ne faut pas oublier que, pendant ce temps, les individus, même super-pauvres, continuent "leurs petites affaires", vivent au jour le jour leurs échanges de quartier, trocs, cadeaux, actes gratuits, bénévolat, invention de monnaies locales et périssables… Jeux d'économie à la petite semaine. Et ce dans l'indifférence des banques… mais aussi vice versa : si les banques disent « Laissons-les jouer dans leur bac à sable », les citoyens peuvent aussi se dire « Laissons les banques jouer sur leur nuage planant au dessus, avec leur argent virtuel, leurs chiffres, nous on s'occupe de la réalité. C'est nous qui survivrons. »

lundi 20 février 2012

DIOGÈNE ÉTAIT UN PUNK À CHIEN


LO N°468 (20 février 12)
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LE MARCHÉ
Qui est "le Marché" ? Ou "les marchés" : la différence…? C'est un peu comme quand on dit soit "Dieu" – avec majuscule monothéiste – soit "les dieux"… c'est-à-dire en fait pas d'autre différence que typographique, il s'agit toujours d'une entité incontrôlable plus grande que nous, qu'elle soit individuelle ou collective. Une chose anonyme, sans visage, monstre que j'ai dit acéphale mais qu'on peut dire aussi bien polycéphale… aux multiples têtes, toujours prêtes à repousser quand on les coupe, comme l'hydre de Lerne (mythe grec) : il faut les couper toutes en même temps. Un "on" sans nom. Son nom est personne – ou tout le monde. Main invisible, main aveugle main de (dame de) fer dans un gant de soie. Animé par des mouvements de masse, un fluctuant collectif, comme un banc de sardines ou un vol d'étourneaux. Pas de complot, pas besoin de complot. Le banc de sardine n'est pas dirigé secrètement par une entité occulte, genre douze sages de Sion, Illuminati ou Francs-Maçons. Le Marché EST l'entité occulte. Il est comme Dieu en ce sens qu'il explique tout… et qu'il n'existe pas.
Le Marché est une mécanique collective qui ne veut rien, ne décide rien, mais qui réagit à la milliseconde à tout et n'importe quoi (le battement d'ailes d'un papillon en Amazonie…), pas plus rationnel que le banc de sardines. L'appellation d'"intelligence collective" est un oxymore ou un abus de langage. Il n'y a pas d'"intelligence" au travail, là, pas plus que dans une forêt en tant que milieu écologique hypercomplexe. Il y a syntonie, synergie, millions d'ajustements réciproques instantanés. Le Marché est un espace/temps d'actions/réactions. Se soumettre aux "lois du marché" (qui n'existent pas), c'est comme se soumettre à "Dieu" (qui n'existe pas) ou aux "lois" (qui n'existent pas) de "la nature" (qui n'existe pas).
Le Marché ne veut rien, ne pense pas, ne décide de rien, pas plus que la Nature (ou nature) ne décide d'un orage ou d'un tremblement de terre, pas plus que le pôle magnétique nord ne décide d'attirer l'aiguille de la boussole. Phénomène et combinaison de phénomènes entrecroisés, interconnectés, interagissants dans tous les sens à toute blinde. Si vite et si multiplement que la vue se brouille, que l'analyse est impossible, le "qui c'est qui a commencé" est indéterminable, de même que "qui fait quoi à l'instant T".
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LE CHAOS
Par contre l'individu, dirigeant ou vulgum pécus, craint le marché, les réactions du marché Comme on craint la nature ou les dieux ou Dieu et ses voies impénétrables. Un individu connaît son chien-individu, mais il craint (à juste titre) ce qui se passerait si son chien était tout à coup jeté dans un élevage de trente chiens inconnus. Un loup ne fait pas forcément peur, mais une meute…
UNE sardine ou UN étourneau sont sans danger, car prévisibles. Le banc ou le vol sont imprévisibles. Ils forment une entité sans pensée, sans morale, sans responsabilité, comme un nuage, conjonction de milliards de milliards de gouttes d'eau, combinées avec des milliards d'éléments incontrôlables : altitude, vent, soleil, poussières atmosphériques, magnétisme terrestre, passage d'avion ou d'un vol d'étourneau, battement d'ailes de papillon(s). On ne peut en tirer des vérités (de la prévisibilité) que statistiques, des probabilités, à condition d'avoir une énorme quantité de données à compiler.
On est davantage dans la théorie du chaos que dans la théorie du complot. (Les théories du complot, comme les croyances en divers dieux, sont là pour nous rassurer face à la complexité indivisible, incompréhensible, incontrôlable du chaos. Elles donnent un sens à ce qui n'en a pas.)
Un système financier  composé de, mettons, quelques centaines de traders est (serait) maîtrisable, régulable, parce qu'il est la conjonction de quelques centaines d'intelligences individuelles. Ou il serait éliminable à l'aide de quelques bombes. (Du moins quand la Bourse était un bâtiment où ils se rassemblaient tous, maintenant, chacun chez soi dans sa salle de jeu avec son ordi portable et sa connexion Internet, c'est plus compliqué… faut envoyer des tueurs à domicile…) Par contre un vol d'étourneaux de quelques milliards de spéculateurs (ah oui, milliards, parce que chacun d'entre nous qui a un compte en banque est un spéculateur) n'est ni maîtrisable ni régulable ni éliminable.
Sauf…
Sauf si disparaît la peur.
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LA PEUR
Le Marché ne commande rien, c'est la peur (rationnelle ou non) des réactions du marché qui commande. Comme le tsunami ou le séisme ne commandent rien, mais la peur (rationnelle, raisonnable) du tsunami ou du séisme commande de ne pas bâtir dans une zone sismique ou inondable – particulièrement des centrales nucléaires. Par contre la peur d'une punition divine (sous forme de tsunami ou de séisme) qui commande de ne pas jurer par le nom de dieu ou de ne pas dévoiler ses "parties honteuses" – c'est cette peur-là qui n'est ni rationnelle ni raisonnable.
« Rassurer les Marchés » disent-ils. Mais les Marchés n'ont pas peur. Par contre, tel le banc de sardines ou le vol d'étourneaux, ils sont facilement en proie à la panique. La panique n'est pas la peur ou la crainte (individuels) mais un comportement de masse irrationnel qui se déclenche à la perception (nette ou floue) d'un danger (réel ou non), mouvement qui, une fois déclenché, se nourrit de lui-même.
Le Marché règne par la peur…? Non : ça c'est la formulation paranoïaque. Par contre, les dirigeants règnent par la peur du Marché (menace, épée de Damoclès – mythe grec). Ils ont peur et nous avons peur. Si nous ne nous décidons pas à avoir suffisamment peur (peut-être parce qu'on n'a pas que ça à foutre), ils se chargent de nous faire participer à leur peur. Eux, c'est la peur de perdre leur position (pouvoir, richesse)… mais nous, qu'avons-nous à perdre ? Nous les non-dirigeants, sans pouvoir, ou peu, ou de moins en moins, pauvres ou classes moyennes, comme on dit, ce qu'on a à perdre c'est notre capacité à consommer (le "pouvoir d'achat", seul pouvoir disponible, bien souvent), nos cadeaux de Noëls, nos gadgets, nos sorties en boîte… Plus grave : nos maison, habillement, voiture… Puis l'essentiel, le vital : de quoi bouffer et nourrir nos enfants, les soins médicaux… (C'est l'état où tombent les Grecs en ce moment même.)
S'ils arrivent à nous faire avoir peur de perdre ça, ils ont gagné. Et ils y arrivent par l'exemple, puisque nombre d'entre nous, pas seulement là-bas loin en Grèce, ont perdu/perdent/perdront ça. Sous nos yeux. Les exemples sont ici au coin de la rue ou sur les écrans de télé. (Mais à ce même coin de rue, sur ce même écran, s'étalent les publicités pour parfums de luxe – l'Or de Dior, j'adore – vêtements de luxe, voitures de luxe… avec des slogans allant jusqu'à "le luxe est un droit" – proféré par un Vincent Cassel tombé bien bas –, ce qui donne tout simplement envie de tuer.)
Donc, oui, nous avons peur, à juste titre, puisque l'exemple de la chute est près de chez nous et quotidien. Et parallèlement nous sommes en colère (latente) à cause de l'exemple du luxe indécent de la voisine ou les propositions de luxe de la pub. Supplice de Tantale (mythe grec). Double contrainte, mélange détonnant : le luxe et la richesse t'attendent // la misère t'attend. Nous nous retrouvons chiens de Pavlov soumis à deux injonctions  (ordres, conditionnements) contradictoires. Le résultat est une sorte de folie qui peut se traduire par une paralysie (comme celle des robots d'Asimov "freezés", coincés dans un conflit entre deux lois de la robotique), ou par un éclatement violent.
L'éclatement, le plus souvent, est individuel : maladie (et donc congé de maladie, ça fait du bien, calme, repos), voire maladie mortelle (cancer), suicide, assassinat de toute sa famille ou de son campus, terrorisme… ou combinaison de plusieurs de ces pratiques : il y a des suicides discrets, intimes, mais il y a des actes publics : pendaison ou immolation (incinération, holocauste) sur le lieu de travail ou dans la rue… et même l'attentat-suicide qui consiste à entraîner le plus possible d'autres gens dans sa propre mort. Suicide-agression qui se veut acte de combat, mais alors combat désespéré, baroud d'honneur.
La peur est à dépasser.
La tristesse autodestructrice est à dépasser.
Reste la résignation ou la révolte. Indignation, révolte individuelle et/ou collective : alors émeute, révolution. Mais possible aussi l'engagement et le lent et dur travail de transition.
On peut ainsi revenir à la Grèce où les suicides ont augmenté de 40% en six mois et où les rues brûlent/ront. Sont bien présentes les "passions tristes" : la peur, la tristesse autodestructrice, la résignation, la colère.
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DIOGÈNE ÉTAIT UN PUNK À CHIEN
Diogène était un "cynique", terme qui a changé de sens depuis – en mal. Lui, ça voulait dire qu'il vivait et souhaitait vivre comme un chien. Sa niche, loin d'être fiscale, évoquerait plutôt les cabanes SDF du bois de Vincennes. C'était un tonneau, dit-on. En fait une amphore géante, c'est plus d'époque et plus grec. Il avait, pour boire, une écuelle. Un jour, il vit un enfant boire dans ses mains. Il jugea que l'écuelle était inutile et la jeta. Il se nourrissait des oignons qu'on voulait bien lui donner. Il se masturbait tranquillement au soleil à l'orée de sa jarre. Ça devait sentir bon, le quartier, tiens ! On a beau être en Grèce antique, ça la fout mal.
Il avait quand même un bâton et un vague manteau, ainsi qu'une lanterne qu'il employait à "chercher un homme" – ou "chercher l'Homme".
Un jour, Angela Merkel (ou Alexandre le Grand, peut-être…) est passée par là et lui a demandé ce qu'elle pouvait faire pour lui, à quoi Diogène répondit « Ôte-toi de mon soleil. » L'amèreKel insiste : « Tu n'as donc pas peur de moi ? — Qu'es-tu, un bien ou un mal ? — Un bien, bien sûr, répond Angueula. — Alors pourquoi craindrais-je un bien ? » (Adaptez ça à votre gré au Marché, à l'EU, au Bon Dieu…)
Enlevé par des pirates lors d'un voyage en mer, et devant être vendu comme esclave, il déclare à l'employé du pôle-emploi qui l'interroge sur ses capacités, qu'il sait gouverner les hommes, et que donc il va falloir le vendre à quelqu'un qui cherche un maître. (C'est son côté précurseur de La Boëtie et son Discours sur la servitude volontaire…)
Il finit à 86 ans, soit, selon les versions, d'une infection due à la morsure d'un chien à qui il voulait piquer son os (L'os-térité…), soit en tentant d'avaler, faute de couleuvre, un poulpe cru, soit en s'empêchant volontairement de respirer. Il souhaitait que son corps fut jeté aux ordures, mais ses amis (eh oui, il en avait) lui firent une belle tombe et y firent graver ces vers :
« Même le bronze subit le vieillissement du temps,

Mais ta renommée, Diogène, l'éternité ne la détruira point.

Car toi seul as montré aux mortels la gloire d'une vie indépendante

Et le sentier de l'existence heureuse le plus facile à parcourir. »

John Waterhouse

Plus réaliste : Jules-Bastien Lepage



CHOUCROUTE POUR TOUT LE MONDE !


LO N°467 (17/02/12)
(Ou comment parler d'un sujet auquel je ne connais rien en me référant à quelques articles de Courrier International, Le Monde diplo, et autres analyses de Bernard Maris et de quelques autres économistes atterrés, auxquels je pique sans honte des idées et des formules, sous forme de citations ou de paraphrases, entre guillemets ou pas, selon le temps et l'humeur.)


L'Allemagne est très fière de ses performances d'exportateur. Mais quand un pays ainsi néomercantiliste vend plus qu'il n'achète à l'étranger, ça finit par poser problème à tout le monde : les marchandises produites par l'Allemagne ne sont pas "échangées", elles sont "livrées à crédit". Où est le "libre échange", la symétrie, la réciproque, l'égalité ?
Se rappeler que 40% des exportations allemandes se font vers l'Europe. (Dans le dernier Monde diplo, N°695, fév. 2012, ils disent 60.) L'Europe Sud s'endette auprès de l'Allemagne pour lui acheter ses produits. (« Je te prête de l'argent pour que tu m'achètes des trucs, ainsi je gagne deux fois, sur la vente et sur les intérêts du crédit. ») Les déficits commerciaux des uns conditionnent les excédents de l'autre. La richesse de l'Allemagne repose sur les dettes de ses voisins… à condition que ceux-ci soient à même de rembourser… et voilà que l'Allemagne (via l'Europe UE) se met à leur reprocher vertement leurs dettes. L'Allemagne aurait-elle peur ? Tuer le débiteur, c'est simultanément tuer le client… Les pays en faillite (Grèce, Portugal…) ne pourront pas rembourser leurs dettes (à l'Allemagne) et ne pourront plus acheter de produits (à l'Allemagne). Je mets ça au futur, mais c'est en cours.
Ou bien l'Europe ("les oracles bruxellois") pousse "les autres" (ROE = rest of Europ) à faire comme l'Allemagne : produire pour l'exportation), 1) l'All. risque fort d'y perdre des clients et d'y gagner des concurrents ; 2) si tout le monde ne fait que vendre, il n'y a plus personne pour acheter. (« L'exportation du modèle allemand aggrave la situation ») A moins bien sûr que tout le monde s'entende pour se spécialiser, c'est-à-dire produire des biens complémentaires et non concurrents. L'All. des machines-outils, la France des prothèses mammaires, la Grèce du concentré de tomate, le Portugal du Fado, etc. Ce qui présente les risques de la spécialisation : demandez aux pandas à régime monomaniaque de bambou ou aux koalas/eucalyptus ; et ce qui est foncièrement anti-écologique puisque encourageant les échanges en masse, donc les transports en masse qui sont déjà la plus grande source de pollutions diverses (bruit, encombrements, particules dans l'air, CO2, etc.). Oublions ça. Et allons plutôt vers les économies localisées qui promeuvent l'autonomie, voire l'autarcie, au niveau du pays ou de la région, ou du département… Fin de la parenthèse protectionniste – ouh, le vilain mot !
L'Euro puni
La crise générale engendre une faiblesse de l'Euro, c'est bien connu. Mais ce n'est pas perdu pour tout le monde. Cette faiblesse profite aussi à l'Allemagne, en facilitant ses exportations hors de la zone Euro, dans le reste du monde (Asie, Afrique, Amérique latine, pays arabes). Ces 60 % compensent ses pertes d'exportations intra-européennes. Autrement dit, la mondialisation profite à l'All., mais contre (au détriment de) l'Europe et l'Euro. Et gaffe quand même : 40 contre 60, c'est proche d'un équilibre qui peut facilement se déséquilibrer.
Soulignons aussi que la situation intérieure allemande n'est pas si rose, socialement : la compétitivité à l'export se fait aussi par la limitation des salaires (les salaires deviennent la dernière "variable d'ajustement" dont les patrons disposent pour améliorer leur compétitivité : "désinflation compétitive" ou "dumping social"). On peut faire comparaison avec la Chine et sa si grandiose réussite commerciale internationale… sur le dos d'une population pressurée de travail, de conditions de vie merdiques, une pollution dramatique du territoire… A quoi bon être un pays puissant "sur la scène internationale" si c'est pour s'autophagociter, abîmer son pays et sa population ? Qu'est-ce qu'un pays, sinon un territoire et une population ? L'Allemagne s'enrichit en appauvrissant les Allemands. (Tiens, justement, voilà-t-y pas que les contrôleurs aériens allemands font la grève comme de vulgaires Français…) Les travailleurs négocient sous la menace de nuire à la compétitivité nationale, du coup (patriotisme ?) leur priorité n'est plus la hausse des salaires mais la conservation des emplois. Partant, la question de la répartition des richesses se trouve évacuée et les écarts se creusent.
Mais il y a un aspect positif dans cette mentalité économique allemande : ces salaires qui stagnent, la hantise de l'endettement et de l'inflation, rien n'encourage la consommation intérieure… et moins de consommation quelque part ça fait toujours du bien… et du coup  rien n'encourage non plus les importations… une forme de protectionnisme.
Protectorackett
D'un côté, l'Allemagne-fourmi serait sans doute bien contente de se débarrasser de la Grèce-cigale, sachant que celle-ci ne lui rembourse/ra plus rien et ne lui achète/ra plus rien, vu la récession où elle est/sera, en particulier à cause des mesures d'austérité édictées chez elle par… l'Allemagne. (Oui, je sais… par la "troïka" – ou triumvirat – Commission européenne+Banque centrale européenne+FMI… mais ça revient au même…) D'un autre côté, on essaye de faire durer, on espère envers et contre tout minimiser les pertes, et surtout on craint la contagion boule de neige vers Portugal, Espagne, Italie, France…
S'éveille alors la question de la solidarité, ou, pour ne pas parler en moraliste, d'une volonté de cohésion et de cohérence : l'Allemagne tient-elle à l'Europe, ou est-elle prête à dire "Crevez tous, on a assez de clients au Qatar, au Brésil, en Chine…" ? Pour l'instant elle semble quand même préoccupée par l'Europe, au moins dans le sens où un maître veille à la santé de ses serviteurs, pour qu'ils soient efficaces et durent. L'All. est-elle dans une démarche de colonisation de l'Europe ? Un peu comme Hitler l'avait voulu (1 point pour moi sur l'échelle de Godwin), mais par des moyens différents : plus besoin d'occuper les territoires physiquement et militairement… c'est une occupation économique, ou télécolonialisme, qui est en cours. Un État (trop) endetté verra ses drapeaux en berne devant les bâtiments de l'UE (puni !). Un pays qui ne se conforme pas aux "recommandations" (= plan de rigueur), il subira des sanctions ? Panpan-cucul ? Non, financières, les sanctions : on impose des amendes à des pays déjà impécunieux, surendettés, exsangues, – c'est logique. La Commission Européenne devient une agence de notation. Un "commissaire au budget" nommé par l'Eurogroupe jouera le rôle d'un gouverneur colonial préoccupé avant tout de maintenir la pression et garantir les intérêts des créanciers.
Soigner le mal par le mal ! (Ou comment l'Europe tue l'Europe)
Déjà le projet de référendum de Papandréou a été "interdit" par le directoire Allemandeuropéen. Déjà les nouveaux dirigeants mis en place en Grèce ou en Italie apparaissent comme parachutés par l'UE et sa banque centrale (c'est-à-dire encore une fois l'Allemagne). Ces nouveaux gouvernements, dits "techniques", ou "de salut public" sont à base de prétendus "experts", économistes, banquiers, ci-devant commissaire européen, gouverneur de banque centrale, administrateur de Goldman Sachs, tous grands néolibéralistes, libérateurs de la finance… autrement dit les responsables de la merde. C'est un peu comme si on mettait Madoff président aux USA ou Jérôme Kerviel en France. (Ne manquera plus qu'on nous mette Jean-Claude Trichet ministre des finances…)
Ces gens sont les agents même pas secrets de la Phynance. Parvenus au cœur des États, ils étaient déjà le ver dans le fruit, maintenant ils bouffent le noyau. Tout cela est la conséquence logique du moment (années 80) où les gouvernements (Thatcher, Reagan, Giscard) ont abandonné leur souveraineté aux banquiers en leur confiant le soin de créer l'argent à leur place. Ils ont agi à la manière du consommateur moyen post-soixante-huitard : « Que voulez-vous ? — Tout, tout de suite ! — Très bien, empruntez ! » Ainsi l'argent devint argent-dette.
Surveiller et punir
Le principe du rackett se confirme. Prise d'otage ou "mise sous rançon" (Emmanuel Todd). On a vu ça dans les polars : le maffieux au petit commerçant : « Tu me payes pour que je te protège. — Mais… contre qui ? Personne ne me menace. — Tu verras bien. » Et il voit bien quand les protecteurs potentiels (masqués… ou leurs complices) ravagent sa boutique. Les protecteurs peuvent revenir avec « On te l'avait bien dit. » Ça concerne la Grèce, mais plus généralement toute dette. Comme déjà évoqué, e débiteur se place sous l'autorité de son créancier, à la fois sous sa menace et sous sa protection. Le créancier vous menace en ce sens qu'il peut exiger remboursement, mais il vous protège car il sait que si vous mourez vous ne rembourserez jamais. (A moins qu'il puisse, à votre mort, s'emparer de vos biens, mais finis les intérêts…)
Le peuple, c'est l'ennemi.
L'Europe était censée favoriser la coopération entre ses membres et en faire une grande puissance intérieurement solidaire face au reste du monde (la superpuissance américaine et ROW). Elle se révèle une machine à concurrence interne entre pays européens et entre salariés européens (dumping social).
Face à cela que peut le peuple, que deviennent la république, la constitution, la volonté populaire ? Tout cela est remplacé par une oligarchie (les huiles) à la botte de la finance, obéissant aux diktats (sic) des marchés (sic), cette entité acéphale, cet inconscient collectif guidé par des mouvements de masse. Le pays (les gens, les habitants), est livré à une dictature hostile. Khadafi tuait son peuple libyen ? Bachar El-Assad le sien syrien ? Oui… Les gouvernements "techniques" en font/feront autant à leur manière. Les mesures de rigueur, on les dit impopulaires, ce qui suppose que le peuple est trop bête pour les apprécier à leur juste valeur. Elles sont en fait carrément antipopulaires. Oubliez le Royalisme divin, le Communisme ou Mao. Le nouveau dieu aveugle et sourd est l'Argent et la BCE est son prophète. Les camps de rééducation ne sont pas loin. Un commissaire européen est un commissaire de police ou un "commissaire du peuple". Le nouvel exécutif est un exécuteur des basses œuvres de la BCE, du FMI, de la finance, des "marchés"… de l'Allemagne.
Laquelle le paye en isolement. Elle devra comprendre que son hégémonie de capitale cacapipitaliste, si elle enchaîne à elle ROE, les pays plus faibles, ses "provinces" ou "colonies", elle-même se retrouve enchaînée à eux… La dette pied et poing lie les deux protagonistes, créancier et débiteur, tyran et assujetti. Et transformer ses voisins, en principe "pays amis", en ennemis, ça finit mal, en général.
Pitié pour la Grèce !
La Grèce touche/ra d'énormes aides sous forme d'annulation de dette et de nouveaux prêts (pièges). Elle devra dire merci bien bas au triumvirat. Il faut se rappeler que "Merci", à la base, c'est "demander merci", ça signifie "Miséricorde ! Grâce ! Pitié ! Ne me tuez pas ! Je suis à votre merci". Ainsi le féal, le vaincu se présente devant son maître, la tête basse, la corde au cou, comme les bourgeois de Calais, ou simplement le cou nu, comme offert à l'épée ou à la hache du vainqueur. (Merci, du latin mercedem, accusatif de merces ("salaire, prix, récompense" et, en latin tardif, "faveur, grâce".)
C'est ça ou s'immoler par le feu.
Que dire de tout ça sinon que les remèdes sont en passe de tuer les malades. Comme me disait mon médecin, "Vous verrez bien à l'autopsie, si mon diagnostic était faux". La Grèce pressurée comme une vulgaire prothèse PIP au carnaval de Rio, est prête à imploser… ou a exploser. Après le vent glacé soufflant sur la frontière alsacienne, un souffle chaud monte du sud… (Mais que font les "casseurs" grecs à brûler un cinéma, n'y a-t-il pas assez de banques, d'ambassades, de bâtiments gouvernementaux à cramer ?!) La Grèce brûle/ra, le Portugal brûlera…… Le résultat de l'augmentation de la TVA en Grèce se fait déjà sentir : là où un calcul simplet promettait de nouvelles rentrées fiscales grâce à cette augmentation, la réalité montre que, quand les choses deviennent plus chères et les salaires plus bas (–20%), on n'achète plus rien et donc on ne paie pas de TVA, c'est con. (En janvier 2012, les rentrées TVA grecque étaient en baisse de 20 %). De la TVA sociale (ou TV-asociale ?) à venir peut-être en France, tout est à craindre…
Reste, pour tous, Allemagne et satellites européens, l'espoir qu'on va limiter les dégâts, maintenir, voire améliorer la situation à coup de cautères sur jambes de bois. Illusoire. De toute façon le système va se détraquer, même si on ne fait rien. Il serait sans doute plus sûr de laisser tomber, faire table rase du système, et tout remettre à plat, remonter de zéro un nouveau système. J'ai dit "plus sûr", mais il est clair que cela ne peut se faire sans une période de chaos… des mois, des années ou plus.