vendredi 29 janvier 2016

"Dérive sectaire"


« J'sais pas quoi faire… Qu'est-ce que j'peux faire…? Tiens, si je me radicalisais ? Parce que tenir les murs de ma T6 et prier X fois par jour, c'est trop nul. Je veux un gros gun, une kalach, tuer des gens… »
• L'islam radical est une secte. (Et si on dit facilement que le christianisme est "une secte qui a réussi", pourquoi ne pas le dire aussi bien de l'islam en général ? Une secte comme une autre, et partagée en un tas de sous sectes qui se tirent la bourre.) Alors ses adeptes fanatiques, ces "guerriers d'un autre genre", ces sicaires, on peut les dire "sous emprise", "possédés"…? (Non par Satan, mais par des gurus et un système sectaire.) Oui, il s'agit très exactement de ça. Lavage de cerveau, conditionnement… Addiction, dissociation mentale, fragmentation, déstructuration… et restructuration autour d'un nouveau thème… en six mois, semble-t-il, l'adepte est prêt à tuer ou à se suicider ou les deux à la fois. (Ça ferait presque penser à Olrik-Guinea Pig manipulé par l'onde Méga du Télécéphaloscope de Septimus dans "La Marque Jaune" !)
Le musulman de base, censé être "normal", "modéré", pacifique, serait-il si fragile, pour ainsi basculer, suite à quelques injonctions venues de la mosquée, d'un site Internet ou de quelques copains de classe…?  Mais c'est aussi qu'il n'est pas QUE "un musulman de base". Là, joue, comme dit précédemment, la question de cette carence d'identité au sens civique qui fait que chacun, faute d'identité personnelle et civique, pour ne pas dire nationale, se replie sur une identité religieuse, qui, plus qu'une foi, est une identification à un groupe (bande, tribu, origine).
• À force de se définir comme musulmans ET de se faire définir comme musulmans (avec tous les corolaires qui s'y attachent sournoisement, en filigrane, y compris le salafisme terroriste), certains le deviennent de plus en plus, musulmans. Ils s'essentialisent, ils s'identifient à l'islam, faute de mieux, et s'y renforcent par mimétisme et automimétisme : ils imitent le groupe et ils s'imitent eux-mêmes en un système de boucle de rétroaction positive (cercle vicieux ou spirale de renforcement)… Deviennent des super-musulmans, voire des hyper-musulmans. Ça veut dire, dépourvus qu'ils sont de thermostats, pris dans une effervescence, s'enfièvrer, s'exagérer, concentrer l'énergie… se radicaliser, puisque c'est le mot, convenu mais exact. Il s'agit bien de "revenir aux racines" : c'est le sens du terme salafisme, à part qu'il considère des racines lointaines, situées dans un passé lointain, un "âge d'or" mythique, alors que les racines d'un arbre poussent en même temps que lui, changent, croissent et restent contemporaines de son tronc, ses branches, ses feuilles… (Et certes ce terme de radicalisation que l'on entend sans cesse – et son inverse supposé de déradicalisation – et pourquoi pas éradication ? – nous sort par les oreilles.)
On dit aussi fondamentalisme, c'est la même idée, "revenir aux fondamentaux". Retour aux origines, aux sources (aux prétendues ou fantasmées sources), à un islam "pur", purifié. Les "modérés" disent et répètent « ce n'est pas le vrai islam, ce ne sont pas des vrais musulmans, c'est Satan » (euh… "Satan", t'es sûr ?), mais les fondamentalistes en ont autant en retour pour les modérés qui, pour eux, « ne sont pas des vrais musulmans », sont des musulmans « de papier mâché »…
Mais du coup, ceux qui disent que ces tueurs ce n'est pas l'islam, que l'islam, c'est la paix, etc., devraient plutôt parler de perversion de l'islam, de récupération, détournement de l'islam, de dérive, de dévoiement. Mais non, ils parlent bel et bien de radicalisation, c'est-à-dire d'aller chercher les racines de l'islam, son origine supposée, son essence imaginée. Cette perversion ou subversion de l'islam serait bien en fait une exacerbation de l'islam. Radicalisation, oui, pas détournement. (Je me répète un peu, je sais…) Le terrorisme islamiste transnational ne vient pas d'une autre planète pour se greffer sur l'islam "normal", il en émerge, comme un bouton de fièvre, comme un abcès de fixation. Si l'islamisme terroriste est "la maladie de l'islam" (Cf. le livre d'Abdelwahab Meddeb. Cf. aussi Cheikh Bentounès, leader spirituel de la confrérie soufie Alawiyya, qui parle même de "cancer de l'islam" *), son "côté obscur", l'islam normal est le terrain : pas de maladie sans terrain favorable.
(J'aime bien prendre mes références chez des intellectuels musulmans, généralement soufis, d'ailleurs…)
(On pourrait appliquer de la même manière l'idée de radicalisation à l'Inquisition du XVI° siècle, "bouton de fièvre" ou cancer du christianisme de l'époque.)
• Mais comprendre que les terroristes n'ont aucune légitimité (au sens religieux, coranique), soit qu'ils détournent le vrai islam, soit qu'ils se réfèrent à une pureté originaire fantasmatique, ne nous aide pas beaucoup, sinon à nous efforcer d'éviter ce fameux amalgame, à trouver "la bonne distance"… Mais il restera toujours un doute à cause des versets guerriers du Coran, qui sont toujours là et qui peuvent n'importe quand servir de légitimation à n'importe qui. Et puis, pour les mécréants athées que nous sommes, aucune justification théologique ne vaut, ni en mal ni en bien.
Déni.
Un certain Umer Ali apporte de l'eau à mon moulin dans un article de The Nation concernant le dernier attentat contre une université au Pakistan. (Dans le dernier Courrier International : N°1317, 28 janvier / 3 février)
Le Pakistan n'est pas la France, mais il semble que là-bas aussi, en cas d'attentat islamiste (des talibans, en l'occurrence), « la réaction générale […] est : "ce ne sont pas des musulmans", "le terrorisme n'a pas de religion", "c'est une conspiration du RAW…" (chez nous, on dirait la CIA…) […] On n'ira pas loin si l'on se contente d'affirmer que les terroristes ne sont pas des musulmans. Il serait temps que nous cessions d'être dans le déni et que nous comprenions que les terroristes sont des musulmans, qu'ils suivent bel et bien une interprétation de l'islam. S'ils n'étaient pas musulmans, pourquoi (ici, il cite quelques leaders talibans abattus ainsi que Ben Laden) seraient-ils appelés "martyrs" et "soldats de l'islam" ? Pourquoi des religieux musulmans leur organiseraient-ils des funérailles symboliques ? Pourquoi des centaines de gens viendraient-ils de tous les coins du pays pour adresser des prières funéraires à des terroristes condamnés à la pendaison ? »
(Paru dans le Psikopat) 

À SUIVRE

mardi 26 janvier 2016

Comprendre ?


Note à propos de l'article précédent : C'est avec plaisir que je reprends la formule du commentaire de Sylvie Denis : « le rock et les terrasses, c'est juste (entre autres choses) ce qui est possible quand on vit dans une démocratie. » Autrement dit, non des valeurs en soi. Ce qui est une valeur, c'est cette possibilité, terme que je préfère largement à celui de liberté, trop idéal et dont on abuse.
 Comprendre ?
• Bien sûr, ça s'explique, même si c'est fou. On est même abreuvé, submergé d'explications, politiques, géopolitiques, sociales, psychologiques… Mais expliquer n'est en aucun cas justifier. Il ne s'agit en aucun cas d'un « Oh, il faut les comprendre, les pauvres petits ! » (Je parle évidemment des tueurs…) L'explication ne pardonne rien parce qu'elle n'abolit pas les faits. Le fou criminel qui a eu une enfance difficile a des "circonstances atténuantes", il n'était pas en possession de tous ses moyens psychiques, tout ce que vous voulez, OK… mais n'empêche, quelques profondes que soient les explications, les faits restent. Les morts restent morts, les estropiés restent estropiés et ce qui ne nous tue pas nous rend malades. Rien de justifie. On peut se rappeler la controverse Sartre-Camus : "Les Mains sales" corrigé par "Les Justes", et le démontage de toutes les justifications idéologiques du terrorisme par Michael Waltzer. (On voit ça en bref dans Philosophie Magazine N° 95, pages 52, 53.)
Mais, comme nous humains, en général, on veut du sens, on travaille encore et encore à expliquer leur cas. Moi aussi, ici. Parce que ces signes notés précédemment ne suffisent pas à nous rassurer. Ni à nous assurer dans notre droit à la peur, à la tristesse, à la colère. Et pourtant si : nous avons de quoi avoir peur, de quoi être tristes et de quoi être en colère – et nous en avons le droit.
Les explications, ça vaut pour la science, pas pour la peur, le deuil, l'amour ou la haine. Et pas pour la justice qui ne veut que des faits, qui n'est ni psychologue ni moraliste mais qui a la loi à faire respecter.
• Un attentat aveugle, masqué, comme une bombe déposée dans une poubelle et qui explose au hasard, fait-il moins peur ou plus ? J'ai l'impression que des gens qui nous tirent dessus à visage découvert, de très près, ça a quelque chose de plus effrayant, plus traumatisant. (Cela dit, je n'ai jamais vécu ça…) C'est voir la mort en face, avec des visages humains qui nient notre humanité et par là même, perdent la leur. Par leurs actes, ces gens ont perdu leur humanité. Et les droits qui vont avec. Non pas par ce qu'ils sont, ni même par leur histoire propre telle qu'inscrite dans l'Histoire… Mais par leur actes. Les faits.
• Chercher les raisons de la violence aveugle (plus exactement les raisons qui animent les auteurs de violences aveugles), c'est se confronter à un oxymore ou une aporie. "Violence aveugle" et "raison" s'opposent si violemment qu'on ne peut parler que d'interprétations ou d'explications, non de raisons. Explications par des mécanismes sociaux, géopolitiques, religieux, psychologiques, des mécanismes qui ne sont en rien des justifications, ce que seraient des raisons.
• Le musulman, et en particulier le djeun' de banlieue issu de l'immigration, dans l'espace européen, n'est pas vraiment reconnu, d'où humiliation. L'humiliation entraine le ressentiment qui entraine la violence… et le Califat t'entraine : quelqu'un, ailleurs, te propose une terre promise et te dit « Là, tu seras respecté ». Il t'accroche par un détail et donne une réponse à ce poids que ressent tout adolescent et tout djeun' voué au chômage : l'exigence de "devenir un homme" ou simplement d'être un individu (assuré dans son identité). Il t'en soulage et en même temps te promet la gloire individuelle du martyr.
Ce qui veut dire qu'on peut aussi se poser la question ainsi : avons-nous affaire à une radicalisation de l'islam ou à une islamisation de la radicalité ? Plus exactement une islamisation du schéma "humiliation / ressentiment / vengeance". La violence, le désir de tuer contenu en chaque être humain (surtout s'il se sent bloqué dans une société bloquée) prendrait la voie et la voix de l'islam pour se justifier. Une forme précuite pour se réaliser. Une structure toute prête pour se donner une raison de vivre et de mourir, avec discours prétexte et moyens techniques fournis clé en main. Possible. C'est le schéma de tous les enrôlements : sectes, partis, "associations de malfaiteurs liés au terrorisme" (de l'armée, aussi…?)


dimanche 24 janvier 2016

EN VRAC, la suite…


LE 13 novembre. C'était un vendredi 13 + journée de la gentillesse + Saint Brice (c'est qui celui-là ?) + la veille de mon anniversaire ! Merci du cadeau !…
Je ne m'en remettrai jamais. J'ai mal à la France, j'ai mal au monde. Ça sonne grandiloquent, mais c'est vraiment ça. Et ces cons-là, non, définitivement, je ne leur permets pas de faire ça.
En vrac j'étais / je suis encore, au point que dans les jours suivant les attentats Bataclan j'ai effacé accidentellement tout ce que j'avais déjà recueilli ou écrit depuis dessus… J'ai donc redémarré ici depuis quelques jours de zéro ou presque, en vrac, des notes et réflexions post-13-novembre, souvent des réactions à ce que j'entends ou lis, presse, médias… J'essaie vaguement d'y mettre de l'ordre, mais il y aura autant de trous que de répétitions… Sans omettre les commentaires de lecteurs qui, même s'ils me semblent infondés, m'obligent à préciser ma pensée.
• Jeanne Favret-Saada, anthropologue : « Pour une pensée juste, il est important de partir de là : se reconnaitre "affecté", se savoir touché, comme préalable à toute prise de position. » Ceci était dit au cours d'une conversation publique (Cité-philo) avec Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, les auteurs de "Prendre dates – Paris 6 janvier – 14 janvier" – lecture éminemment recommandable. (Cité par Philosophie Magazine N°95.)
On peut avoir peur, oui, c'est même recommandé. (Quand je dis "on", a priori je parle pour moi. Que chacun élargisse ou non, à son gré.)
• Il y a aussi une certaine excitation à se dire « Nous vivons un moment historique. » On s'en serait bien passé, certes, mais quand même, c'est grisant, ça nous change de la banalité du quotidien. (Cette excitation est d'ailleurs aussi un des moteurs des "radicalisés" : quitter l'ennui, vibrer, vivre enfin, quitte à en mourir. Et il y a aussi une certaine fascination "romantique" et "romanesque" face à l'acte ultime, tuerie, attentat-suicide. Méfiance : la fascination est une des armes du fascisme.)
• « Il y a l'effroi », disait François Hollande, avec cette formule grammaticalement discutable mais juste : c'est du "il y a", impersonnel, quelque chose qui se répand dans l'air, dans l'atmosphère générale, touchant tout le monde ET chacun… Et l'effroi contient le mot froid. Oui, on a froid. Il convient de se réchauffer – et autrement que la tête sous la couette.
Nous sommes entrés dans le miroir des fous. Pour l'instant, nous y sommes coincés. Il va falloir le traverser.
Nous n'avons pas à rester sidérés.
• Le 7 janvier était un assassinat ciblé, "justifié" (prétexté, plutôt) par des blasphèmes de presse. L'attentat contre Charlie Hebdo avait une forte "valeur symbolique", parait-il. On en a entendu des « Ils se sont attaqué à la liberté d'expression » dans les réactions politiques et médiatiques ! Mais non, croyez-vous qu'ils pensaient si abstraitement ? Ils ont tué des gens, ils n'ont pas tué "la liberté d'expression". Nous, nous y voyons un symbole fort. Après ça et après le musée tunisien (l'art) et la plage (les touristes), et quelques autres, on pouvait se dire que la prochaine fois, ce serait un autre lieu symbolique, plus spectaculaire, peut-être… La Tour Eiffel, les Galeries Lafayette, ou un bâtiment public, l'Élysée, la Chambre des Députés… ou alors une usine classée Sévéso ou une centrale nucléaire… Non, rien de tout ça… Des bistrots… Pour l'essentiel, ils veulent juste tuer des gens.
— Mais le stade de France, quand même !
— Oui, là il y avait un gros enjeu symbolique (la bêtise populaire des amateurs de foot), mais surtout un gros enjeu de foule, de masse – plein de gens. Heureusement, leur amateurisme les a fait rater leur coup.
— Et le Bataclan ?
— L'enjeu symbolique, c'est le rock, c'est la musique "dégénérée", comme le nazisme fustigeait les "arts dégénérés". Est-ce un hasard s'ils ont attaqué une soirée death metal, musique satanique, plutôt que Charles Aznavour…? À part que les Eagles of death metal font plutôt une parodie de death metal… Et puis les djihadistes sont des amoureux de la mort… logiquement, ils devraient bien s'entendre avec le death metal. Peut-on y voir encore de l'amateurisme ? Est-ce juste une question d'accessibilité ? Si ça se trouve, certains de ces tueurs étaient déjà allés dans cette salle voir des concerts (de death rap ?) et connaissaient donc les lieux et leur niveau de sécurité, tout simplement.
• Les signes et symboles qui se sont révélés à l'occasion de l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo sont toujours là, ce sont les mêmes qui ressortent des attentats de ce funeste vendredi 13 (et ils étaient déjà là avant, Merah à Toulouse, Nemmouche à Bruxelles, pour se contenter d'exemples récents et moins massifs). Blasphème supposé, apostats supposés (des musulmans devenus flics ou soldats de l'Occident), religion, islam, antisémitisme, islam antisémite et antioccidental, jeunes perdus des cités perdues – tout ça mélangé – gros magma… Si l'assassinat n'est plus ciblé sur des individus précis, nommés, si le 13 novembre est un véritable attentat terroriste au sens pur, c'est-à-dire terrorisant, il n'est pas aveugle pour autant, tous les prétextes sont bons : le rock, la fête, les cafés, les filles aux cheveux libres, maquillées, musique, cigarettes, amours libres… « Paris, la capitale des abominations, des perversions, des idolâtres… » (communiqué du Califat… les prophètes bibliques ne s'exprimaient pas autrement pour conspuer Sodome, Babylone ou Ninive), et ceci dans un quartier proche des ex-locaux de Charlie Hebdo et tournant autour de la place de la République… Sont aussi visés chez nous, ou inclus dans le "pack", comme participants à ce mode de vie décadent, nombre d'apostats, beurs, arabes laïcisés, voire ex-musulmans athéisés qui boivent de l'alcool et écoutent du rock. Des traitres à l'islam.
Maintenant, est-ce bien ça, ou seulement ça, "la civilisation", notre civilisation ou culture que nous avons à défendre ? Ça demanderai études et développement. Déjà, c'est peut-être con, c'est juste "notre mode de vie", pas "nos valeurs" (ça aussi, politiques et médiatiques nous le serinent). "Nos valeurs", ce serait juste les terrasses de café et les salles de rock ? On appelle ça aussi "société de consommation"… Pour ma part je ne vais pas en concerts de rock, pas souvent aux terrasses de café, je bois peu… et j'aime les filles sans maquillage (mais "en cheveux", oui).
Tout attentat projette une ombre sur la réalité. Celui-ci en particulier, sur notre réalité.
Non "nos valeurs", mais des signes. Ces signes devraient suffire pour comprendre (= "appréhender par la connaissance", mais aussi "intégrer dans un ensemble"…)



samedi 23 janvier 2016

Religiophobie


Sur le plan de l'anti-religion, ou "religiophobie" (ou mieux : théophobie), et question "radicalisation", on peut dire que Charlie Hebdo se radicalise. Tout ce qui était de la simple rigolade avec les conneries des religions et des religieux, l'anticléricalisme classique, tourne à l'athéisme militant. Pour ma part, je dis "tant mieux" : il y en a besoin, on le constate tous les jours, avec les réactions de tous bords à cette couverture sur "Dieu, le coupable court toujours…"… ou avec par exemple la question kippa / pas kippa ? qui me donne la simple envie de leur dire : gardez vos fétiches pour vos lieux de culte. (Mais je suis un laïciste radical, anti-religion et théophobe.)
La "guerre", puisque "guerre" il y a, c'est là quelle se tient. Ce n'est pas une "guerre de religionS", c'est une guerre de "LA religion" contre tout le reste : la laïcité, c'est-à-dire les laïcs, l'athéisme, c'est-à-dire les athées. C'est-à-dire des gens. Et quand le dis "la religion", c'est évidemment un raccourci : ça ne se limite pas aux dogmes et au clergé : pas de croyance sans croyants, pas de religion sans adeptes. On n'a pas : la religion d'un côté, les croyants de l'autre, c'est un tout. "La religion", ça veut dire tous ceux qui y participent, modérés comme fondamentalistes. Des gens. Et donc quand on critique ou "attaque" la religion ou une religion (verbalement, graphiquement, humoristiquement… je ne parle pas de violence), on critique les gens qui y participent. Il est illusoire de croire et trompeur de dire « On ne se moque que des croyances, pas des croyants. » Vaste blague ! Si tu te gausses de Jésus et de ses miracles de foire, tu te moques de tous ceux qui adorent Jésus et ses miracle, si tu combats les saintes lois de la charia, tu combats tous ceux qui obéissent à ces lois. Si tu te moques de Mahomet qui est mort il y a 1400 ans, lui il s'en fout, mais ça touche tous ceux qui l'adorent. Si tu critiques ou moques une croyance, tu critiques ou moques tous ceux qui y croient. Le Pape a dit que c'est pas bien, tant pis. S'ils le prennent mal, s'ils se sentent blessés, s'ils se vexent, c'est qu'ils ont bien compris que tu te moques d'eux. Mais c'est leur affaire. Et s'ils te tuent, il enfreignent la loi.
Toi, tu ne les tues pas. Ça fait une grosse différence.
Le numéro suivant de Charlie Hebdo enfonce le clou (ça va faire encore des stigmates !) C'est qu'il y a vraiment un combat à mener, là (les Lumières du XVIII° n'y ont pas suffi, la loi de 1905 n'y suffit pas…) un combat important, de culture, de civilisation, qui ne concerne pas qu'un journal, des concerts de rock et des terrasses de café, et qui ne se gagne pas seulement à coup de dessins provocateurs et drôles, mais par la subtilité de l'analyse, par l'intelligence du démontage, par l'information. Là encore, j'entends "combat" au sens intellectuel, culturel, médiatique. Les bombardement en Orient, ce n'est pas mon affaire, je ne suis pas un homme politique.
D'où l'intérêt de reportages-témoignages in situ, savoir ce qu'il se passe, ici et là, et d'articles "sérieux" n'ayant pas peur de faire appel à la philosophie ou à la psychanalyse.
Et donc encore, dans le Charlie Hebdo 1224, quelques enquêtes intéressantes. Comment ça se passe à Pontanezen, en Bretagne, avec, entre autres, ce fameux imam qui raconte aux enfants que d'écouter de la musique, œuvre de Satan, va les transformer en cochons ou en singes (à moins que ça les transforme en passoires s'ils vont écouter du rock au Bataclan.) On laisse dire ça  ? Les autorités de la république laissent dire ça ? C'est une opinion défendable en place publique ? Le plus choquant est qu'il tient ce discours non pas dans une mosquée mais dans une salle municipale ! Hé, les élus, la loi de laïcité, vous connaissez ? (À part ça, à Pontanezen, il y aurait aussi une sex-shop et une boucherie halal tenue par un François Caradec !)
Autre reportage à Vesoul où apparemment tout le monde connait quelqu'un de son entourage qui est "parti en vrille", et pas forcément des Mohamed ou des Mouloud… (Mais il y a aussi un "Café Charlie"… (Rien n'est simple… ou rien n'est simplet, plutôt…)
Il y a lieu de se sortir des mots abstractisants, des idées générales, des concepts idéels tels que "la religion" ou "la laïcité", et regarder la réalité des choses, des actes, des évènements, et des gens qui en sont les pratiquants, les auteurs, les victimes. Je veux dire par là que ce n'est pas "la laïcité" qui se défend contre "la religion" (raccourcis abstractisants), mais des gens laïcs, voire athées, qui se défendent contre des gens religieux, voire violents. Je cite à nouveau Charlie Hebdo N°1224, Guillaume Erner : « Charlie rappelle ce qu'est un "fait", étymologiquement non pas une donnée, mais une chose faite. » Ce qui me semble extrêmement important : penser (et panser) les faits, non les idées. On dispose d'un tas de modèles d'explications intellectuelles, morales et politiques pour penser ce qu'il se passe et au besoin le justifier. Mais les faits restent : les morts restent morts, les blessés restent traumatisés.


samedi 16 janvier 2016

En finir avec l'aveuglement.


(En suivant toujours les pages du Charlie Hebdo 1224.)
Gérard Biard, il faudrait citer entièrement son article : pas de compromis face au totalitarisme religieux, pas de reculs, pas d'accommodements "raisonnables" avec le pire. Il n'y a pas d'islamistes modérés. (Le journaliste Mohamed Sifaoui dit la même chose : « Il n'y a pas d'islam politique modéré. ») D'ailleurs, ce qui ressort de l'ensemble du journal, c'est que, même si j'en étais déjà convaincu, l'ennemi, leur ennemi, notre ennemi, c'est la religion, non seulement dans ses pompes et ses œuvres, mais dans son fondement même, toutes les religions. Et pas seulement les "fondamentalistes". Sur ce thème, il faut bien lire, plus loin, page 27, l'article de Soufiane Zitouni et page 31, celui de Taslima Nasreen… qui sait de quoi elle parle… Et il est évident que j'en reparlerai tant je suis las du discours laxatif qui veut que "la religion", c'est intouchable c'est bien c'est pur c'est "le spirituel" mais hélas il y a des méchants qui s'en emparent et la détournent pour des causes sordides, politiques, géopolitiques, économiques ou juste pour un support à leur folie.
Défendre la laïcité, donc – notre bien le plus précieux. Si on n'a pas compris ce que c'est, ou si certains font semblant de ne pas comprendre, on peut toujours aller lire le texte de la loi de 1905 sur le site du gouvernement. (Extrait ci-dessous.)
Jacques Littauer est sur le même registre à propos de la situation dans les universités. Et ceux qui « préfèrent acheter la "paix religieuse" en fermant les yeux sur les pratiques illégales, quitte à ce que la laïcité s'effrite peu à peu. »

Patrick Pelloux évoque exactement la même problématique dans le sein des hôpitaux et dans le domaine médical en général et finit sur une réflexion rare : « Faut-il mettre les islamistes radicalisés avec les délirants mystiques dans les services de psychiatrie ? Dans beaucoup de quartiers, des psychiatres se posent la question… » (Est-ce que personne d'autre n'ose le dire ? Les intégristes ne sont pas "des cons", ce sont des psychopathes-sociopathes.)

Suit une double page sur les dessins d'enfants à propos des assassinats et… que dire ? Je crains un peu. Là aussi des crayons des crayons des crayons. Et puis de la "liberté d'expression", des "valeurs", des symboles… comme une dérive hors de la réalité.

Je m'attarde sur les doubles pages centrales surtout pour souligner et reproduire ici deux dessins que j'adore (mais il y en a d'autres bons : les morts bandent encore !)
Décidément, j'aimais beaucoup Wolinski. Qui avait dit « L'humour ce n'est pas seulement se moquer du monde. Il faut aussi avoir quelque chose à dire. Il faut aussi avoir une certaine grâce. » Merci. J'affiche ça en permanence dans un coin de ma tête.
Et puis Tignous qui, entre autres qualités, dessinait (trop rarement) des filles si sexy.




APPENDICE : LA LOI DE 1905
Extraits 

# La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (Suivent nombre d'articles très techniques concernant le devenir des biens des établissements ecclésiastiques d'époque.) Les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte devront être constituées conformément [à la] loi du 1er juillet 1901. (Suivent des articles, très techniques aussi, concernant la gestion financière de ces associations.) Les réunions pour la célébration d'un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles […] restent placées sous la surveillance des autorités dans l'intérêt de l'ordre public.
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte.
Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte, sont réglées en conformité du code général des collectivités territoriales. Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal […].
Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
[Protection de la liberté de conscience des individus :] Sont punis […] ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.
[Protection de l'exercice des cultes :] Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
[Surveillance de la parole des ministres des cultes :] Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni […]. La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établie devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues [par la loi].
Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni […] sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. #

Quelques lois et jurisprudences plus récentes préciseront en particulier la question du port de signes religieux dans l'espace public.