mercredi 30 janvier 2019

P(ays)age s(auv)age.


La nuit émeraude t'enlace. L'oiseau gazouille, l'olive ovule, l'art brut arbitre. La fleur grimace dans son pot. L'orthobus prend ses virages à angle droit. Le panorama est paranoïaque, voire paranormal. Les ventilateurs brassent le vent tandis que les moulins l'embrassent. Des papabile pédophiles, paternes austères, chassent l'oppidum au Pompidou, prennent un bain de foule à La Bourboule, puis abordent à Bordeaux pour aller au bordel. Une ligne d'ombre se projette sur le miroir de la mer. Un baobab (père de tous les arbres) prend en otage une purée d'artifice.
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Le temps était condescendant. J'atteignis l'arcade aux louves où m'attendait la sirène aux dents d'algues aigues. Elle me proposa un wistiti. J'inclinai la dévitation, mais comme ça ne voulait rien dire, elle me servit quand même un grand verre de mormol. Après le troisième, je ressemblais plus à rien. (Le liquide coule dans mes artères. Il éclaire mes sens comme un soleil noir d'une Arcadie postatomique.) L'arcade était protégée par une marquise. Comme il pleuvait, tous les courtisans se massèrent avec circonspection sous celle-ci – qui rougit, puis jouissit. Puis ils partirent tous en procession en direction de la cathédrale de Tchernobyl.
— Nous sommes au delà de la fin du monde, se lamentait Rufus Tucru.
— J'espère que ça ne se reproduira plus, déclamait la Rusalka l'ondine (voir plus bas, post précédent).
— Qui-ça, "ça" ?
— L'espèce humaine.
Elle décide de mourir – c'est le bon choix car elle n'a pas de prix.
Je la couche sur le papier. Je trace son contour comme la police autour d'un cadavre.
Ce soir il fera nuit et nous irons sur la lune.
— Regardez ! Des étoiles filantes ! clamèrent-ils tous en chœur. Attrapons les éclairs avant qu'ils ne touchent terre, cueillons les arc-en-ciel, mangeons les nuages. Envoyons des baisers par pigeons voyageurs, chantons les papillons de nuit, filons les étoiles, écoutons les sirènes de fin du monde, hybrides hydrophiles.
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L'art des enchâssements
À propos du titre de cet épisode…
Paysage ou Page ? Sauvage ou Sage ?
Il faut que je dise d'bord que j'ai lu le dernier Galaxies. Parmi les conseils de lecture, il y avait "Comment parler à un alien ? - Langage et linguistique dans la science-fiction" de Frédéric Landragin (Bélial'). Bouquin passionnant qui, entre autres, parle abondamment de "L'Enchâssement" de Ian Watson. Du coup, je relis "L'Enchâssement" (Presses Pocket, 1985) qui parle beaucoup d'enchâssement, bien sûr, en se référant constamment à "Nouvelles impressions d'Afrique" de Raymond Roussel, que je n'avais jamais lu et que je me procure contre menue Monnaie (Petite Bibliothèque Ombres, avec les 59 dessins de H.A. Zo). Je le lis en comptant les parenthèses enchâssées. Je pourrais dire "Je n'ai rien compris", mais y a-t-il vraiment quelque chose à comprendre, au delà de l'exercice littéraire maniaque proto-oulipien ?
Mais ça m'a fait réfléchir au principe de la parenthèse contenant une phrase enchâssée, donc, dans une phrase… parenthèse susceptible de contenir une autre parenthèse, etc. système que je pratique couramment dans mes propres textes. Mais pas plus, parce que au delà, on perd le fil et il faut commencer à compter les parenthèses, les mettre de côté pour retrouver la continuité de la phrase mère, etc. Chez Roussel, une parenthèse s'ouvre à la 10e ligne et se referme 5 lignes avant la fin du chapitre, après avoir contenu 10 pages, dont jusqu'à 6 parenthèses enchâssées comme des poupées russes… sans négliger les notes en bas de page…
Bref (si je puis dire), il faut classer Roussel dans les "fous littéraires", ou au moins dans les "bizarres" (il a d'ailleurs sa notice dans le "Livre des Bizarres" de Jean-Claude Carrière et Guy Bechtel, mais surtout pour ses mœurs. Pa exemple, il ne faisait qu'un repas par jour, qui durait quatre heures au cours desquelles il ingurgitait d'affilée petit déjeune, déjeuner, collation, dîner…)
Après, pour m'amuser, je me suis dit : dans le principe d'enchâssement, pourrait-on placer une parenthèse à l'intérieur même d'un mot ? Par exemple : Paren(père et mère)thèse.
Ou une parenthèse tiroir. Le jeu consisterait alors à enchâsser un mot dans un autre ou, dit autrement, à révéler un mot déjà inclus dans un autre (par hasard) et ensuite d'en donner une sorte de définition explicative ou poétique (quitte à tirer par les cheveux) tirant de ce mélange deux ou trois sens (ou plus) supplémentaires. J'imagine qu'il y a déjà sur la planète bon nombre de joueurs de mots, dadaistes ou surréalistes ou oulipistes, qui se sont livré à ce petit jeu.
Par exemples :
(AF)F(L)ICTION : chagrin imaginaire de l'Association Française pour la Lecture.
(B(AR)OUDEUR : l'aventurier boude accoudé au bar.
COU(VER)T)URE : elle a cousu un plaid vert autour de son cou.
COU(VERTU)RE : qu'elle courre, qu'elle courre, la vertu, par dessus les draps.
DÉSO(PI)LANT : la constante d'Archimède (le nombre PI) est à la fois rigolote et désespérante.
ÉC(UR)EUIL : ce petit animal velu vivant dans une antique cité de Mésopotamie a rencontré une difficulté.
F(R)ICTION : il y a des disputes  entre fans de SF.
GRI(BOUI)LLE : la grille bout.
INU(TILI)SABLE ou INUTI(LISAB)LE : ce couteau prétendument inusable s'avère inutilisable, donc inutile, conclut Lisa.
LU(MI)NAIRE : éclairage nocturne en mi mineur.
RÉCU(PÉ)RER : nettoyer les traces de flatulences.
RE(NON)CULE : la fleur qui va toujours de l'avant.
RENON(C)UL)E : abstinent sexuel.
TAN(GEN)TE : ma tante n'a qu'un minimum de contact avec les autres gens.
TA(MBOU)RIN : cet habitant de Hambourg joue du tambour avec son nez.
VI(SI)TE : tu as fait un passage si rapide chez moi !
(Des fois, peut-être qu'en mettant certaine lettres en couleur, ça marcherait mieux…)
… Bon. Amusez-vous.



dimanche 13 janvier 2019

Méfiez vous des verres à dents…


… parfois ils mordent – comme la mer.
Je rampais sur la plage de galets, "concentré sur la nécessité de conserver intact mon fond de carter" (comme disait un personnage de Keith Roberts. ["Les Turbines Géantes", Fiction N°284, 1977] ; en le lisant, je me suis interrogé un moment sur le sens de l'expression "conserver intact mon fond de carter", jusqu'à ce que je comprenne que le personnage en question – le narrateur – roulait en voiture – une Midget – sur un mauvais chemin de campagne – dans le Dorset –, puis j'ai décidé d'en tirer une métaphore concernant les couilles rasant le sol d'un narrateur en train de ramper sur une plage de galets.)
Donc, je rampais sur la plage de galets, etc. Je me mis à frire paisiblement. Des larmes s'enfonçaient dans mes yeux. J'allais à la rencontre d'une nymphette sirénéenne jouée par une actrice à la carrière aussi bien remplie que son soutif.
— T'as un tatoo sous ton soutif ? lui demandis-je allitéralement.
J'avais découvert depuis peu qu'il existait un film nommé Rusalka ou The Rusalka évoquant une romance entre une sirène d'eau douce et un mormon muet (!). Et pourquoi pas, me dis-je, une romance entre l'abominable homme des neiges et Jeanne d'Arc après son bucher ? Entre Salvador Dali et une femelle hippocampe géante trisomique ? Entre un Shadok et un Amish ventriloque ? Une danseuse nue du Crazy Horse Saloon et un peintre aborigène australien ? Une baroudeuse boudeuse et un lézard basilosaurus ?
Moi, je n'étais ni mormon ni muet ni etc. et c'est bien de la mer et de ses dents amères que je sortais en rampant jusqu'à ma maison aux vitraux bleus taillés en losanges.
— « Écoute ! — Écoute ! — C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
» Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
» Écoute ! — Écoute ! — Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraiches iles d’herbes, de nénufars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne. »
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt, pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais, pour être le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
(Aloysius Bertrand. Gaspard de la nuit)
J'éclatai en losanges.
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NDE : Je rappelle à ceux qui peuvent s'étonner de certaines bizarreries orthographiques telles que l'absence de plusieurs accents circonflexes ou le f de nénufar, que j'ai (outre quelques fantaisies personnelles) programmé mon Word pour la "nouvelle orthographe recommandée", ce que les correcteurs et -trices des éditeurs semblent peu apprécier, ne voulant pas affronter des règles supplémentaires, alors que cette NOR (recommandée depuis une bonne vingtaine d'années, quand même…) est, sur la plupart des points, une sim-pli-fi-ca-tion. Et une rationalisation. Comme quoi, les "recommandations" de l'Académie ne servent à rien, on veut des ordres ! On n'accepte les réformes que contraint et forcé.