jeudi 31 mars 2016

Après Bruxelles 22 mars


Valls en a marre des explications psycho-socio-historico-politico-culturelles (PSHPC) qu'il voit comme des "excuses". Mais non, ce ne sont pas des excuses, justifications, légitimations ou pardons. Les excuses ou le pardon, c'est de la morale (ou de la justice, sur son versant "circonstances atténuantes"). La légitimation, c'est encore autre chose : une justification idéologique (demandez à Camus si quoi que ce soit justifie le terrorisme). Le pardon, c'est typiquement chrétien. Les excuses, l'empathie, le "je sais ce que tu ressens", ça peut faire du bien, sur le plan affectif, tant à celui qui reçoit qu'à celui qui émet, celui qui est pardonné comme celui qui pardonne. Tout cela, ce n'est pas le rôle des explications.
La recherche d'explications, c'est (ou ça essaie d'être) de la science, du moins de la compréhension par le travail analytique. Ça peut emmener loin parce que les PSHPC, c'est en fait toute la Culture. C'est la Culture qui chapeaute tout ces domaines, y compris le domaine politique politicien… (J'entends la Culture au sens anthropologique, d'où la majuscule.) Concept analytique, grille où s'entrecroisent, comme dans les mots croisés, psychologie, sociologie, culture, religion, mœurs, sexualité, génétique… et bien sûr politique. L'explication anthropologique a le tort d'être complexe et de prendre du temps.
On préfère en général les explications simples. Elles sont forcément simplettes, mais on adore ça : on veut toujours des coupables, ou mieux : un coupable. Le UN, Dieu, l'origine, le Big Bang ou Big Brother, la cause unique (paradigme issu du monothéisme). Mais le monstre de Frankenstein est un puzzle. Toutes les explications causales sont vraies, toutes les raisons déraisonnables du mal, sont vraies. Il ne faut pas les opposer mais les conjuguer, les entrecroiser comme dans la grille des susdits mots croisés. Tout est vrai, tout est en cause : la religion et l'absence de religion, la radicalisation islamique et l'islamisation du radicalisme, la politique partisane, le vote et l'abstention, l'urbanisme béton, la nourriture chimique, le racisme, le laxisme et la raideur, la faillite de ceci ou cela, mai 68 et la pratique du 69, la pornographie, Internet, le chômage, la drogue, le pétrole………
Restent les faits.
Les explications PSHPC n'excusent pas, ne légitiment pas, ne pardonnent pas et n'effacent pas les faits. Ne rassurent pas non plus. Et n'excluent pas la répression policière, judiciaire, guerrière, qui sont des choix politiques. Par contre, en faisant avancer la compréhension, elles peuvent améliorer la prévention d'autres faits similaires prévisibles. Analyser, comprendre ne sert pas à excuser (ce qui est, au fond, victimiser) ni à condamner (culpabiliser et traquer les coupables derrière les coupables) mais à chercher comment éviter ça, comment faire mieux la prochaine fois. Prévenir.
Punir les coupables (et surtout les empêcher de sévir de nouveau, ce pourquoi on les enferme), il faut bien, sans doute, c'est en tout cas l'urgence. D'où l'état d'- . C'est le boulot de la police et de la justice : soigner le symptôme. (Mais pourquoi donc faut-il encore un accent circonflexe sur "symptôme" ?!) Comme en médecine, il faut bien soigner le symptôme qui masque le terrain pour pouvoir soigner le terrain. Car, l'important c'est de soigner le terrain : soigner les cités (sociologie), les enfants des cités, un à un (psychologie), l'école (éducation, culture)… Et aussi bien la religion, celle qu'on répugne à nommer et à pointer du doigt par peur d'être accusé de racisme : l'islam, puisqu'il faut l'appeler par son nom. (Rassurez-vous, j'en ai autant pour les autres religions, comme lieux de maladies individuelles et collectives.)
Et ça, c'est l'action, et c'est le boulot de… de qui, au fait ?  De l'éducation, pas seulement nationale, c'est-à-dire en fait d'un peu tout le monde : des parents, culturels officieux ou officiels, soignants ou éducateurs "de terrain", médias, etc., tout un monde qui, en principe, est chapeauté par l'État, le domaine politique : les politiques, les élus – qui sont les délégués de cet "un peu tout le monde".
— Mais… tu rêves, là !
— Oui… Non… Mais… Inutile de faire le énième discours sur la démission du politique… Si eux ne font pas ce qu'il y a à faire, les "un peu tout le monde" cités plus haut, ainsi que "tout un chacun" font ce qu'il peuvent à leur échelle. On ne compte plus sur la politique, ou le politique, qui est censée impliquer et s'impliquer dans tout le domaine PSHPC, mais qui l'a un peu oublié.
Les hommes politiques, les élus, ça les arrange, de refuser les analyses PSHPC trop pointues, parce que, forcément, ça les met en cause. Ça met en cause leurs actions et inactions, les erreurs commises à droite comme à gauche depuis 40 ans ou plus dans les politiques migratoires, de la ville, de l'éducation, de la santé, leur clientélisme, leur démission. Ça pointe leur responsabilité, et ça ils n'aiment pas. Alors ils font la sourde oreille (à moins que ce ne soit de l'aveuglement). Ils se contentent donc de l'action au sens le plus superficiel du terme : soigner le symptôme : le renseignement, la police, la répression, la prison, la guerre contre Daesh au loin, les traques, arrestations et au besoin abattages d'auteurs d'attentats, ici. Ce n'est pas à exclure, comme dit plus haut : il faut bien dégager le terrain.
Mais ce n'est pas la fin, c'est le début du boulot.


lundi 28 mars 2016

La Syrie, tragédie linguistique


Dans Courrier International 1320, un article de Yassine Al-Haj Saleh, intellectuel syrien vivant maintenant je ne sais où – mais pas en Syrie. (Article publié à l'origine à Istanbul en septembre 2015.)
Il traite essentiellement de questions de langage, mettant en évidence que la langue des otages n'est pas la même que celle des geôliers… celle des tortionnaires, que ce soit ceux de Bachar El-Assad ou ceux de Daesh, n'est pas la même que celle des défenseurs des droits de l'homme. Ce terme, par exemple, comme le terme de laïcité, sont reçus comme concepts importés de l'Occident pour corrompre "notre culture", nous faire renoncer à "notre religion", disent-ils. Leurs accusations en réponse à ces concepts sont émises dans la langue salafiste qui n'a d'autre validité qu'elle-même. Elle n'émane d'aucun code pénal, d'aucune juridiction hors champ. Absence d'une langue commune tant dans le vocabulaire et les symboles que dans la vision de l'avenir – communication impossible.
« Un langage commun constitue l'infrastructure d'une société. Cela n'implique pas que tout le monde parle la même langue et dise la même chose, mais que toutes les paroles soient traduisibles et qu'il existe des références communes entre les différents modes d'expression. » (La question des références communes est particulièrement pointue en ce qui concerne l'humour, on le voit chez nous dans les affaires de caricatures… et ce n'est pas anecdotique.)
« S'il n'y a pas de langue commune entre les hommes du régime syrien, ceux de Daesh, les otages et les détenus, c'est en raison de l'absence de rationalité partagée. Parce que les ravisseurs et les geôliers ne reconnaissent pas la logique de leurs prisonniers, pas plus que la légitimité ou la justice de leur cause. Ceux-ci sont même victimes en quelque sorte d'un déni d'existence, dès lors que le détenteur du pouvoir tient sa force de son statut seul. » Les hommes d'Assad n'ont pas de légitimité hors du pouvoir assadien, les islamistes n'ont pas de légitimité autre que celle de leurs croyances religieuses.
Le langage religieux est impersonnel et empreint de formules métaphoriques, c'est une sorte de langue alternative. « La langue de Daesh est à la fois étrangère et creuse, dépourvue de vie, de personnalité et de conscience collective historique. Ce type de langage semble particulièrement adapté à l'exercice du pouvoir en raison de sa vacuité. Il exprime un ensemble de règles, d'ordres, d'interdits, et de devoirs inhumains et asociaux qui n'ont rien à voir avec ce que propose une langue vivante, reflet d'une expérience personnelle. Il est facile d'attribuer des mots à Dieu, dont la parole n'est celle de personne. Dans la langue de Daesh, la définition des notions de bien et de mal permet de considérer les gens comme intrinsèquement fautifs, quoi qu'ils fassent. » Les accusés sont coupables dans leur être et non pour leurs actes. (Nous, avec la "présomption de culpabilité" qu'on serait susceptible d'appliquer aux "radicalisés", on est des enfants de chœur…)
Parmi les prisonniers torturés, ne seront sauvés que ceux qui se renieront, se repentiront en suivant un rite spécifique qui est en fait l'abandon de son langage propre pour adopter le langage du bourreau. Les prisonniers du régime d'Assad « qui ont vraiment adopté le discours du régime pour sortir de prison ont fini par rallier le pouvoir. Car ce n'est pas seulement une question de discours. On ne peut exister hors de sa langue. » De même chez les prisonniers de Daesh qui se repentent : adoptant la langue de Daesh, apprenant de force des sourates du Coran, ils ne peuvent devenir que de bons daeshistes. Il s'agit véritablement de conversion (metanoïa). Entrer dans le langage de l'ennemi, c'est passer à l'ennemi. On peut se référer aux retournements de vestes des post-68ards devenus commerciaux et des (ex)socialistes empruntant le langage de la finance capitaliste et donc devenant de purs capitalistes.
Il faut se rappeler la novlangue de "1984"… Il faut étudier le langage (pire qu'une langue de bois) des communiqués du Califat, de leur journal en ligne… et, à travers les témoignages des otages de Paris, le langage des tueurs, tant chez Charlie Hebdo qu'à l'Hyper Cacher, au Bataclan… et des Merah… et du gang des barbares… saisir ce qui, dans le langage même, nie et la rationalité, et le partage possible de quoi que ce soit, et l'être même de l'autre. Et ce, souvent, sur un ton calme, presque doucereux, comme s'expriment d'ailleurs les grands gurus islamistes, comme s'exprimait Ben Laden. Personne ne hurle comme le faisait un Hitler. Ils ont le calme que donne la certitude.
« Ils ont le temps, ils voient leur action comme le vent qui petit à petit érode le rocher. De plus ils n'ont pas honte de leur cruauté. » Jacky Berroyer citant T.E. Lawrence in Siné Mensuel 41 - Avril 2015).


samedi 26 mars 2016

Orthodoxes


Étymologie : orthodoxie = opinion droite.
A propos de chrétiens orthodoxes, on peut noter que l'Église orthodoxe russe, par la voix de son porte-parole Vsevolod Tchapline (mais non, pas Charlie Chaplin !) a qualifié l'intervention de la Russie en Syrie de "guerre sainte". Bravo. Aussi cons que les salafistes, les orthodoxes ! Pour être juste, ajoutons que le métropolite de Beyrouth, Elias Audi (vroum, vroum) l'a contredit et considère l'idée comme une hérésie. Bon. Que les orthodoxes règlent leurs affaires entre eux.
Quelques éléments de presse russe tirés de Courrier International. Les Russes, quand ils ne sont pas en vol, sont basés à Lattaquié, fief des alaouites (secte et région d'où sort Bachar El-Assad). « Les Syriens pro-Damas ne se battent pas pour le régime d'Assad, ils se battent pour leur pays, pris d'assaut par des islamistes venus du monde entier. » Il cite les organisations islamistes radicales principales : Califat et Jabbath Al-Nosra, affilié à Al-Quaïda, groupes qui ont tous pratiqué le nettoyage ethnique ou religieux contre Kurdes, Yézidis, chiites…) Des patriotes, donc.
D'accord, mais les "rebelles" qui ont commencé la lutte anti-Assad, c'est quoi ? L'ASL (Armée syrienne libre) qui a commencé la "révolution" ou révolte dite "printemps arabe", ce n'est pas des Syriens patriotes ?… Eux aussi, ils en ont marre des assassins du Califat, et ils acceptent de faire la trêve, du moins ceux qui ne sont pas morts sous les futs d'explosif tombés du ciel, ou enfermés dans les prisons d'Assad, ou sur les routes d'Europe à la recherche d'un refuge pour réfugiés.
En résumé : 1) printemps arabe, la jeunesse commence avec des revendications démocratiques, 2) des islamistes rejoignent le mouvement et foutent la merde, 3) l'Occident s'en mêle (et fout la merde). Résumé à gros traits qui oublie que des opposants au régime d'Assad, il y en a depuis vingt ans ou plus, qu'ils sont passés par- ou sont encore dans les prisons et les tortures du père et du fils, ses grandes oreilles et sa jolie femme anglaise, et que les plus jeunes, les printaniers, il a commencé tout de suite à les massacrer, l'Assad. (J'écris comme de la pâtée pour chats, là, mais j'ai des excuses : je rappelle que je m'inspire là d'un article russe, les Russes étant les sauveurs de tout le monde, les derniers défenseurs de "la civilisation", soutenus par les Américains (du moins la presse républicaine) et pratiquant avec la délicatesse qu'on leur connait des "frappes chirurgicale" (sans anesthésie). Ça leur coute cher, pour un pays en grandes difficultés financières ? Oui, mais c'est curieux, dès qu'il s'agit de faire la guerre, tout le monde trouve les moyens financiers qu'il faut, la question ne se pose pas. Cf. la France.)
Maintenant, la Russie se conduit-elle en colonialiste ? Pour l'instant, en tout cas, ils sont loin de construire des chemins de fer et des écoles, de former des cadres modernes et de diffuser les nouvelles technologies. (Parce que c'est ça aussi, le colonialisme… pas seulement la "guerre sainte" prônée par l'Église orthodoxe.)
Sinon, que peut devenir la Syrie ? Il va lui être difficile de rester un État centralisé, sauf à garder la dictature assadienne. Un État fédéral ? L'idée de fédéralisme court un peu partout dans le monde, sans arriver à bien prendre… comme en Europe… Sur quel critères, quel concept fédérateur, un État fédéral pourrait-il se constituer en Syrie ? L'islam ? L'arabité (le vieux concept de nationalisme panarabe) ? Mais… et les Kurdes ? Et puis l'islam syrien, c'est le sunnisme… que deviennent les chiites, les chrétiens, les Druzes et autres "minoritaires" (1/3 de la population… même en comptant ceux qui sont réfugiés chez les voisins de palier ou bloqués dans la boue et les barbelés de l'Europe…) Une fédération sous l'égide de l'islam politique arabe ne serait plus une fédération mais un État totalitaire… et donc plus ou moins la même chose que le Califat…
Sinon, un éclatement en entités (autonomes, semi-autonomes, indépendantes ?) pratiquant leurs modes de vie respectifs et gérant leurs affaires locales. Une balkanisation, donc. Tribalisme pas mort…

(Paru dans Zélium)


lundi 14 mars 2016

Liberté de circulation (suite)


On l'a voulue, souhaitée, désirée, exigée, cette liberté de circulation en Europe. Pour le meilleur : l'amitié entre les peuples, c'est-à-dire entre des individus mâles et femelles, jeunes et vieux, citoyens de différents pays de l'Union.
Aussi pour le très discutable, ce que nous, nous n'avons pas voulu mais que, certainement, d'autres ont voulu : les entreprises, les financiers, les commerçants : la libre circulation des marchandises et des fonds.
Et puis le pire : la libre circulation des délinquants petits et grands, nationaux ou étrangers… et donc encore, pire que les simples délinquants, les terroristes, nationaux ou étrangers.
Avons-nous pêché par naïveté ou optimisme, inconscience. L'optimisme béat qui tue. Là je dois dire qui est ce on ou nous… Un peu tout le monde, en fait… le peuple… "les gens"… les normaux, les gentils, les gens raisonnablement de gauche. Évidemment, d'autres ont poussé à la roue : les politiques, les financiers, les entreprises, les commerçants déjà cités… et les mafias, les trafiquants de drogue, d'armes, de filles.
Alors on (nous les gentils) peut se dire qu'on s'est fait avoir, manipulés par un énorme complot. Mais on peut se dire aussi que ça vaut quand même le coup de courir le risque, de supporter les inconvénients pour le bonheur des avantages. C'est à peser, en étant bien conscient du risque.
On ouvre la fenêtre pour faire entrer le soleil et l'air, c'est bien, mais entrent aussi les guêpes ou les particules fines des diésel. Parce que, même à la campagne, il y a des camions et des tracteurs. Et donc les frontières ouvertes, c'est des camions et des camions.
Les téléphones portables, c'est un peu pareil : on les veut pour communiquer instantanément entre famille, amis, etc. Mais ils servent aussi aux voyous et aux terroristes. (Pour coordonner les actions terroristes du 13 novembre, pas besoin d'un staff d'opérateurs dirigés par un "cerveau", il suffit de quelques téléphones avec kit mains-libres histoire de pouvoir manier sa kalachnikov. Quant à ceux qui se font sauter, ils ne le font pas forcément d'eux-mêmes mais télécommandés par portable…)
Circulation, déplacements, homme moderne "nomade" (Voyage-voyaaage !), communications instantanées, c'est bien gentil, et c'est avec une certaine innocence que nous les apprécions, que nous les désirons… comme les réseaux sociaux (et puis un jour on pleure parce que quelque part des gens (ou des algorithmes) nous volent toutes nos données personnelles dans des buts inavouables de publicité ou de sécurité – ou d'insécurité).
Comme la langue d'Ésope, comme tous les moyens de communication, ils sont la meilleure et la pire des choses, vecteurs de l'amour comme du danger. La liberté, ou plutôt les possibilités obtenues, gagnées, nous les payons en possibilités obtenues à nos dépends par les pires éléments de la société.



dimanche 6 mars 2016

Le droit à la mobilité


« Le droit à la mobilité est une liberté fondamentale », dit le politologue François Gemenne (je ne sais plus où j'ai lu ça). « La détermination d'une vie entière par le lieu de naissance est une injustice immense qui doit pouvoir être corrigée. » Sous son air de cohérence moderniste, ceci est idiot. Évidemment, sous l'égide des concepts de liberté et d'égalité, ça sonne bien. Mais la formule contient ou suppose deux pensées auxquelles s'oppose toute ma vision de notre être-au-monde.
– D'abord, "le droit à -" , "une liberté fondamentale"… la justice et l'injustice sont présentés comme des absolus. La formule suppose dans l'univers, dans la nature, une justice immanente ou divine et donc un droit situé dans l'absolu, dans l'universel, comme une Idée au sens platonicien. Faut-il rappeler que le droit – et la justice – et les lois sont humaines, seulement humaines… dépendent entièrement des volontés humaines individuelles et collectives qui sont liées à des époques, des cultures, des civilisations ? On pourrait dire de même que naitre avec un pied-bot ou autre handicap est « une injustice immense qui doit pouvoir être corrigée ». C'est un malheur, oui, et qui doit pouvoir être corrigé, oui, mais la justice n'a rien à faire là dedans, sauf à croire à une Justice quelque part dans l'absolu (et pourquoi pas divine ?).
– Ensuite « La détermination d'une vie entière par le lieu de naissance » présuppose l'idée bateau que chacun de nous pourrait être né n'importe où. Là aussi, il y a un présupposé religieux. En filigrane inconscient il y a l'idée que chacun a – ou est – une essence, un être hors du temps, un Moi qui précède l'existence terrestre, comme une âme errante qui s'incarnerait ici ou là, par choix ou au hasard des vents. Il faut donc rappeler ou repréciser la réalité : je suis ce que je suis, qui je suis, le "Je" que je suis parce que je suis né à tel endroit, de tels parents, dans telle culture, langue, civilisation, religion, même. Si j'étais né ailleurs, ce ne serait pas moi. Pour le dire mieux : celui qui est né ailleurs ne peut en aucun cas être moi. Et moi je ne pourrais pas être né ailleurs, et autrement, dans une autre incarnation. Oublions le conditionnel passé : il n'y a aucune alternative dans le passé, c'est pour ça qu'on l'appelle "passé".
– Et donc, pour ces deux raisons, et pour résumer, il n'y a ni justice ni injustice à être né ici ou là, c'est juste un fait, c'est juste comme ça. Le reste est superstition. Quant au droit de se déplacer, de circuler ou non dans le monde, il n'existe que par la déclaration des droits de l'homme, artefact politique strictement humain, ainsi que les lois internationales et les lois locales, celles des différents pays ou États.
– Ajoutons-y les possibilités pratiques (la faisabilité, la "capabilité") qui ne sont pas du ressort des lois, mais des moyens, financiers, techniques et autres : disposè-je d'un âne, d'un vélo, d'un jet ?
Ce qui ne veut pas dire que je conteste cette possibilité pour chacun de se déplacer, de changer de pays, pourquoi pas, comme de se faire soigner pour son pied-bot. Simplement, ce n'est pas une question de justice ou d'injustice immanente. C'est une question de droit au sens humain, c'est-à-dire de choix politique, civilisationnel, culturel… ET une question pratique, technique. Tant qu'on pose les problèmes sur le plan de grands principes abstraits, des idées et des idéaux, on est dans le verbal… et dans le religieux. Alors on ouvre tout grands nos bras chrétiens de gauche pleins de bonne volonté et puis trois mois plus tard, on s'en mord les doigts et on brouille et barbouille tout. On érige des murs barbelés, on oppose droit du sang et droit du sol, on oublie les devoirs du résident ou du citoyen, à commencer par le devoir de s'abstenir de tuer ses concitoyens ou co-résidents et de ne pas mettre la main aux fesses des femmes sans avoir demandé la permission. (Je pense là aux incidents en Allemagne à Cologne dans la nuit de la St-Sylvestre et aux polémiques qui s'ensuivent.)

Paru dans Psikopat

(à suivre)

jeudi 3 mars 2016

C'est (encore) la faute aux Grecs !


Quel était l'État le plus faible de l'Europe, ces dernières années ? La Grèce. Et voilà que c'est par la Grèce que débarquent les migrants-réfugiés syriens. (Quand ils débarquent vivants. Les industries du pneu devraient se reconvertir dans la bouée de sauvetage.) Il y a même des réfugiés qui espèrent obtenir la nationalité grecque ! Ils sont mal informés : ils croient que la Grèce est en Europe ! D'autres fantasment sur les pays nordiques, ils n'ont pas l'air de savoir qu'en Suède, ça caille, alors qu'au Portugal il fait beau, les gens sont sympas et ça manque de main d'œuvre.
Et parmi ces réfugiés et/ou migrants économiques (peu importe, en fait) voilà-t-y pas qu'il passe quelques djihadistes… Faut pas le dire ? c'est de l'amalgame ? mais comment s'en étonner, comment pourrait-il en être autrement ?
Et derrière la Grèce, il y a Schengen (je ne peux pas m'empêcher de penser "chain gang") soit l'espace européen de libre circulation des personnes, qui est aussi la libre circulation des marchandises, des camions diésel et des capitaux… et qui se révèle aussi espace de libre circulation des terroristes islamistes, transnationaux qu'ils sont. On avait Journalistes Sans Frontières ou Médecins Sans Frontières, maintenant on a Tueurs Sans Frontières, TSF.
Comment s'en étonner ? Comment pourrait-il en être autrement ? L'espace Schengen, c'est un espace commercial + une utopie humaniste-humanitaire issue d'un idéalisme universaliste. C'est bien, mais………
— C'est pas bien, l'idéalisme ?
Il y a des habitudes de pensée dont il faudrait se débarrasser, ou qu'il faudrait au moins conditionner, comme « la tolérance, c'est bien », ou « l'idéalisme c'est bien ». Les terroristes islamistes tuent au nom de Dieu, ce sont donc des idéalistes. Oui ? Non ? Et sont-ils tolérables ?
Il n'est pas question de faire un amalgame entre les terroristes terrorisants et les "vagues de réfugiés qui déferlent sur l'Europe" ("en balayant tout sur leur passage", c'est ça ?). Simplement se rappeler que la circulation de masse permet la circulation de détail. Et à l'intérieur de l'espace Schengen, la libre circulation permet sans doute le passage de 99% de gens  normaux, pacifiques, voire sympathiques. Mais aussi le passage de 1% de voleurs, tueurs, trafiquants d'armes, terroristes. Le danger accompagne la liberté comme son ombre. Dans tout troupeau, il y a un mouton noir… et qui s'est peint en blanc : menton rasé, faux passeport, etc.
Quant on respire, on absorbe 99% de bon air + 1% d'odeurs nauséabondes, bactéries, particules fines, pets des voisons, etc. Ce n'est pas une raison pour s'empêcher de respirer, il faut seulement filtrer. Les "no border" sont des idéalistes.
— C'est pas bien, l'idéalisme ?
• Les djihadistes, pas plus que les violeurs ou metteurs la main aux fesses de Cologne, ne sont pas des réfugiés ou des migrants tout frais débarqués, comme un corps expéditionnaire venu d'ailleurs, même si certains se sont glissés dans ces foules. (Écrivant ça, je repense au sketch de Pierre Desproges commençant par « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle… ») Des immigrés de deuxième ou troisième génération, nés en France, parlant français, d'origine arabe généralement maghrébine et de culture musulmane (pas forcément de croyance et pratique solide). Ce qui veut dire que ce n'est pas en bombardant l'Irak-Syrie du Califat, ni en faisant de nouvelles lois sur l'immigration (c'est trop tard), ni en fermant les frontières qu'on s'en débarrassera. On pourrait dire que le mal est fait, que le ver est dans le fruit, depuis déjà longtemps… etc. C'est un peu comme toutes les précautions sécuritaires qu'on prend juste après une catastrophe ou un attentat, comme si ça allait se répéter tout de suite au même endroit… mais la foudre ne tombe pas deux fois de suite à la même place et les terroristes sont bien assez malins pour rester planqués le temps qu'il faut et n'agir à nouveau (les mêmes ou d'autres) quand on aura baissé la garde, baissé notre attention, et surtout là où on ne l'attend pas. (Pouvait-on s'attendre, aux USA, à une attaque armée contre un centre de soins pour handicapés ?!)
• Dépollution intérieure. Déjà, au niveau de l'Europe, entre les "No Borders" idéalistes utopistes et le verrouillage, il y a des nuances. Non pas fermer les frontières mais contrôler, les extérieures et les intérieures. Filtrer. La liberté de circuler dans l'espace Schengen, c'est bien gentil, je dirais même c'est quelque chose de sympathique mais ce n'est pas un absolu, pas plus que la liberté d'expression n'est un absolu. C'est sans doute une tare de la pensée (française en particulier ?) de penser le monde sous forme d'absolus non négociables : pas de statistique ethniques ou religieuses, ce ne serait pas humaniste, tous les humains sont respectables au même titre, etc. Pas de concession à l'absolue liberté d'expression : alors quand un imam pollue le cerveau des enfants avec des grosses conneries, on ne peut pas le foutre dehors avec le pied au cul, au nom de la sacrosainte liberté d'expression.
La doxa que Slavoj Zizek nomme LMT : libéralisme multiculturel et tolérant est une impuissance.