dimanche 12 avril 2015

OUTRAGE


(Toujours en m'inspirant du Larousse du XXème siècle des années 30.)
L'OUTRAGE, c'est ce qui, en fait d'offense, dépasse les bornes. (Mais qui place les bornes à ne pas dépasser ?) L'idée de "scandale" s'y rattache.
• Au figuré, ça peut être la violation d'une règle, d'un droit. Ou tout tort ou dommage : "les outrages du temps", "les outrages du sort", "les derniers outrages" (le viol). Il peut s'agir aussi de porter atteinte à la vérité, au bon sens, à la grammaire (comme déjà souligné à propos de l'insulte). Et bien sûr le fameux songe d'Athalie de Jean Racine, acte II, scène 5.
C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.

Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,

Comme au jour de sa mort pompeusement parée.

Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ;

Même elle avait encor cet éclat emprunté

Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,

Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
• En droit, c'est essentiellement le domaine des mœurs, de la pudeur.
La loi du 2 juillet 1881 sur la presse a supprimé les délits d'"outrage à la morale publique et religieuse" et d'"outrage à une religion reconnue par l'État". (On revient à la question du "blasphème".) Restent les délits d'outrage à supérieur militaire, à dépositaires de l'autorité et de la force publique dans l'exercice de leur fonction (policier, magistrat, etc.…)
Reste aussi l'outrage public à la pudeur, fondé sur des faits concrets (l'exhibitionnisme).
L'outrage aux bonnes mœurs, fondé sur paroles, écrits, dessins, etc., s'il est encore dans la loi, n'est plus que rarement condamné. (Sinon, ça n'arrêterait pas !)
• Dans le quotidien. Propos outrageant, toutes les insultes et calomnies les plus violentes, donc, mais aussi l'offre ou la proposition outrageante (ça peut être l'offre d'un pot-de-vin, ce qui outrage ma moralité, ou la proposition d'un salaire tellement bas que ça en est outrageant à ma valeur, humiliant, donc, et par là injurieux.) Tout cela met en jeu pas mal de subtilités dans les rapports humains et l'état sociétal. La proposition « Voulez vous coucher avec moi ? » peut être vécue comme purement pragmatique, flatteuse ou outrageante selon la moralité de chacun/une et le contexte (en famille, à l'église, au bureau, dans une boite échangiste, etc., etc.)
• Subtilités sémantiques. "Outrageux" désigne ce qui est "outrageux par soi-même", en soi, par sa nature même (le dico ne fournit pas d'exemples…). Alors que "outrageant" suppose un acte, l'application de quelqu'un à quelqu'un. Personnellement j'ai du mal à imaginer ce qui pourrait être outrageux en soi. Une merde, c'est juste un caca, ça n'est un outrage que si c'est appliqué par quelqu'un à quelqu'un, et donc alors "outrageant". Après il y a bien sûr des gens qui ont une telle capacité à s'offusquer qu'ils ressentent comme un outrage personnel la seule présence hasardeuse d'une merde sur un chemin à leur passage. Mais là, n'est-ce pas leur problème ? (Voire un problème psychiatrique…)
Mais la clé de la différence est sans doute liée à l'intention par opposition au hasard. Une merde déposée volontairement par un passant sur mon paillasson sera outrageante, alors que apportée par le vent elle sera outrageuse (encore que… pour moi, elle sera seulement une saleté à nettoyer, pas un outrage à ma sensibilité).
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OUTRANCE

L'histrion démagogue confond l'outrance et la franchise et, plus grave, nous fait confondre l'outrance et la franchise. (D'après Raphaël Enthoven dans Philosophie Magazine N° 47 : mais tout serait à reprendre.)
Ce terme apparait par ci par là, à propos de caricature, d'offense, d'outrage.
Alors outre, outrer, outrance, outrancier, il s'agit toujours d'aller au delà (outremer), ou d'être en plus, en sus (en outre = de plus ; outre que… = en plus du fait que… ; apporter, outre des témoignages, des preuves écrites), et donc aussi de pousser à l'excès, d'exagérer, sans borne, sans trêve (outre mesure = à l'excès).
Noter que des propos outrés (= outranciers), seront perçus comme outrageants par le récepteur qui en sera outré (= scandalisé).
L'outrecuidance est une présomption impertinente, une confiance excessive en soi-même, l'arrogance en penser et en parler. (Cuider est un vieux français pour penser ou croire, non pas dans le sens d'une croyance, plutôt comme on dit croire en soi. « Il s'y croit, lui ». Cuider vient de cogitare. En ce sens, Descartes est outrecuidant quand il dit « Cogito ergo sum ». Hum, je ne suis pas sur qu'un philosophe sérieux approuve…)


dimanche 5 avril 2015

OFFENSE. OFFENSER


Sans vouloir passer en revue tout le vocabulaire de l'engueulade, quelques développements supplémentaires…
L'offense. À la base : Heurt, blessure. Ou : Impression pénible, dommage (… ce qui concerne le récepteur, la victime).
Couramment : Outrage, injure de fait ou de parole. (Donc, encore une fois, pas grosse différence avec insulte ou injure.) Porter atteinte à –. Faire injure à –. Ne pas respecter. Pamphlet, caricature qui offense. (Là, c'est plutôt le rôle de l'agresseur qui est pointé.)
Par extension : offusquer, troubler. (Côté récepteur : marque l'émotion de qui reçoit une offense ou est choqué par un fait – qui ne le concerne pas forcément personnellement.)
Le dicton « Il n'y a que la vérité qui offense » semble bien être devenu depuis « Il n'y a que la vérité qui fâche », dont l'intérêt est de pointer le ressenti du récepteur, celui qui se fâche, se vit comme offensé – ou non… soit se vexe – ou non… s'offusque – ou non. (C'est évidemment un dicton infantile manipulateur. En réalité, non, il n'y a pas que la vérité qui fâche.)
Le sens propre et légal se limite pratiquement à l'offense au chef de l'État ou aux chefs d'État étrangers. Passible de Cour d'Assises. Prison et/ou amende à la clé. Encore appliqué ? Rarement, me semble-t-il, en France. (A Monaco, par contre, l'offense à la famille princière coute cinq ans !)
Domaine religieux : le péché est considéré comme une offense faite à Dieu. « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. » (Paroles de la prière dite "Notre Père".)
Après la question est : Qui offense / Qui se sent offensé ?
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Le problème des définitions des dictionnaires, on le voit, c'est qu'elles se donnent un air d'objectivité : ceci EST une insulte, ceci EST une offense, comme si c'étaient des choses, alors que ce sont des actes… Comme si elles avaient une existence en soi, absolue, objective, hors de tout contexte. Comme s'il n'y avait pas un agresseur et une victime entourés par une société avec ses normes. Ou, pour le dire de manière plus neutre, plus générale : un émetteur et un récepteur inclus dans un contexte.
Autrement dit, toute offense est relative et relationnelle.
Elle vient de– ; elle s'adresse à– ; et elle s'inscrit dans tel cadre.
On peut d'ailleurs évoquer le langage du duel : il y a un offenseur (qui a souffleté son adversaire), un offensé (touché dans son honneur et qui a le choix des armes) et des témoins : d'une part, pour toucher l'honneur, l'offense doit être publique, "devant témoins", d'où honte, humiliation ; et d'autre part, en vue du duel,  les adversaires vont choisir leurs témoins ; qui feront office de juges de touche, de contrôleurs, d'arbitres. Même si le duel est illégal, il est socialement encadré, codifié.
Une bagarre de rue, moins codifiée, obéit quand même à un schéma semblable : il y a insulte de l'un, vexation en retour, d'où coups de poing et autres… et des témoins de hasard ou l'intervention de la police et vraisemblablement des comptes à rendre devant une autorité.
Tout ça pour redire – j'y tiens – qu'on ne peut pas définir ce genre de faits (les insultes, injures, offenses, outrages, et même moqueries, ironies, caricatures…) sans prendre en compte ces trois pôles : émetteur / récepteur / contexte. (Comme toutes les affaires humaines, en fait…)
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L'offense, pour moi, c'est essentiellement subjectif, c'est essentiellement l'affaire de l'offensé – je veux dire de celui qui se sent offensé. Tout dépend de sa susceptibilité, de sa "vexabilité", donc de sa fierté, de son orgueil, de son sens de l'honneur, quelque chose comme ça. Et sa possession ou non de sens de l'humour. (On peut d'ailleurs opposer mot à mot sens de l'honneur et sens de l'humour.) La caricature blesse surtout celui qui se prend au sérieux, qui a ses certitudes, qui pense un absolu et n'envisage pas qu'un autre pense autrement – je pense au croyant, là, bien sûr, dont la version exacerbée est le fanatique et donc le dangereux.
(Serait à développer l'idée que la croyance est dangereuse non parce qu'elle est une certitude mais au contraire parce qu'elle est insure, puisque Dieu ne se montre ni ne parle. Et donc elle s'accompagne d'une sorte de fêlure intérieure, un doute inclus… et donc de la peur de la brisure totale – anxiété, angoisse, écroulement de tout l'être-au-monde qui est sa béquille – … d'où la violence…)
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Paru dans Psikopat