lundi 28 avril 2014

LA FONTAINE ET LE ROUSSEAU


Il me semble bien incongru de vouloir distinguer ou opposer puissance et pouvoir. La puissance qui est force de vie, élan vital, désir de durer (le conatus de Spinoza), suppose obligatoirement le pouvoir et la domination : parce qu'il faut manger. L'agneau, mangeant l'herbe du pré, la domine, lui impose son pouvoir (herbe qui n'est pas une chose mais un vivant qui a aussi "le droit de vivre", non ?). Le loup mange l'agneau et donc le domine, lui impose sa loi. Ce n'est pas méchanceté et appétit de pouvoir mais appétit tout court : il a faim.
La Fontaine était un réaliste pessimiste : ses fables, sous couvert d'histoires animales "pour les enfants", montrent les hommes "comme ils sont", ne cachent rien de la saloperie humaine, des systèmes de pouvoir, de domination, de rivalité. Rousseau lui, serait un optimiste. Et naïf. Rousseau c'est l'agneau de la fable, qui croit l'homme né "bon" alors même qu'il piétine et dévore férocement l'herbe du pré. Rousseau, c'est l'agneau que le loup (tout aussi "né bon") va croquer.
Évidemment, nous humains ne nous mangeons pas (pas trop) les uns les autres et par ailleurs avons inventé des tas de concepts originaux et créations sociales originales : la fraternité, la morale, la justice, l'égalité, les lois…
On pourrait dire que le rôle de la civilisation est de favoriser les pulsions positives – socialement positives (sympathie, entraide, coopération, solidarité…) et de freiner les pulsions négatives – socialement négatives (cruauté, oppression, vandalisme, violence…) J'insiste sur "socialement", mais bien se mettre dans la tête que ce qui est socialement négatif ou positif, l'est aussi individuellement, personnellement… ce qui est bon pour les autres l'est aussi pour soi. En faisant du bien, on se fait du bien. Foin de la moralité idéaliste ! La solidarité est de l'égoïsme bien pensé.


Extrait de "KROBS 2013" (Caza-eBook édit.)

mercredi 23 avril 2014

SOLIDARITÉ ANIMALE, suite


Et les comportements suicidaires ou sacrificiels ? 
Ces oiseaux qui s'agitent de manière, semble-t-il, à attirer l'attention du faucon pour le détourner du reste du groupe… L'antilope qui fait des bonds à l'approche d'un léopard, ce qui prévient les copines, mais ce qui, simultanément, la signale à l'attention du léopard. L'abeille qui meurt en piquant l'intrus se sacrifie, peut-on dire, pour la ruche. Les fourmis qui se jettent dans le feu pour l'étouffer.
Le dévouement des abeilles ouvrières stériles à soigner les couvains ont posé question à Darwin, jusqu'à ce que l'on comprenne que ces comportements ne prennent leur sens que par le bénéfice du groupe. Ainsi, il faudrait considérer une ruche, une fourmilière, non comme une société d'individus indépendants mais comme un organisme global dont les ouvrières, soldats etc. seraient les cellules, œuvrant  toutes à la survie de l'entité, le macro-organisme.
Comportement généreux suicidaire, comme si là la vie de l'individu ne comptait pas, au bénéfice de la vie du groupe. Faut-il vraiment s'en étonner ? N'y a-t-il pas chez l'homme autant de comportements où le père se sacrifie pour ses enfants, le soldat pour son pays, c'est-à-dire des circonstances où l'individu s'oublie au bénéfice des autres. Aurions-nous inventé ça ou prolongeons-nous des comportements déjà très répandus chez "nos frères inférieurs".
Ces cas peuvent se lire comme "je me sacrifie pour sauver les autres", ou, plus cyniquement : "je me vois, moi, en danger et donc je préviens les autres pour ne pas rester seul face au danger, qu'ils me donnent au besoin un coup de main". L'individu se protège par la solidarité, profite de la solidarité. En termes moraux, siffler l'alerte peut être vu comme une bonne action calculée, un égoïsme dissimulé. Mais si on évite l'analyse moralisante, on retrouve le mutualisme : ce qui est bon pour l'individu est bon pour le groupe et vice versa.
On peut noter que chez bien des espèces, ces comportements de solidarité protectrice touchent en premier les plus proches génétiquement : les enfants, les frères, puis perdent de leur intensité avec l'éloignement : deux frères valent huit cousins !
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Il faut aussi citer les solidarités inter espèces. Les barbiers qui mangent dans la bouche des mérous et ainsi les débarrassent de leurs déchets, les lézards qui s'installent sous les ailes des jeunes mouettes et les soulagent de leurs parasites, les aigrettes ou pique-bœufs qui font de même sur les buffles ou les hippopotames. Le poisson-clown qui s'installe dans la cavité gastrique de l'anémone de mer, il la nettoie et est à l'abri. Sans oublier que quand nous faisons caca-pipi dans les bois ou dans la prairie, nous amenons de l'engrais aux plantes du coin.
Échange de bons procédés, symbiose, parasitage mutuel… bénéfice réciproque, arrangements, contrats gagnant-gagnant. Que faisons-nous d'autre dans une tractation commerciale (honnête) ?


mardi 22 avril 2014

SOLIDARITÉ ANIMALE


Un bon nombre des articles déjà postés ici tendent à cette idée simple : la lutte pour la vie est autant une affaire collective que personnelle, ceci autant dans la nature que dans la culture des humanoïdes (associés, donc).
Les animaux ne nous ont pas attendus pour inventer (ce que nous appelons) la solidarité.
L'une des bases, à l'intérieur du groupe, est la protection des petits, tantôt assurée par les femelles, tantôt par les mâles, tantôt par les deux, tantôt même par d'autres membres de la tribu, ceci particulièrement chez les oiseaux. Chez les manchots, par exemple, pendant que père et mère vont à la pêche, les voisins surveillent leur œuf ou leur petit, le protègent des attaques de mouettes en piqué.
Les petits éléphants sont pris en charge, non seulement par leur mère mais par toutes les femelles du troupeau. La horde de loups s'occupe des nourrissons du mâle alpha pendant qu'il est occupé à sauter la femelle alphate. Les chimpanzés partagent les produits de leur chasse et pratiquent l'adoption ; la GPA ne devrait pas tarder.
Les oiseaux migrateurs volent en V : les premiers, les plus costauds, ouvrent la marche, assurant au peloton qui les suit une pénétration dans l'air plus aisée. De même pour la mer cane qui fend l'eau devant ses canetons et canetonnes.
Par rapport à l'extérieur, aux dangers, la vie en harde de nombre de mammifères herbivores (girafes, zèbres, rennes, bœuf musqués…) est une protection contre les prédateurs. De même les bancs de poissons ou les vols d'étourneaux.
Et du côté des prédateurs, à la chasse, les lionnes, les loups organisent des battues.
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Tout cela suppose qu'il n'y ait pas de discorde entre les intervenants, ce qui suppose une organisation sociale, ce qui suppose une hiérarchie, un ordre de préséance. Les affrontements internes, les joutes de mâles (luttes de dissuasion plutôt que de destruction) ne servent pas seulement à frimer devant les filles, mais à structurer le groupe et donc permettre une coexistence pacifique.
On peut se rappeler en particulier les études de Konrad Lorenz sur les oies cendrées, qu'il a découvertes très sociables ET très soucieuses de hiérarchie. Chacun son rang. Les violentes bagarres tendent (paradoxalement) à désamorcer l'agressivité à l'intérieur du groupe. C'est que deux mâles qui se sont mesurés en combat singulier ne sont plus ennemis, ils deviennent même copains. On voit ça dans toutes les hordes, y compris dans les bandes de gangsters ou de cailleras de banlieue. Il ne s'agit pas tant d'éliminer les plus faibles que de structurer le groupe et, par là, d'éviter les bagarres inutiles.
Chez les oies grises, l'attachement mutuel, "le lien" un qui unit les membres d'un groupe se fait aussi en orientant l'agressivité vers l'extérieur dans des cérémonials démonstratifs, quand ce n'est pas face à un danger extérieur réel.
On peut sans se forcer faire le parallèle entre ces comportements animaux et les nôtres.
La loi de la jungle n'est pas seulement la loi du plus fort, elle est faite aussi d'entraides, de coopération, de solidarité. Il y a compétition, agressivité, dominance, certes, mais aussi fraternité. Est-ce à dire que les animaux peuvent faire preuve d'humanité ? Non, c'est nous qui faisons preuve d'animalité, tant dans l'agression que dans la fraternisation, le soin, le care. Notre truc à nous, c'est que nous avons des mots pour le dire, le conceptualiser, le travailler intellectuellement, littérairement, moralement, éthiquement. Ainsi nos artifices humains, culturels, concourent à notre évolution.



lundi 21 avril 2014

CORBEAUX


CRIA CUERVOS
On connaissait le film et la chanson "Porque te vas" qui va avec, mais pas forcément le proverbe qui lui donne son titre :
« Cria cuervos, que te sacaron los ojos ! »
« Élève des corbeaux, ils t'arracheront les yeux ! »
On trouve des équivalents français comme « Fais du bien à Martin il te chiera dans la main, ou fais du bien à Bertrand il te le rendra en caguant ! » et l'expression « J'ai réchauffé un serpent dans mon sein. »
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« Ses mains étaient froides comme celles d'un serpent. » (Ponson du Terrail)


dimanche 20 avril 2014

Eau lit !


« L'eau de la rivière a tant lavé son lit
que même la lumière glisse sur l'onde lisse
et tombe au fond avec le lourd éclat des pierres »
(Tristan Tzara)