vendredi 28 novembre 2008

L'eusse-tu cru ?

LO 260 (29/11/08)

Juste un petit hommage à Claude Lévi-Strauss, comme tout le monde.

jeudi 27 novembre 2008

PSYCHOLOGIE DE MASSE DE L'ARGENT

LO N° 259 (27/11/08)
L'ARGENT-DETTE / 8


CET OBSCUR OBJET DU DÉSIR
« Between the idea / And the reality / Falls the shadow. » (T.S Elliott)
(Entre l'idée et la réalité, s'abat l'ombre.)

Au delà de l'échange de biens facilité par l'argent, sa fonction naturelle, il y a l'accumulation d'argent pour lui-même (Plus loin je parlerai de l'avare et du prodigue). A la base (évidence !), notre besoin d'argent correspond juste à la nécessité d'assurer nos besoins primaires : manger, s'habiller, se loger. Mais au delà ? Passé un moment, on ne peut pas manger 12 rôtis par jour, ni boire 50 scotches, ni vivre dans 12 maisons, 4 yachts, rouler dans 50 voitures. Le riche, le vraiment riche, celui qui a de l'argent à ne savoir qu'en faire, n'arrête pas pour autant de s'évertuer d'en accumuler, par son travail ou par celui des autres ou par la spéculation.
« Pour Aristote, ce pouvoir de l'argent, qui n'est plus limité par les besoins, risque de faire sortir le désir humain de son orbite naturelle au bénéfice d'une quête déréglée et sans fin. L'argent, par son abstraction, est le seul objet illimité auquel le désir humain, lui-même illimité, peut se fixer. » (Martin Legros. Philo Mag N°23, oct 2008 — numéro sous-titré pertinemment "L'argent, totem ou tabou ?". Pas mal de ce qui suit en est inspiré.) (Pour mémoire, Aristote, c'est au 4ème siècle avant notre ère !)
Ce serait donc justement parce qu'il "n'existe pas", parce qu'il est neutre, parce qu'il n'a pas d'odeur, pas de goût, parce qu'il n'est rien, parce qu'il est pur signe, pure abstraction, que l'argent est sans fin et donc que le désir qu'on en a peut être aussi sans fin (sans faim). Sans faim réelle, oui : une fois les besoins primaires comblés, l'appétit reste. Au delà du besoin, le désir – inassouvissable, jamais rassasié.
Même sous forme de papiers enfermés dans un coffre ou de chiffres sur un relevé bancaire, même sans la gloire de l'or, brillant, solaire, divin, l'argent excite quelque chose en nous. L'imagination, puisqu'il est lui-même imaginaire. Si nous sommes bel et bien une société abstractionniste et non pas matérialiste, nous préférons le symbole, le signe, à la chose concrète (en plus ça tient moins de place.) L'argent en soi n'est pas la richesse, mais sa puissance est qu'il désigne un potentiel de richesse. Ainsi, gros de tous les possibles, il excite un fantasme, un imaginaire. Le trésor (très or), la richesse infinie, et le pouvoir infini qu'elle procure… L'argent "fait rêver", comme on dit… et ce rêve a, en lui-même, autant ou plus d'importance que sa concrétisation. Ce rêve-argent est virtuellement sans limite, contrairement aux biens concrets qu'il permettrait acquérir, lesquels sont toujours en danger d'être décevants.

FASCINATION
Il y a aussi la fascination (infantile) qu'exercent sur nous les grands nombres : un million, des millions, des milliards, des milliards de milliards… et "un millionnaire", "un milliardaire". « Tu sais compter jusqu'à un million, toi ? — Combien de temps ça prendrait ? » Il vient un moment où les chiffres (les nombres, plutôt), ne veulent plus rien dire, échappent à notre compréhension, sont inconcevables, un peu comme les distances astronomiques… Des kms, on imagine, mais déjà 40 000 kms, le tour de la Terre, on a du mal… alors la distance de la lune, du soleil, des étoiles, à mesurer en années-lumière, en parsec, c'est astronomique !… C'est, au sens propre, inimaginable : on ne peut pas s'en faire une image, une représentation qui colle avec quoi que ce soit de notre expérience. Trouble de l'intellect et fièvre fascinée, terreur sacrée. (Ne nous étonnons pas que cela ressemble, quelque part, à la spiritualité, au sacré, à l'idée du divin. L'argent est un dieu.)

IMAGE SOCIALE
De plus, une bonne part de nos richesses matérielle (une fois comblés les besoins) ont un rôle de représentation sociale plutôt que de jouissance primaire. Du symbole, encore. La belle maison de quinze pièces, elle est là pour frimer auprès du voisinage, comme la porte télécommandée du garage et la voiture lourde et rutilante qui en sort avec un beau ronronnement profond. Le bureau design en loupe d'orme, le tableau "de maître" ; le chien magnifique, la tondeuse high-tech, la piscine, font partie d'une panoplie affichant notre niveau de vie et donc notre place dans la hiérarchie sociale. La jouissance physique, personnelle, de l'objet (superflu) lui-même a ses limites, alors que le plaisir d'étaler sa richesse au vu et au su n'en a pas : il y a toujours quelqu'un d'autre devant qui en installer.
Il y a de l'hubris, là dedans, de la démesure, de cette démesure qui est au cœur de notre civilisation.

APHORISMES, MANIÈRES DE DIRE, PROVERBES, CITATIONS…
« L'argent ne fait pas le bonheur (mais il y contribue)… ne nous rend pas heureux mais nous console de ne pas l'être… donne tout ce qui semble aux autres le bonheur… plaie d'argent n'est pas mortelle… » etc. (Il faudrait commencer par définir le bonheur. Comme c'est impossible, il faut se contenter de parler de bien-être, de moyens (dans le sens d'avoir les moyens de –), de richesse… mais toutes notions aussi difficile à définir car toujours relatives.)
« Avoir les moyens », « Une troisième main », un serviteur… « L'argent est un bon serviteur et un mauvais maître. » (Alexandre Dumas fils). « Les succès produisent les succès, comme l'argent produit l'argent. » (Chamfort)… L'argent comme moyen d'action, puissance, pouvoir. Un outil "magique" ?

L'ARGENT QUI REND FOU ("That old black magic…")
On dit aussi facilement que l'argent est le diable, ou qu'il est diabolique, qu'il est le mal, ou qu'il rend fou (celui qui le possède comme celui qui en manque)
… Mais toutes ces formules, proverbes populaires ou aphorismes littéraires, pèchent par la personnalisation faite de l'argent : « L'argent fait ou ne fait pas le bonheur, l'argent rend fou, l'argent n'a pas d'idées (Sartre), l'argent est bête (Alain). »
Comme si l'argent était quelqu'un.
Mais l'argent n'est pas ceci ou cela, ne fait pas ceci ou cela. L'argent ne veut rien, ne fait rien. Ce sont des raccourcis littéraires qui font choc, certes, mais qui manquent de sens ou qui émettent un sens secret, inconscient : l'argent considéré par nous, plus ou moins clairement, comme un être doué de vouloir, comme une entité agissante, un destin, voire comme "dieu".
« Source de tous les maux ? Intrinsèquement mauvais ? Aliénant ? »
Au delà de la question de la naïveté de la formulation, la question se pose de savoir si l'argent porte en soi un mal, un problème moral… ou si le problème est seulement l'avidité, l'appât du gain, l'avarice de celui qui s'en sert ? Nous, donc. Problème psychologique, donc, ou moral.
Mais l'argent est-il (vécu comme) un outil vraiment neutre ?
PhiloMag cite une série d'expériences de groupe constatant des différences d'attitude entre un groupe de référence et un autre groupe que l'expérimentateur a incité (discrètement) à "penser argent" ou à avoir l'argent en tête. Il semble que ceux de ce dernier groupe ont eu plus de difficulté à collaborer, qu'il soit question d'aider un autre dans une tâche ou de se faire aider soi-même. Ils se sont aussi tenus physiquement plus loin les uns des autres. Ils ont choisi pour loisir une activité individuelle. Et quand on leur a demandé de faire un don, ils ont donné moitié moins que ceux du groupe de référence. Comme si la suggestion de l'argent allumait quelque part dans la tronche un signal qui obnubilait d'autres facultés, court-circuitait les réflexes de solidarité humaine. Une pollution mentale. (En passant, je serais curieux de voir la même expérience avec deux groupes d'hommes – mâles –, un seul des deux groupes étant en présence (suggérée) d'une très belle femme… Mais c'est une autre histoire… ou pas : il y a aussi obligatoirement du sexuel dans notre rapport à l'argent.)
Il semble bien que l'argent crée une sorte de distance entre les gens, qu'il favorise l'égoïsme, l'individualisme. Qu'il incite à fonctionner en autosuffisance plutôt que de faire appel à la famille ou aux amis.
Et voilà que, comme le rédacteur de PhiloMag, je me suis laissé prendre au piège d'un langage qui personnalise l'argent, qui le montre comme agissant. Ce n'est qu'une manière de parler, d'accord, mais elle est significative de notre rapport à l'argent, en tout cas subconscient. Pour essayer de sortir de cette idée que l'argent exerce par lui-même telle influence, comme s'il y avait en lui une magie agissante, essayons de le redire dans le bon sens :
En présence d'argent, ou si nous avons l'argent en tête, nous prenons de la distance avec les autres, nous réveillons notre égoïsme, notre individualisme, nous avons tendance à fonctionner en autosuffisance plutôt que de faire appel à la famille ou aux amis.
D'où une perte de lien social, d'implication dans le collectif. Il se pourrait même que cette perte de lien se fasse aussi au détriment de notre rapport aux objets : « Devenus tour à tour marchands et marchandises, nous ne demandons plus ce que sont les choses, mais combien elles coûtent. » Sénèque. (1er siècle ! Après ça, il y en a qui disent que le capitalisme est né au 19ème !)
Et c'est tout notre rapport au monde qui se pose là : aux autres, aux objets fabriqués, à la nature en général : animaux, choses, territoires, éléments…

(à suivre)

mardi 25 novembre 2008

CAPITAL

LO N° 258 (24/11/08)
L'ARGENT-DETTE / 7


CAPITAL
Même étymologie que cap, capitale, capitole, chapeau, capitaine, chef… etc. Du latin caput : tête.
Dans la tête des capitalistes (= "ceux qui sont à la tête de —") le capital est un avoir qu'on fait fructifier, non par son propre travail, mais par le travail des autres. Mais ça, ce n'est qu'un premier temps. Dans le temps financier (post-capitaliste, "financiariste"), on ne fait plus travailler des gens, on fait "travailler l'argent" (prêt à intérêt, spéculation boursière, actions…). Et on croit (ou semble croire) que ça remplace. En fait ça vampirise le travail vivant, ça le détruit… et après on s'étonne que cette disparition du travail vivant entraîne la destruction de la finance. (Effet retour, boucle, boomerang…)

Actu : on a retrouvé dans un bois un homme coupé en morceaux répartis dans des sacs-poubelle, sauf la tête – restée introuvable. Etait-ce un capitaliste décapit(alis)é…?

REVENIR AU "CAPITAL HUMAIN" ?
Appliquer l'idée de morale, ou éthique, ou de déontologie au capitalisme-libre-échangiste-sans-entraves… est une contradiction dans les termes… un oxymore ! (A part qu'un oxymore, on le fait exprès pour faire joli, en rhétorique. Là on est plutôt dans l'ornithorynque.) Autant envisager un loup végétarien, un bleu rouge, un noir très clair (Barack Obama ?), la quadrature du cercle, la dernière décimale de PI…
Quant à l'expression (sarkozienne, si je ne m'abuse) "capital humain", voisine de "ressources humaines", elle est aussi un oxymore mal venu qui fait du potentiel de chacun (la potentia de Spinoza) une chose capitalisable et exploitable, un travail mort (chose), par opposition au travail vivant (acte). Un homme a-t-il une valeur marchande…? Et son juste prix existe-t-il…? A-t-il une valeur d'échange…? Une valeur de spéculation…? Un humain est-il spéculable, jouable en bourse, consommable ? La société de consommation consomme-t-elle aussi des gens ?
… Retour au temps de l'esclavage, maintenant "librement consenti"… Encouragement à la servilité volontaire, pourrait-on dire… (Ce qui inciterait à se poser des questions sur les notions de liberté et de volonté, un peu comme pour les filles qui portent le voile islamique "volontairement"…) Etre son propre patron, alors ? Mais c'est bien souvent s'exploiter soi-même, se comporter comme un capitaliste dont le capital serait sa propre personne. Tous capitalistes, chacun entrepreneur de soi-même ! (Ce qui peut fort bien arriver aux travailleurs indépendants, comme les artistes, auteurs de BD et autres…)
Mais l'homme n'est pas une marchandise, pas plus que l'argent.
Quant aux choses que l'on s'est habitués à considérer comme des "marchandises", en y réfléchissant un peu, c'est très discutable aussi : la terre — surface et sous-sol — est considérée depuis longtemps comme achetable, vendable, privatisable, spéculable… et aussi le blé, les fraises et les patates et les arbres qui y poussent… alors pourquoi pas l'eau des rivières ou de la mer, pourquoi pas l'air et les nuages, pourquoi pas le soleil et la pluie, les étoiles et la lune, les hommes, les femmes, les bébés, les membres et organes, les codes génétiques… Et le temps… On y tend… (Le temps c'est de l'argent ?)

(Serais-je en train de réinventer l'anarchisme proudhonien dans son opposition à la propriété privée ? Mais quelque part, depuis longtemps, je suis ébahi comme un indien d'Amérique du fait qu'un homme puisse posséder une surface de terre… Les patates qu'il y a cultivées, ça va, j'admets sa propriété privée et qu'il puisse en faire commerce… mais la terre ?!)

LE PRIX DES GENS
Mais ce qui est valable et pas spécialement choquant pour les patates, le charbon ou les kg de coton, tant qu'on échange des choses, des matières, des marchandises au poids… devient problématique dès qu'on s'intéresse aux échanges de savoir-faire, de compétence, aux heures de travail (qui entrent de toute façon en compte déjà dans les patates, le charbon, le coton…), aux "services", aux œuvres d'art… Et la présence, le savoir, la tendresse, les soins, la justice…? Ces valeurs ne devraient-elles pas échapper à toute évaluation monétaire, à tout marchandage ?
Quel prix peut bien valoir une musique, une œuvre d'art, un service, une odeur… au delà du prix des matériaux qui y entrent en jeu…? Aucun prix, en fait, cela est inappréciable, impayable, "sans valeur", dans l'absolu. Sauf si celui qui propose l'œuvre ou le service en question annonce : « C'est à vendre tant. »… ET SI (condition indispensable) quelqu'un l'achète au prix proposé. De l'absence de valeur absolue, on passe à une valeur relative, valeur de convention, dépendant de l'offre et de la demande, dépendant d'une relation, et établissant un consensus (s'appuyant aussi sur des habitudes, un marché déjà établi par la pratique). D'où la pratique, dans le domaine de l'art, dans les ventes aux enchères, d'avoir un complice ou deux, qui vont faire monter les enchères et acheter, créant ainsi une cote, c'est-à-dire une valeur monétaire "officielle" (consensuelle).
Si personne n'enchérit et si personne n'achète, il y a malaise : on doit alors passer aux enchères négatives, c'est-à-dire laisser les acheteurs éventuels déterminer le prix à la baisse. Dans cet exemple, côté psychologie relationnelle, il y a une lutte : en quelque sorte ce sont deux "chantages" qui s'affrontent ; jusqu'à ce que l'un des deux craque. Il y aura du triomphe — et de l'humiliation.
Le jeu de l'offre et de la demande, on le présente généralement comme mécanique, froid, objectif, du moins dans le domaine des échanges de marchandises concrètes. Neutre et rationnel. Pourtant… le triomphe et l'humiliation sont là aussi… entre le paysan qui a mis sa sueur et son amour dans son champ de patates ou sa vigne et qui doit passer par la vente à un distributeur qui considère sa production comme de la chose, et qui chosifie le paysan lui-même – quantité négligeable, car remplaçable, ici ou ailleurs. Donc pas loin de l'esclavage.

L'ESCLAVAGE (Quelques mots sur —)
Il fut peut-être un temps où l'esclavage pouvait être vu, après tout, comme une forme de sécurité : renoncer jusqu’à la fin de ses jours à sa liberté pour assurer sa subsistance. L'obligation perpétuelle de travail était compensée par l’assurance d’avoir toujours à bouffer… Mais, de nos jours, on en est arrivé à un stade où même l'esclavage est précaire !
On peut aisément dire que la mondialisation maintient et même accroît l’esclavage, notamment des enfants, et que les travailleurs sans-papiers sont assimilés à des esclaves dans la mesure où ils sont à la merci de leurs employeurs. Mais s’il y a des travailleurs irréguliers, c’est qu’il y a quelque part des règles, et ces règles ont été décrétées par des Etats, non par des entreprises. Il dépend des gouvernants que ces règles soient appliquées ou non. Non ? (Cf Yves Benot. "La modernité de l’esclavage – Essai sur la servitude au cœur du capitalisme". La Découverte)(Pas lu)

L'ARGENT (comme relation)
"La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute", dixit Montaigne. Ne peut-on en dire autant de tout élément de communication, intermédiaire, objet transitionnel, substitut, monnaie d'échange… monnaie…? Argent. L'argent comme vecteur d'échange, symbolique, comme le langage, et rien d'autre. Censément neutre, objectif, impartial, sans charge en soi (matérielle ou libidinale). Appartenant autant à celui qui donne qu'à celui qui reçoit, donc n'appartenant à personne, en fait, pas plus que l'air que nous respirons, même s'il est déjà passé par des milliers de poumons. (Beurk.) (Ou, comme dit une Brève de comptoir, « Dans le métro, on respire un air qui a déjà été pété plusieurs fois ».) (Re-beurk.)
L'argent : un moyen — au sens strict. Le seul objet qui puisse être échangé contre tous les autres — à part que ce n'est pas un objet, et même que le problème commence là : quand on en fait un objet. (Fétichisme.)
Le mot n'est pas la chose. Le signe non plus, dessin, peinture (cf Magritte "Ceci n'est pas une pipe"), pas même la photo. Evidences. Ce sont des symbolisations, des virtualisations qui permettent de dire, de représenter, discourir, échanger. Des signes. On peut discuter de pommes de terre, avoir même un échange fécond sur le sujet, sans pour autant se salir les mains et pousser des brouettes. La modélisation scientifique ressortit du même principe : on peut expérimenter sur un modèle informatique plus confortablement que sur la chose en soi. (Ça fait kantien, tout de suite…)
Mais il ne faut jamais oublier LA CHOSE. Il faut s'y confronter, s'y heurter (car parfois ça fait mal), la peser. On ne mange pas à quatre autour du mot "table". Quant à la table-en-soi, c'est "pour manger dessus", certes (fonction), mais c'est aussi "un plateau de bois sur quatre pieds" (forme), et aussi "50 kg de bois d'arbre (matière)". (C'est juste un rappel : il y a des portes ouvertes qui méritent d'être enfoncées.)
Retour à la matière, retour à la réalité (la matière, la terre, le corps — grand absent de ce jeu financier.)
What's the matter ?
Si l'argent n'est pas une marchandise (ne devrait pas) c'est qu'il n'est pas une chose. Il n'est pas la chose dont il indique la valeur d'échange. Il n'est que cela : un nom, un nombre, un signe, désignant une valeur d'échange, une valeur consensuelle (ou relativement consensuelle) pour une chose, ou un service. Un équivalent symbolique, un transmetteur, un étalon, un traducteur, un commun dénominateur, un raccourci… qui permet de créer des équivalences acceptables, acceptées collectivement, entre des choses et actes difficilement comparable a priori. Par exemple une heure de travail physique et tant de kg de patates, 1 m2 de tuiles romaines, et un morceau de musique… "Entremetteur universel" (Marx), l'argent traduit toutes les valeurs en leur attribuant un prix (un nombre). Et Michel Serre voit l'argent comme un Joker, un équivalent général qui a toutes les valeurs et tous les sens pour n'en avoir aucun.
Partant, l'argent est (censé être) "neutre", non passionnel, n'appartenir à personne, pas plus que le langage, les opérations d'arithmétique ou les centimètres. (Je dis bien "est censé"…)
L'argent n'est que l'ombre des choses. (Mais aurait-on lâché la proie pour l'ombre ?)
On pourrait encore le qualifier de vide. (Et ce vide possède un pouvoir sans fond.)
Mais si l'argent est ainsi un vecteur vide, impartial, neutre, rationnel, comment se fait-il qu'il nous TROUBLE tant ?
Pourquoi en sommes nous si avides (a-vide) — et insatiables ?

(à suivre)

lundi 24 novembre 2008

TOILETTES

LO 257 (20/11/08)

CHIOTTES
Hier, 19 novembre, ça ne vous a pas échappé, c'était la Journée Mondiale des Toilettes (lancée depuis quelques années par le WTO, World Toilet Organisation.
www.worldtoilet.org

Plus d'infos ici :
http://www.actu-environnement.com/ae/news/journee_mondiale_toilettes_assainissement_6207.php4



Mais on peut préférer les toilettes sèches
http://www.dessinacteurs.org/

Rien à voir (quoique…)
LE BEAUJOLAIS NOUVEAU est arrivé
— Vous prendrez un Beaujolais ?
— Euh… Je préférerais du vin.
(entendu sur France Inter)

DECPOP
Un nouvel espoir dans la lutte contre la surpopulation :
A près les pesticides dans les couilles, les OGM dans les souris. Vive Monsanto !
http://www.lemonde.fr/planete/article/2008/11/18/les-souris-nourries-au-mais-mon-810-nk-603-se-reproduisent-moins-bien-que-les-autres_1119984_3244.html

DÉFLA(GRA)TION
Question état quotidien de la crise financière, ceci est intéressant :
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/11/19/crise-financiere-et-maintenant-la-deflation_1120411_1101386.html

BARACORAMA
Bon, élire un Afro-américain, c'est bien, mais quand est-ce qu'ils élisent un Amérindien ? (Amer)

(Et pendant ce temps la Californie brûle toujours)

POP ART
Guy Peellaert est mort. Je ne vais pas en mettre une tartine, mais Peellaert, avant de faire des trucs sur le rock, des affiches de films et des tas de pochettes de 33 T, il a fait Jodelle et Pravda la survireuse, deux BD "pop art" qui ont beaucoup contribué, après Barbarella, à la réputation d'Eric Losfeld éditeur… et m'ont pas mal influencé à mes débuts dans la BD : Kris Kool, chez ce même Losfeld.
http://www.deredactie.be/cm/de.redactie.francais/infos/1.419331
http://some-cool-stuff.blogspot.com/2008/11/propos-de-guy-peelaert.html

AUTRES JOURNÉES MONDIALES
Le 19, c'était aussi la JM des broncho-pneumopathies chroniques obstructives. Ça vous dit rien, mais ça fait plus de morts que la route. Principal responsable : le tabac.
Et aussi la JM de la prévention des abus envers les enfants…
Qui est suivie, le 20 par la JM des droits de l'enfant. Logique.
Le même jour (aujourd'hui, donc), c'est la JM de l'industrialisation de l'Afrique (Moi, je vote contre.)
et la Journée Nationale contre l'herpès (Je vote contre aussi. Contre l'herpès, bien sûr.)
Le 21 ce sera la JM des pêcheurs artisans et des travailleurs de la mer (amers.)
Et la JM de la télévision (!?)
Mais on peut aussi noter d'ores et déjà que
Le 28, Claude Lévi-Strauss aura 100 ans
Et le 29, c'est la JOURNÉE MONDIALE SANS ACHAT. En pleine déflation, ça tombe bien.

jeudi 20 novembre 2008

RÉCRÉATION

L.O. N° 256 (19 nov 2008)

RÊVE O'LUTION
Le N°3 de R-EvolutionS, le journal des Collectifs Unitaires pour une Alternative au Libéralisme est en ligne ici :
http://www.coordcuals34.fr/
avec des vrais morceaux de Caza dedans. (Des dessins dont certains sont déjà connus des lecteurs de mes Lettrouvertes et d'autres qu'on retrouvera dans Les Mois sont de papier / 03, en librairie incessamment (Le Pythagore éditeur).

RUE COPERNIC
On aurait arrêté au Canada l'auteur de l'attentat à la bombe dirigé contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, qui fit, le vendredi 3 octobre 1980, 4 morts et 20 blessés.
Le Premier ministre, Raymond Barre, déclara alors sur TF1 : « Cet attentat odieux a voulu frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue, il a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. » Brave Raymond ! (L'idole de Wens)

LAIT CONTAMINÉ EN CHINE (encore eux !)
Je leur avait pourtant bien dit, aux Chinois, que le lait c'est pas bon pour eux.

APRÈS LE CANAPÉ CANNIBALE, LE FAUTEUIL CONTAMINÉ en provenance de Chine (encore eux !)
http://www.leparisien.fr/faits-divers/les-victimes-du-fauteuil-contamine-se-manifestent-18-09-2008-233624.php
Vendus par le groupe Conforama, 38 000 de ces modèles ont été achetés par des clients entre mars 2006 et juin 2008. Ils contiennent des sachets d’un produit destiné à combattre les champignons, le diméthylfumarate. Celui-ci est susceptible de provoquer des eczémas et des allergies graves.



APRES LES FAUTEUILS CONTAMINÉS, LES BOTTES en provenance de Chine (encore eux !)
Pareil, au diméthylfumarate. On ne choppe pas de mycoses, c'est sûr, mais beaucoup d'eczéma.

ET LES VESTES À COL DE FOURRURE, elles sont traitées à quoi ?
L'export chinois (encore eux !) frappe encore (sur les chiens et les chats) : 4000 vestes à col de fourrure de chiens et chats en provenance de Chine (encore eux !) arrêtées à la frontière. Ça coûte moins cher à produire que l'acrylique, il parait. Et puis c'est plus joli. Et puis au moins ça sent quelque chose.
Je vais finir par paraître sinophobe, mais… comment vous voulez qu'on les aime, avec ce genre de conneries ?

LIEN SOCIAL
"L'information que le journaliste digne de ce nom doit au public n'est pas un produit marchand mais un bien social." (Alain Rollat, journaliste)

SNCF
Décès du grand patron de la SNCF : une rupture de cathéter. (C'est pas vrai, c'est juste pour faire le malin.)

FR 3
"Plus belle la vie" : soap (de Marseille) opera. (Ou alors soupe opéra — bouillabaisse, évidemment.)
(Ça, c'est vrai, mais c'est aussi pour faire le malin.)

MUR
En novembre 2009, on commémorera les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Un an pour se préparer, c'est pas de trop.

ALERTEZ LES SPERMATOS
http://fr.news.yahoo.com/2/20081118/tsc-chimie-sante-et-reproduction-alertez-c2ff8aa.html
Le sujet était évoqué hier à la télé, au JT, et sur Arte, dans l'excellent docu sur l'eau dans le monde, ses états sanitaires et les multinationales qui s'en emparent… une de ces émissions qui font dire "on est foutus"
http://www.arte.tv/fr/accueil/semaine/244,broadcastingNum=911546,day=2,week=48,year=2008.html
www.flowthefilm.com
heureusement suivie par une Théma sur les énergies nouvelles très positive.
http://www.arte.tv/fr/accueil/Comprendre-le-monde/dos-energie/2293842.html
On en reparlera plus à fond mardi 25, même lieu même heure, dans "Mâles en péril".
http://www.arte.tv/fr/accueil/Males-en-peril/2281146.html
En résumé, la stérilité gagne du terrain – principaux responsables : les produits chimiques un peu partout, des pesticides intempestifs aux cosmétiques parc'quejel'vobien.
Pour une fois on est face à un effet pervers de la machine infernale du progrès que l'on peut considérer comme une boucle de rétroaction négative. (Je rappelle que, en l'occurrence, les termes négatif ou positif n'ont aucune connotation morale ou de qualité : positif c'est + (plus), croissant, ou augmentation auto-alimentée ; négatif, c'est – (moins), décroissant, ou réduction auto-alimentée. Dans les deux cas, c'est l'idée que, au cours d'un processus prolongé, les effets agissent sur les causes, en les renforçant (+) ou en les affaiblissant (-)
Trois exemples un peu différents
— Sur une île avec des chèvres et des loups, une surpopulation de loups et leur trop de réussite en tant que prédateurs provoque une raréfaction de leurs proies les chèvres ; ce qui entraîne une famine chez les loups ; donc une baisse de leur population ; il y a boucle de rétroaction négative. Ce qui permet aux chèvres de retrouver graduellement un bon niveau de population, voire une surpopulation ; du coup les loups ont de nouveau suffisamment de proies à leur disposition, ils peuvent proliférer à nouveau… etc. Il s'est enclenché un cycle : l'excès de l'un entraîne la diminution de l'autre, qui entraîne la diminution de l'un – qui permet l'augmentation de l'autre ; qui permet l'augmentation (et l'excès) de l'un. Sur le moyen ou long terme, il s'établit un équilibre.
A condition que les loups, dans leur phase de succès, aient laissé au moins un couple de chèvres… Et à condition que, dans les moments de manque de chèvres et donc de famine des loups, il reste au moins un couple de loups. Sinon, dans un cas comme dans l'autre : extinction. (A moins que les loups survivent en bouffant des souris. Quant aux chèvres, laissées sans prédateurs, la question de leur survie va se jouer entre elles et l'herbe…)
— Chez les hommes (civilisés), l'excès d'usage du pétrole entraîne l'effet de serre et le réchauffement global qui menace leur vie. Mais cet excès de consommation entraîne aussi l'usure accélérée des réserves du dit pétrole. Cette diminution des réserves devrait entraîner une diminution de son usage (enfin, on espère), donc une diminution de la production de gaz à effet de serre et donc du réchauffement global. Processus autocorrecteur. Boucle de rétroaction négative.
Mais 1) L'augmentation de la population mondiale et l'aspiration des pays émergeants à connaître le même mode de vie que les précédents (occidentaux) met à mal l'idée que la consommation globale diminue. On est en plein sur ce seuil, actuellement, comme la balle de tennis qui frappe le filet et retombe soit en deçà soit au delà… (référence au film de Woody Allen "Match Point")
Et 2) Il n'y a pas création d'un cycle qui se perpétuerait car, contrairement aux chèvres, le pétrole ne se renouvelle pas. (C'est con – mais tant mieux.)
— L'humanité prolifère (pour ne pas dire : est d'ores déjà surpeuplée). Il faut nourrir tout ce monde. Révolution agricole (chimique) du XXè siècle. L'usage intensif de produits phytosanitaires (pesticides) et autres produits chimiques un peu partout entraîne une baisse du nombre de spermatozoïdes, et autres problèmes de couilles, donc une baisse de la fécondité. A court ou moyen terme, une stérilité d'une proportion importante de la population. D'où chute démographique — tant mieux. Boucle de rétroaction négative ayant un effet positif (le mot étant employé cette fois dans le sens de bon, bien.) (J'exclus l'extinction totale, parce que bon, hein, quand même…)
Tant mieux car cela entraîne une baisse des besoins alimentaires ; donc de l'usage des pesticides : la population restante peut redevenir saine… et, dommage !, proliférer à nouveau.
Sauf si l'épisode a provoqué une prise de conscience tellement forte que "plus jamais ça".
On peut rêver.

TAMPONS
"S'il y a des prédateurs, ne devrait-il pas y avoir aussi des postdateurs ?" Et, le cachet de la poste faisant foi, s'il y a des tampons dateurs, il doit y avoir des tampons prédateurs. Périodiquement, du moins.

LOGICIEL MON MARI !
http://www.01net.com/editorial/396490/flirt-virtuel-et-divorce-reel-sur-second-life/
Un couple britannique qui s'était rencontré sur un chat se sépare. La femme aurait demandé le divorce pour adultère car l'avatar de son mari aurait couché avec l'avatare d'une prostipute dans Second Life. Pour le découvrir, elle aurait engagé, toujours dans Second Life, un détective virtuel. Depuis le divorce, elle aurait trouvé un nouvel amant dans World of Warcraft.
Il est bon de savoir que, sur Second Life, « pour pouvoir faire l'amour, il faut s'acheter des organes génitaux. Les avatars ne sont en effet pas dotés de toutes les options au départ et il existe pour compléter sa panoplie anatomique toute une gamme d'attributs virils et d'organes disponibles en différentes tailles et couleurs. »

On peut aussi regarder ce petit film hilarant :
http://www.youtube.com/watch?v=KgmQM9cDPHk

« Si le P n'existait pas, les couples couleraient au lieu de copuler. » (Monseigneur Dupanloup. "Tiens bon le goupillon". Editions du Spectre Tâteur. 1843)

PS. L'image du fauteuil n'a rien à voir avec le fait divers des fauteuils contaminés mais je trouve ce fauteuil magnifique, à condition de préférer le réchauffement du fessier à la préservation du climat global. (La photo vient du site de Télérama).

PAUVRETÉ ?

LO N° 255 (17/11/08)
L'ARGENT-DETTE / 6



PAUVRETÉ OU MISÈRE ?
La pauvreté, définie a priori comme un manque d'ordre économique, est relative : elle se détermine par rapport à une sorte de classement social officiel en - riches, - moyens et - pauvres. Il y a par exemple des normes de la Banque Mondiale et des normes nationales, qui cherchent à établir un critère universel. Elles sont toujours calculées en argent, en revenu journalier ou mensuel, et fondées sur on ne sait trop quelle statistique. Des chiffres officiels… la moyenne entre tous les revenus… Calcul grossier, aberrant même, comme tous les calculs fondés sur une moyenne…
Différente est la perception de ce manque par le pauvre lui-même, ou par la société qui l'entoure. Intuitif, relatif, variant selon l'état des lieux, l'histoire et la mentalité personnelle de chacun, le consensus collectif local.
Peut-être pourrait-on partir de la pauvreté "normale" : le mode de vie ou mode d'être qui a été celui de la majorité des humains tout au long de l'histoire. La "condition normale", ou basique, de l'homme. Un mode de vie fondé sur la simplicité, la frugalité, mais aussi la convivialité, le partage, le soutien mutuel collectif (famille, tribu). Chacun, seul ou surtout en groupe, vivant d'un minimum vital : cultures, chasse, pêche, cueillette, élevage… Les bushmen du Kalahari, les Zo'és d'Amazonie, les Himbas, vont nus, mais mangent tous les jours en travaillant quelques heures et gardent beaucoup de temps libre pour s'orner le corps ou papoter. Tant qu'ils n'ont pas de points de comparaison, ils ne sont pas "pauvres". Ils sont… quoi ? Faut voir… Aucune raison de les dire "riches" non plus. Les deux notions n'ont pas lieu d'être. Pauvreté normale. Ni volontaire ni involontaire, c'est juste comme ça.
On peut aussi citer la pauvreté volontaire, celle des saints ermites, ou des communautés monacales, qui se définirait comme un ascétisme, une libération de la dépendance aux choses, au superflu, aux richesses — ce pour préserver son âme, sa pureté spirituelle. Ou simplement une simplicité volontaire — qui n'est pas sans jouissance, au contraire : la pauvreté apparaît alors comme une richesse existentielle, une valeur. (Réelle ou illusoire, je n'en jugerai pas.) En gros, c'est ce que proposent les "décroissants".
Dans tous les cas, il s'agit d'autre chose que la misère – qui se définirait comme la grande précarité, l'indigence profonde, et matérielle et existentielle. Dans la pauvreté, la potentia (Spinoza), c'est-à-dire "les moyens propres de quelqu'un", sa force vitale, son potentiel de vie, d'action… n'est pas atteinte. Tant qu'elle est vivante, on n'est pas tombé dans la misère. Tombé. Si la pauvreté est un état normal, naturel, la misère est une chute. La misère suppose que la potentia est détruite ou en danger. Par dégradation physique ou mentale, ou par la précarité sociale, l'abandon ou le rejet de la communauté.
Et la misère rend con — tout comme la richesse !

MISERE CAPITALE
Fut un temps où la misère était un accident. Avec le capitalisme et la société industrielle, au 19ème siècle, elle devient plus courante. L'humain se trouve redéfini. Le pauvre était un être libre, contrairement au serf ou à l'esclave. Le capitalisme le réduit à une force de travail sur le marché. Quand cette force de travail se déprécie, perd de sa valeur marchande (par exemple parce que dans d'autres pays elle est beaucoup moins chère), la misère apparaît en masse. Le "pauvre convivial" devient le prolétaire, un individu réduit au prix de sa force de travail sur le marché, déraciné, aliéné, mis en concurrence avec ses proches eux-mêmes, ayant "perdu ses moyens", ceux que lui donnaient son histoire personnelle et sociale.
Mais, au long du 20ème siècle, il se produit cependant une amélioration graduelle des conditions de vie, en tout cas dans les pays occidentaux, et on a l'impression que le prolétaire a disparu. Il a peut-être seulement changé de place ou d'origine — délocalisé : notre prolétariat (et sa misère) est en Chine (et autres pays-ateliers) ou, ici, formé d'immigrés, avec ou sans papiers. Par contre, on voit la naissance d'un "nouveau prolétariat" : sorti de la misère, entré dans la pauvreté/richesse moyenne, le nouveau prolétaire aspire à PLUS. Les capitalistes, grâce à son travail, deviennent plus riches que lui ; ils peuvent accumuler, alors que lui-même est limité par sa force de travail, ses heures. Mais ces élus, les privilégiés, les riches, il les a sous les yeux, ainsi que des vitrines pleines de gâteaux. Il entre dans la jalousie, l'envie, l'identification, le désir mimétique — un des grands moteurs des actions humaines. Il se crée / on lui crée de nouveaux "besoins" (consommation), dont il devient de plus en plus dépendant. Consensus et propagande (publicité) le confortent dans ses envies et désirs : comme "tout le monde" et lui-même l'ex-pauvre, le presque riche, aspirent à PLUS, il lui est de plus en plus difficile d'abandonner cette logique de la croissance. Il devient l'agent ou le complice de sa propre exploitation : aliénation, servitude volontaire — ou plus justement domestication : un esclave peut au moins se révolter, un domestiqué, non, conditionné et autoconditionné qu'il est. Et le mythe de la croissance perpétuelle, loin de rester seulement le fantasme des seuls riches et nouveaux riches, devient la religion de tout le monde, y compris les plus pauvres. Le mythe en sera d'autant plus difficile à déraciner.

LE SYNDROME DE LA LOTERIE
Une minorité de gagnants du gros lot sert d'exemple, de modèle appétissant pour une majorité de perdants. Pas de gros lot gagnant sans les milliers de mises, donc finalement des milliers de perdants. De nouveau le goût du jeu, et la superstition, la croyance en "la chance", l'espoir — veilles lunes toujours brillantes et toujours exploitables. Une sorte d'hystérie. Et ce aussi bien dans la vraie loterie (nationale, par ex) que dans le capitalisme en général ou le financiarisme. De même que ce sont les mises perdantes qui font le gros lot gagnant, c'est le travail des travailleurs qui fait la richesse du riche. L'immense majorité paye pour la richesse d'une minuscule minorité. En ce sens, le riche, qu'il soit patron ou trader ou actionnaire, qui gagne mille fois plus que le pauvre, c'est comme s'il possédait mille esclaves.
Les nouveaux prolétaires sont incapables de se résigner à redevenir des prolétaires basiques ou des "pauvres conviviaux", ils ne constituent pas une classe sociale, juste un tas de gens malheureux, frustrés, rongés d'envie.
… Tout ce passage sur pauvreté et misère m'a été inspiré par Majid Rahnema, auteur de "Quand la misère chasse la pauvreté" (Babel 2005), interview dans Réel N° 91, avr. 2006. Le quel conclut sur l'idée que la véritable richesse est indissociable de celle des autres, sur la fraternité qui nous compose, par opposition à la concurrence et autres dérélictions qui nous décomposent.

DE LA VERTU DES RICHES (pourtant)
Dans le passé, sous l'ancien régime, les aristocrates exploitaient le petit peuple (surtout paysan), mais faisaient travailler des milliers d'artisans et d'artistes, pour leurs châteaux à construire et à décorer, pierre taillée, sculpture, peinture, leurs meubles marquetés, leurs robes et pourpoints brodés de fils d'or, etc. Que de belles choses ont pu se créer grâce à la richesse des riches ! (Plus tard, après la révolution, on a inventé la cuvette en plastique verdâtre tirée à des millions d'exemplaires…)
Aujourd'hui, à New York, la sphère financière emploie directement ou indirectement 320 000 personnes. Cela représente 5% des emplois de la ville, mais 25% de la masse salariale, 10% des taxes et impôts, et finalement 6% de l'économie des USA !
La crise va coûter des milliers d'emplois directement dans le secteur financier, mais pire : « Il faut savoir que pour un emploi perdu dans la finance, trois autres disparaissent dans des secteurs qui en dépendent. » (Akram Belkaïd. Le Monde Diplo 656. Nov. 08 — de même pour les chiffres cités ci-dessus.) Et oui : commerces de luxe, mode, parfums, grands restaurants, galeries d'art, antiquaires, immobilier haut de gamme, etc. Et, en tâche d'huile, tous ceux qui dépendent de ceux-ci : les brodeuses, les tueurs de crocodile à sac, les nez de parfumeurs, les cuisiniers, les œnologues, les artistes, les artisans de l'habitat, les balayeurs, les femmes de ménage, les ramasseurs de mégots de cigare, etc, etc…
Autrement dit, il y a interdépendance, au moins à un niveau "anecdotique". Mais cette anecdote, c'est quand même la vie de tous les jours de milliers de gens. Et cette interdépendance s'exprime en phénomènes de tâche d'huile, effets en cascade, effet dominos, effet boule de neige, avalanche, retombées, dégâts collatéraux — les métaphores ne manquent pas.

BOUCLE DE RÉTROACTION POSITIVE (one more time)
La crise fonctionne en boucle, se nourrit d'elle-même : moins de consommation = moins d'investissements = moins de production = moins de travail (plus de chômage) = plus de pauvreté = moins de consommation… etc.
Autodestruction : on est en plein dans les effets pervers du libéralisme qui se retourne en son contraire, s'autodigère, s'autodévore. Se révèle suicidaire, finalement. La crise n'est pas conjoncturelle mais systémique. Tout le système est touché.
Les tours du WTC n'en finissent pas de chuter.
Déclin ou chance de salut ?« Seule une crise réelle ou perçue comme telle peut engendrer un réel changement. » (Milton Friedman, économiste ultralibéral des années 50 cité par Naomi Klein.

RÉCESSION
Le mot, encore tabou il y a 15 jours, sort de partout avec sa vilaine gueule anti-libérale. Il y a quelques semaines, on nous promettait aussi une reprise au printemps… sans que qui que ce soit explique d'où sortait (sortirait) cette reprise. On n'en parle plus. Petit à petit, le réel revient. Le compte à rebours est en marche. Décroissance en catastrophe, qui n'est pas celle que "les décroissants" (ou "objecteurs de croissance") cherchent.
Jean Baudrillard : « Contre la nouvelle donne mondiale d’échange généralisé, peut-être faudrait-il en revenir à un principe de réalité. J’en arrive ainsi, paradoxalement, à souhaiter la réhabilitation du capital contre quelque chose de pire que le capital. Toute la pensée critique s’est exercée contre le capital, contre l’idéologie de la marchandise. Aujourd’hui, cette pensée ne peut plus rien faire contre le nouvel ordre mondial. L’ordre capitaliste constituait peut-être un ultime rempart contre cette ultradéréalisation qui nous attend partout…» (Interview dans Télérama 2923 (01/06)

(à suivre)

dimanche 16 novembre 2008

DÉMATÉRIALISATION

LO 254 (16/11/08)
L'ARGENT-DETTE / 5


SEUIL
J'ai parlé de seuil. Dans bien des domaines, écologie, économie, connections Internet, circulation, connections neuronales dans un cerveau, démographie, il vient un moment où le seul fait du nombre change tout. La quantité influe sur la qualité et même, par un changement de niveau, change la qualité. (L'opposition quasi morale que nous faisons habituellement entre ces deux notions n'est peut-être qu'une bien-pensance romantique parmi d'autres.) Quand la quantité de quelque chose augmente, particulièrement dans le domaine humain, il semble que le passage de certains seuils entraîne des changements qualitatifs. Par exemple, dans un cerveau, si on prend un million de neurones et qu'on les connecte, on a mettons 1 M multiplié par 1 M = 1000 milliards de connections. Maintenant si on part de 1 millions de neurones + 1 (1 000 001) multiplié par 1 millions de neurones + 1, on n'obtient pas 2 connections de plus, mais 2 millions.
Et c'est peut-être comme ça que, au cours de l'évolution, on passe, d'un coup, pour un neurone de plus (seuil) du singe à l'homme — qui n'est pas un sur-singe, mais autre chose. (Faites pas gaffe aux chiffres que j'avance, je ne suis pas documenté sur la question du nombre de neurones dans l'arrière-boutique et je ne suis pas matheux, c'est juste un exemple bidon pour la démo.)
De planète des singes, le monde devient planète des signes.
Sur un plan trivial, quand tout le monde crève de faim, deux quintaux de blé de plus (quantité), c'est du mieux-être (qualité), mais quand l'épuisement du milieu commence à poser problème, le plus cesse d'être le mieux…
On pourrait même sans doute dire que la vie intérieure d'un individu passe par des seuils, non seulement à cause d'événements, mais par accumulation. Accumulation de savoir, d'expérience(s), atteignant une masse critique et un basculement qu'on appelle révélation ou prise de conscience.

Tout ça pour dire qu'un dollar de plus ou de moins, une transaction de plus ou de moins, peut faire franchir un palier, un seuil qui change le monde qualitativement, fait passer du simple au complexe ou du complexe à l'hypercomplexe, d'un système à (la nécessité d') un méta-système Un changement de niveau de pensée et de conception du monde ; paradigme, ou weltanschaung, comme disent les philosophes ; logiciel, comme disent les politico-médiatiques.
Du troc à la monnaie-or, ainsi, il y a un seuil symbolique franchi, de l'or au billet de banque aussi, du billet au chèque, du chèque à la CB, encore un passage… une passe. Tout cela allant du plus concret au plus abstrait, du réel au virtuel, comme bien des choses dans notre société qu'on dit matérialiste alors qu'elle travaille en profondeur à se dématérialiser… à sublimer (dans tous les sens du terme, à commencer par le sens chimique.)

DÉMATÉRIALISATION
La diffusion de musique qui est passée de la fanfare sous un kiosque ou de l'orchestre live dans une salle de concert au téléchargement sur Internet, en passant par le 78 T, puis le microsillon, puis le CD… peut servir d'exemple assez typique de cette dématérialisation. Un autre exemple de déréalisation : les marques. On ne boit pas une boisson gazeuse sucrée parfumée à on ne sait trop quoi, mais "cacacola", on ne mange pas une tranche de pain-éponge avec du hachis dedans… mais un "macdaube", on ne porte pas des chaussures de sport mais des "reeblok" ou des "adidasse".) Nous consommons des signes.
Déjà dans les années 60, Alan Watts, philosophe tendance hippie bon-vivant, gentiment provocateur, nous disait, dans "Matière à réflexion", que, contrairement aux idées reçues, les Américains n'étaient pas matérialistes mais abstractionnistes. (Il allait jusqu'à dire spiritualistes !) Dans l'article "Meurtre dans la cuisine", sa réflexion part de la différence entre le cuisinier (matérialiste) et le diététicien (abstractionniste) et passe par l'élevage industriel (pseudo-poulets et simili-œufs = non-goût), par le style des cuisines : « blanche, froide, moche,… reluisante et d'une propreté agressive… ressemblant à des cabinets : de simples lieux d'aisance… la nourriture y est dûment rendue mastiquable et assimilable — parce que "c'est bon pour la santé". » Tout serait à citer dans ce passage assez hilarant… Je ne résiste pas à celui sur le pain : « … composé d'une substance sans substance, veule et spongieuse, bourrée de produits chimiques antiputrides et soi-disant nutritifs. Ce n'est pas tellement qu'il soit blanc, il est l'ultime perfection dans l'absence de couleur, et le génie humain a tout mis en œuvre pour le doter du goût du Néant. C'est un ramassis de bulles d'air, chacune enveloppée d'une pellicule de plastique synthétisé à partir de blé ou de seigle… Si vous portez cette pellicule de plastique au contact d'un liquide, que ce soit sauce ou salive, elle se dissout immédiatement en une pâte gluante sans consistance, qui ressemble tout à fait à cette bouillie blanche – on dirait de la bave de limace – dont on nourrit les bébés et que la plupart, cela se comprend bien, s'empressent de recracher aussitôt. »
Et ça continue sur la manière dont le blé est semé, récolté et traité, d'un bout à l'autre de la chaîne, tout cela pour aboutir à un "produit" qui n'a plus rien de pain mais représente un certain pourcentage de protides, eau, lipides, hydrates de carbone, dûment agréé par la Food and Drugs Administration.… Une abstraction de pain, un signe de pain… et non "du pain", au sens matériel du terme.
Au restaurant, « l'abstractionniste préférerait, si cela était possible, manger la carte plutôt que le repas… »
On pourrait aussi bien parler de la batterie de cuisine, passant de la terre cuite à l'odieux aluminium, des immondes cuvettes en plastique (« Au toucher, on dirait une espèce de cuir épais, froid et graisseux, et pourtant il ne vous reste pas de graisse sur les mains. Vous avez plutôt l'impression que les pores de votre peau sont pénétrés de particules moléculaires… Le plastique… une spiritualisation nihiliste de la matière : il peut imiter toutes les formes et être transformé en n'importe quoi, sans pour autant être quoi que ce soit. »)… l'architecture et son évolution, allant de la pierre (lourde) ou du bois (vivant) au béton-acier-verre, matériaux morts, informes (pâtes à mouler), allégés, et très gourmands en énergie, menant à la construction de tours détachées de la terre, transparentes ou réfléchissant le ciel… et très gourmandes en énergie. (On sait comment ça finit…) Il y a de belles pages dans Mircea Eliade, aussi, dans "Forgerons et alchimistes", où il parle du « programme pathétique des sociétés industrielles qui visent à la "transmutation" totale de la nature, à sa transformation en "énergie". »
Tout cela m'emmène dans des considérations très générales et plus spécifiquement écologiques — mais tout est lié, autour de l'idée d'une humanité détachée de la nature, de la matière, du corps, déréalisée — abstractisée, oui. Confondre la carte et le territoire — ou plutôt préférer la carte au territoire, l'idée à la réalité, le signe à la chose, ou, en termes moraux, le mensonge à la vérité.
Pour en revenir aux questions financières, Alan Watts nous dit : « Autre manière d'avaler la carte : préférer l'argent à la richesse. » Il y aurait donc confusion entre l'argent (carte) et la richesse (territoire) ?

L'ARGENT OU LA RICHESSE ?
Je me permets de paraphraser son chapitre "La richesse ou l'argent" en appliquant au monde entier ce que lui disait à propos des Etats-Unis d'Amérique.
« La civilisation — la somme des hauts faits de l'art, de la science, de la technique et de l'industrie — résulte de notre invention de symboles et de l'usage auquel nous les soumettons : mots, lettres, nombres, formules et concepts, ainsi que les systèmes conventionnels sociaux de portée universelle : pendules et règles, balances et horaires, cahiers de charges et lois. Ces divers moyens nous permettent de mesurer, de prévoir et de contrôler le comportement des mondes humain et naturel avec une efficacité apparemment si complète qu'elle nous trompe. Nous finissons par confondre beaucoup trop facilement le monde tel que nos symboles le représentent et le monde tel qu'il est. Il est grand temps de ne plus confondre la carte et le territoire, le symbole et la réalité.
En ce sens, est à dénoncer la confusion fondamentale qui est faite entre l'argent et la richesse. Avant la grande crise des années 30, l'économie de consommation était florissante et chacun vivait à l'aise. Du jour au lendemain, ce fut le chômage, la misère, des queues pour la soupe populaire. La raison ? Les ressources physiques du pays — les cerveaux, les muscles, les matières premières — restaient intactes, mais il s'était produit une brusque raréfaction de l'argent liquide, un effondrement des cours. Les experts des problèmes bancaires et financiers, à qui l'arbre cache la forêt, ont à leur disposition toutes sortes d'arguments subtils pour expliquer en détail ce type de désastre. Plus simplement, ce fut comme si vous étiez venu travailler à la construction d'une maison et que, le matin de la crise, le chef de chantier vous avait déclaré :
« Désolé, mon gars, on ne peut pas travailler aujourd'hui. Nous manquons de centimètres.
— Qu'est-ce que vous voulez dire par "nous manquons de centimètres" ? On a du bois, on a du métal, on a même des mètres à ruban.
— D'accord, mais vous ne comprenez rien au problème. Nous avons consommé trop de centimètres, et il ne nous en reste plus pour continuer… »
La réalité de l'argent n'est pas de même nature que le bois de charpente, le fer ou la force hydro-électrique, elle est de même nature que celle des centimètres, des grammes, des heures ou des degrés de longitude. L'argent ne vient et n'est jamais venu de nulle part. Nous avons inventé l'argent, au même titre que nous avons inventé l'échelle thermométrique ou le système de mesure du poids. L'argent est un moyen de jauger la richesse ou d'échanger des biens, mais ce n'est pas, en soi, la richesse. De quelle utilité peut être un coffre rempli de pièces d'or, un portefeuille gonflé de billets de banque, à un naufragé abandonné seul sur un radeau ? Ce qu'il lui faut, c'est un bien réel : une canne à pêche, une boussole, etc. » (Allan Watts. "Matière à réflexion". 1968 – 69 – 70. (Denoël Médiations 1972)

Déterminer ce qu'est la vraie richesse serait donc un enjeu essentiel…
A chacun de se poser la question, pour soi et aussi plus globalement, pour la survie de tous les habitants de la planète. Et question corollaire : la pauvreté, c'est quoi ? Qu'est-ce que c'est, être pauvre ? Et être un pauvre ?

« Pendant que certains se font des couilles en or, d'autres se font des nouilles, encore. » (Rufus Agnostyle Junior. "Réveil au pays des malices". Edith Heur éditeur, 1909.)

(à suivre)

mercredi 12 novembre 2008

CYBER@CTION

LO N° 253 (12/11/08) L'ARGENT-DETTE / 5
PETITION
Avec un peu de retard, je retransmets cette cyber@ction, totalement dans le droit fil de mes lettres actuelles. Une pétition de plus, me direz-vous… Mais le texte de présentation que je reprends ci-dessous résume et explique tellement bien les points principaux du problème que je n'y résiste pas : l'argent n'est que de la dette… à commencer par "l'argent des Etats" (c'est-à-dire le nôtre) !


« En cette période de crise financière et économique, le soutien des États aux banques risque d'alourdir encore la dette publique dont les seuls intérêts annuels engloutissent déjà la quasi totalité de nos impôts sur le revenu.
Peut-être vous interrogez-vous, êtes-vous choqués, dépassés ?
Comprenez-vous que l'Europe s'apprête à renflouer les banques avec des milliards d'euros alors que des postes sont supprimés dans la fonction publique, que vos retraites diminuent, que l'on vous oblige à travailler plus longtemps, que l'on ferme des petits hôpitaux, maternités, des tribunaux pour cause de déficit budgétaire ? Comment se fait-il que l'Europe et les États-Unis soient capables d'imaginer un plan de sauvetage de plusieurs milliers de milliards pour sauver le système financier, au prix d'une dette encore alourdie, alors qu'ils restent impuissants à trouver les "petits" 100 milliards qui résoudraient le problème de la faim, de la santé et de l'éducation dans le monde entier ?
Pour beaucoup d'entre nous, c'est parfaitement incompréhensible ! Mais c'est malheureusement l'ignorance dans laquelle les peuples sont tenus en matière monétaire qui permet de telles aberrations.
Bien sûr on peut se dire que tout cela nous dépasse, que l'on n'y peut rien à notre niveau... Détrompez-vous ! Nous pouvons non seulement résoudre la question de la dette publique dont le montant risque de croître fortement en 2009, mais en plus nous donner les moyens de financer l'immense chantier à mettre en œuvre pour permettre à tous une réelle amélioration de la qualité de la vie, sans oublier personne.
Pure utopie pensez-vous? Certainement pas ! Savez-vous que :
- Depuis 1971, plus aucune monnaie n'est liée à un étalon réel (or), ce qui la rend depuis totalement virtuelle et donc potentiellement infinie. Seules les règles définies par les hommes eux-mêmes en limitent l'émission.
- En 1973, la France s'est légalement obligée d'emprunter sur les marchés financiers cette monnaie dont elle avait auparavant le pouvoir d'émission !
- Contrairement à ce que croit la majorité d'entre nous, ce ne sont plus les États qui émettent la monnaie, mais le système bancaire privé. La Banque Centrale Européenne a seulement le monopole de l'émission des pièces et billets (soit 15% de la masse monétaire) ; les banques commerciales créent la différence, soit 85%. Comment ? Lorsqu'elles acceptent une demande de crédit. Elles ont donc en main le destin des peuples, puisqu'elles seules décident d'accepter ou de refuser le financement des projets dont les citoyens demandent le financement.
- Suite au Traité de Maastricht (article 104 qui interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d'accorder un quelconque crédit aux institutions ou organes publics de la Communauté), toute l'Europe est dans la même situation. Cela conduit les États à s'endetter pour obtenir, au prix fort, auprès de la finance privée, la monnaie "virtuelle" qu'ils pourraient émettre eux-mêmes par l'intermédiaire de leur Banque Centrale.
C'est ainsi que dans notre pays, depuis 1973, nous avons déjà payé, au seul titre de l'intérêt, plus de 1300 milliards d'euros, soit une ponction actuelle sur nos impôts et sur le fruit de notre travail de près de 120 millions d'euros par jour, et nous devons toujours 1250 milliards d'euros en principal. Si nous n'avions pas eu à payer d'intérêts, nous n'aurions pas de dette publique !
Les "élites" européennes ont volontairement abandonné notre droit de création monétaire, au profit exclusif d'une finance privée dont les excès et l'irresponsabilité sont aujourd'hui étalés au grand jour ! Cette politique du "tout marché", appliquée à la fonction monétaire, est la cause première de la dette publique, avec son cortège de restrictions budgétaires, resserrement des aides sociales, salaires et conditions de travail qui se dégradent, et recul du service public...
Alors disons « Ça suffit ! ». Ensemble réclamons qu'au minimum la Banque Centrale Européenne (ou à la Banque de France si nécessaire) puisse disposer du droit d'émission monétaire et de crédit au bénéfice des collectivités - Etat, Régions, Départements et Communes - pour financer les investissements nécessaires.
Aidez-nous dans notre action en participant à cette cyber @ction
Merci aussi de diffuser largement cet appel. »

L'équipe "public-debt.org »
Alain Uguen Association Cyber @cteurs
Cette cyber @ction est signable en ligne
http://www.cyberacteurs.org/actions/lettre_dep.php?id=338

(à suivre)

lundi 10 novembre 2008

LE CHAOS ET LA LOI

LO 252 (10/11/08) L'ARGENT-DETTE / 4

CHAOS
Comment en est-on arrivé là ? Comment ça a commencé, s'est mis en place lentement, s'est complexifié par ajouts successifs et accumulation, dérives, effets pervers (à la base, l'actionnariat, c'était une bonne idée, non…?), quand et où un seuil a-t-il été franchi, qui a enclenché un mouvement exponentiel, qui nous a fait passer de la complexité à l'hyper-complexité non-maîtrisable.
"L'effet papillon" cher à la théorie du chaos ?
Je préférerais la métaphore plus évidente (car expérimentable chez soi par chacun) des ronds dans l'eau. Supposez un bassin et au milieu une source de vibration prolongée produisant des ronds dans l'eau en permanence. Les ondes d'abord bien rangées, concentriques, harmonieuses (ordre) et bien perceptibles, viennent buter contre les bords du bassin, s'y réfléchissent, rebondissent et, du coup, se mettent à se croiser avec les ondes encore bien rondes qui continuent à venir derrière elles. Pour peu que la production d'ondes continue, pour peu que le bassin ait des angles, les rebonds d'ondes vont vite se croiser dans tous les sens, se mêler, s'entremêler et, passé un certain seuil d'entrecroisements superposés — saturation — ne plus montrer qu'une surface désordonnée, autant cahotante que chaotique. On pourrait évoquer un phénomène d'écho dans une caverne, aussi bien : le son original qui se perd dans une confusion d'échos multiples et échos d'échos.
« L'interdépendance entre les marchés, loin de constituer un adjuvant efficace de la main invisible contribue au contraire à amplifier les déséquilibres, en les répercutant à tout va le long d'improbables chaînes causales, rapidement non maîtrisables. » (Laurent Cordonnier, Le Monde Diplo 654. Sept 08)
Il y a eu bel et bien création de confusion, de chaos.
"Quand l'Énergie, la Forme et la Matière sont présentes, mais pas encore séparées, on appelle cela le Chaos… Si l'on regarde, il n'y a rien à voir ; si l'on écoute, il n'y a rien à entendre ; si on le suit, on ne trouve rien." (Commentaire du Yi-King.)
Dans cet état, il deviendra impossible de distinguer l'origine, de délimiter l'influence de tel ou tel élément, de lire ou comprendre quoi que ce soit. Passé un certain seuil, on ne maîtrise plus rien.
Soyons un peu modestes (ceci s'adresse tout particulièrement aux écono-mystes, sortes de gourous médiatiques qui sont censés avoir tout compris et savoir tout expliquer) : les capacités de notre pensée, même avec des superzordinators, sont limitées. Notre cerveau est incapable d'analyser, de modéliser le système financier international, d'y découvrir ou d'y insuffler un ordre (une loi – voir plus loin)… En fait, on y a renoncé depuis longtemps, on l'a abandonné à la main invisible et aveugle du marché – boîte noire. On voit des entrées et des sorties, oui, et encore… mais ce qui se passe à l'intérieur de la boîte est aussi peu cartographié et conceptualisé que ce qui se passe à l'intérieur d'un cerveau, fût-il celui d'un tradeur passé directement de sa console nintendo à son écran boursier.
« Il est impossible de prévoir le comportement des systèmes complexes et ouverts (la bourse, le net, le cerveau humain). Certaines substances comme le LSD (mais aussi la méditation et d'autres pratiques dites mystiques) transforment la conscience en système ouvert. » (Je ne sais plus où j'ai pêché ça.) Autrement dit, le système financier serait comparable à un cerveau shooté au LSD.

LOI
On oppose traditionnellement le chaos à la LOI. En l'occurrence, l'absence de loi, au sein du marché, est typique : jeu sans règles, pas d'interdits, pas de discipline, pas d'autorité supérieure… un seul mot d'ordre "make money"… Tout cela aboutit à cette aberration civilisationnelle, ce monde de déréliction : une barbarie. Un inconscient, un ça — sans surmoi pour le surveiller ou le guider. Sans loi.
Mais, quand on parle de loi, il faut bien distinguer entre lois naturelles et lois édictées.
On parle des lois naturelles ou "lois de la nature", mais il n'y a pas de lois de la nature. Je veux dire qu'elles ne préexistent pas à leur formulation par l'homme. Elles se situent en aval des phénomènes qu'elle décryptent. C'est par notre attention assidue (recherche scientifique, expérimentation, analyse), que nous les décelons, que nous les tirons hors de la matière observée, et que nous les conceptualisons, formulons, formalisons. Ces lois n'étaient pas là avant — sauf à les croire promulguées par un dieu Grand Horloger ou Grand Architecte. Nous les inventons, en fait. (D'ailleurs ne dit on pas "l'inventeur d'un trésor", plutôt que le "trouveur" ou le "découvreur" ?)
L'autre acception du mot loi, ce sont celles qu'une société se donne, que ce soit en les prétendant tombées du ciel, comme les fameux dix commandements de Moïse (qui sont bien plus de dix, en fait : toutes les pratiques et rituels quotidiens sont précisés maniaquement dans Nombres ou Deutéronome, depuis les prières, les sacrifices, les punitions valant pour telle ou telle faute, et jusqu'à la manière de faire caca*. Il en est de même avec la charia.) Ou que ce soit, au moins depuis la révolution (mais ça existait en Grèce ou en Rome antiques), les lois déterminées (plus ou moins démocratiquement) par une institution, par exemple un roi ou une assemblée politique : législative, comme son nom l'indique. Le Code Pénal, etc. Elles sont en amont des actes, faits et gestes humains, qui leur obéissent – ou non.
Quand certains parlent des "lois du marché", bien voir qu'on est dans la première acception : on regarde "le marché" comme un phénomène, comme on regarde la nature, le chaos primitif, et on essaie, à grand peine, d'en extraire des schémas de fonctionnement, des lois cachées, inconscientes. (Et si j'ai parlé de machine, il faut imaginer une machine hypercomplexe dont on aurait perdu les plans et le mode d'emploi depuis des siècles… qui serait ainsi rendue à "l'état de nature".) Et donc, comme déjà dit, l'hypercomplexité ne laisse découvrir aux chercheurs que quelques schémas superficiels. Ils ne sont pas plus capables de dérouler tout l'écheveau que ne l'est l'écologiste, même brillant, qui voudrait formaliser TOUTES les lois de la nature. Face à cette situation, celle du nœud Gordien, il est inévitable qu'il faille trancher, couper, pour simplifier — d'où la nécessité de coupables. (Une sorte de réductionnisme scientifique : un homme coupé, disséqué, décapité, décapitalisé, est clairement simplifié : on l'enterre et puis voilà.)
Quant à la seconde acception, les "lois légales"… Aucune assemblée législative n'a décidé à l'avance des "lois du marché". C'est bien le drame !

* Deutéronome, 23, 13 : « Tu auras un endroit hors du camp et c'est là que tu iras au dehors. Tu auras une pioche dans ton équipement, et quand tu iras t'accroupir au dehors, tu donneras un coup de pioche et tu recouvriras tes ordures. Car Yhwh ton Dieu parcourt l'intérieur du camp pour te protéger et te livrer tes ennemis. Aussi ton camp doit-il être une chose sainte, Yhwh ne doit rien voir chez toi de dégoûtant ; il se détournerait de toi. » (Bon, c'est juste une règle d'hygiène de base, mais il faut croire que les Hébreux d'époque avaient besoin pour comprendre ça d'un ordre écrit de Yhwh, dieu qui manifestement n'appréciait pas de marcher dans la merde en se baladant entre les tentes !)



JOUIR SANS ENTRAVE (Sans foi ni loi)
La jouissance du JEU du marché, cet optimisme, cette "positive attitude" béate, liée à une "disposition humaine à l'euphorie"… disait je ne sais plus qui… mais aussi bien à la crétinerie de base, et, niveau freudien, le désir insatiable, la boulimie, le "ludique hystérique", avatar de la voracité infantile… quelque chose qui a sans doute à voir avec la privation du sein maternel.
A un niveau plus obvie, social, ça s'exprime sans doute dans la prédation, la rapacité, la corruption, mais, je l'ai déjà dit, ce n'est pas ce qui m'intéresse le plus, car ça mène toujours à porter des jugements moraux, à chercher des victimes et des bourreaux, des coupables. Temps perdu. M'intéresse plus "le système" et ses hommes-rouages inconscients. Pour préciser encore ce que j'entends par machine, par système, je dirai que l'action d'une personne sur une autre peut être vue comme une addition ou une soustraction, alors que ce qui se passe dans un système serait plus proche de la multiplication. Cela correspond au problème de grand nombre et de passage de seuil que j'évoquais plus haut (j'y reviendrai). On peut aussi évoquer l'idée de réseau, bien sûr, mais en imaginant quelque chose de mille fois plus complexe qu'une simple toile. Dans une toile (tissée), les fils de trame et de chaîne se croisent seulement par deux et au carré… Dans les réseaux auxquels on a affaire ici (cerveau, univers de la finance mondiale ou Internet), TOUS les points sont reliés (au moins potentiellement) à TOUS les points.
Le "système", donc, poussé dans ses extrémités, dans son hypercomplexité chaotique, arrive à un seuil critique et bascule dans l'aberration qu'il portait en germe, comme on bascule dans la folie, non suite à un coup du sort, à une situation exceptionnelle, mais parce que, depuis toujours, c'était là.
" Les situations de crise ne sont pas, comme on le croit souvent, des situations anormales où tout fonctionnerait autrement qu'à l'habitude, mais bien plutôt des situations où les règles implicites qui président aux comportements dans les conditions ordinaires apparaissent soudain au grand jour." (Paul Jorion. "L'Implosion". 2008)

Révélation… Révolution…
Chassez le réel, il revient au galop.

REVENIR AU POINT OÙ IL Y AVAIT ENCORE DU RÉEL
(Parce que "révolution", avant de désigner un changement brutal, ça désigne un tour complet sur soi-même ou autour de quelque chose… pour revenir à la même place…)
Jean Baudrillard : « On invente des techniques de plus en plus "irréalisantes" et dans le même temps on essaie de trouver de plus en plus de gravité, de pesanteur, de raison d’être. Contre la disparition, la ventilation dans le virtuel, on cherche à revenir au point où il y avait encore du réel. » ITW Télérama 2923 (01/06)

— J'aime bien Jean Baudrillard, comme penseur, mais je l'ai longtemps confondu avec Roland Dubillard.
— Les Diablogues, ça tue, pour utiliser une expression à la mode chez les djeunes. Je n'en suis pas encore mort, mais il est vrai que je crains le pire, quand je lis une scène assis dans ma cuisine tout en buvant mon thé de cinq heures et que je me retrouve au sol, plié en position fœtale et agité de mouvements spasmodiques.
— Ça s'appelle le rire.
— Ah bon, tu me rassures.

(à suivre)

dimanche 9 novembre 2008

QUELQUES MOMENTS D'HISTOIRE CONTEMPORAINE

LO N° 251 (09/11/08)

CORINNE LEPAGE
Eviter l'effondrement (sur son blog, 20.10.2008)
# Dans son livre "Effondrement" consacré aux choix des sociétés de survivre ou de disparaître, Jared Diamond identifie quatre formes de comportement collectif qui ont été fatals aux sociétés qui les ont choisis :
- L’incapacité d’identifier un problème avant qu’il ne se manifeste
 ;
- L’incapacité de percevoir un problème alors qu’il est présent ;

- L’incapacité à le résoudre — voire même à réellement chercher des solutions — lorsque le problème est identifié ;
- Et surtout le maintien d’un système de valeurs sociales inadaptées à la situation nouvelle.



Et Jared Diamond écrit à ce propos : « Il est douloureusement difficile de décider qu’il faut abandonner certaines de ses valeurs centrales quand elles sont devenues incompatibles avec la survie ».
#
Suit un questionnement assez flou de "notre système de valeurs" et de son inadaptabilité à la situation nouvelle… et quelques propositions tendant à ce que les Etats reprennent la main sur les banques et les banquiers, à un retour à l'éthique, et à une lutte contre le chauffage climatique et pour le développement du rable. Tout ça, euh… manifestant pas mal de bonne volonté et ne me convainquant pas plus que ça. (Je n'ai rien contre Corinne Lepage, quand même…)
La suite ici :
http://corinnelepage.hautetfort.com/archive/2008/10/20/corinne-lepage-eviter-l-effondrement.html#comments

JEAN-LOUIS ETIENNE et la fonte des banques
Aujourd'hui à Monaco, et suite à une démarche enclenchée depuis longtemps, Jean-Louis Etienne suggère que le gouvernement français, qui assure actuellement la présidence de l'Union européenne, propose aux Nations Unies le vote d'une résolution qui classerait la banquise de l'océan Arctique comme "zone d'intérêt commun pour l'humanité".
Et si on classait LA TERRE comme "zone d’intérêt commun pour l'humanité" ?

BARACOBAMA
Pendant la soirée élection, on a vu une journaliste apparaître virtuellement "sur" un plateau de télé à ses centaines de km, par projection holographique. Ce qui nous plonge encore une fois, comme à l'occasion de la crise financière (krach entre le virtuel et le réel, en fait…), dans les questions du réel et de l'irréel, du vrai et du faux, de la réalité et de la fiction… Science-fiction devenue réalité ? Sommes-nous bel et bien entrés depuis quelques années dans un monde de SF, dickien, cyberpunk…? (Ce qui, en passant, explique peut-être que la SF se vende mal : on n'en a plus besoin, on est dedans.)
Obama lui-même ne serait-il pas un hologramme, une image de synthèse ? Il est quand même très improbable, cet homme ! Moitié noir, moitié blanc, un peu immigré, avec un premier prénom juif, un second arabe, un nom de famille bien africain, et une allure de mannequin de vitrine… Et élu Président US. Ne serait-ce pas une intrusion de l'imaginaire dans la réalité, comme la crise financière est née d'une virtualisation de l'argent, agissant en boomerang sur le réel.
On a vu ces dernières années des films et séries télé US avec des présidents noirs, dans des thrillers plus ou moins SF et pas spécialement gais ("24 heures chrono", si j'ai bien compris – pas vu)… La fiction a-t-elle créé de la réalité ?… (On pourrait en dire autant pour l'élection de Schwartzenegger en Californie, d'ailleurs…)
Tiens, ça me donne envie de relire "Terre, planète impériale", d'Arthur C. Clarke, dont le héros est noir, si je me rappelle bien… et qui contient cette considération politique que j'adore : "Depuis le dernier siècle, presque toutes les nominations aux principaux postes politiques sur la Terre s'étaient décidées par choix au hasard d'un ordinateur parmi l'ensemble des personnes ayant les qualifications requises. Il avait fallu plusieurs milliers d'années à l'espèce humaine pour se rendre compte qu'il existait des postes qui ne devaient jamais être donnés aux gens qui les briguaient, spécialement s'ils y montraient trop d'enthousiasme. Ainsi qu'un fin commentateur politique l'avait exprimé, "Nous voulons un président qu'il faudra porter à la Maison-Blanche, hurlant et se débattant, mais qui ensuite fera le meilleur travail qu'il pourra, si bien qu'il obtiendra une remise de son temps de présidence pour bonne conduite. " (Arthur C. Clarke "Terre, planète impériale". J'ai Lu)

BARACK OBAMA = JÉSUS-CRIST ?
Barack Obama va-t-il fermer les Bourses ?
Barack Obama va-t-il interdire les automobiles ?
Barack Obama va-t-il tuer tous les dealers ?
Barack Obama va-t-il instituer un contrôle drastique des naissances ?
Barack Obama va-t-il interdire les OGM ?
Barack Obama va-t-il fermer MacDo et Coca ?
Barack Obama va-t-il fermer les compagnies aériennes ?
Interdire tous les pesticides ? Faire enfermer tous les curés ? Avorter Sarah Palin à mains nues ? Marcher sur les eaux ? Guérir les écrouelles des traders ? Faire vendre du riz Uncle Ben's et du Banania ? Se faire assassiner et ressusciter pour le week-end ?

VIRGULES
Un prof d'anglais écrit cette phrase au tableau =
"Woman without her man is nothing", et demande à ses élèves de mettre la ponctuation.
Les garçons écrivent :
"Woman, without her man, is nothing."
Les filles :
"Woman ! without her, man is nothing."

RUMBA (film franco-belge hilarant — with une prof d'anglais included)
J'y suis allé à la dernière séance de son passage près de chez moi. Dommage. Si ça passe encore quelque part, courez-y !
http://www.rumba-film.mk2.com/

BREVE DE COMPTOIR
— Vous admirez Céline parce que c'était un bon écrivain ? Ben heureusement qu'Hitler était pas un grand peintre, hein ? © Gourio)

PARADIS TROPIFISCAL
Le cyclone Paloma est passé sur les îles Caïman sans faire de victimes. (Sans commentaire)

MARIZA (une merveille à voir et à entendre)
http://www.youtube.com/watch?v=LTvjdkvDZHs

DIABLOGUE
« Les aiguilles de cette horloge n'indiquent sur son cadran aucunement l'heure qu'il est. Cette horloge indique son prix actuel. C'est une invention américaine. Vous voyez, en ce moment, son cours à Wall Street est de douze dollars vingt-cinq et des poussières, parce que ce matin je n'ai pas eu le temps de l'épousseter, mais on peut dire que c'est son prix moyen. Si vous voulez l'acheter, vous avez intérêt ) l'acheter le matin de bonne heure. Malheureusement j'ouvre à neuf heures, ce qui vous la met à quarante-cinq francs, ce qui représente, vous l'avouerez, une bonne affaire. Ce soir à minuit, quelqu'un qui se présenterait dans ma boutique l'obtiendrait, s'il est vraiment pressé, pour vingt-quatre dollars ;s'il est moins pressé, vers zéro heure, il l'aurait pratiquement gratis, plus les taxes. Mais ce soir à minuit, quelqu'un qui se présenterait devant ma boutique, en réalité, il faudrait qu'il revienne le lendemain, car le ferme à dix heures. » Etc. (Roland Dubillard. Les nouveaux diablogues. 1988. Folio 2008)
Outre les rapports évidents avec la situation déboursière, ça me fait aussi irrésistiblement penser à une conversation avec la SNCF pour louer une place dans un train…


(Projet de couverture inédit)
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Le feuilleton financier reprend dans la prochaine LO.

jeudi 6 novembre 2008

PARANO ?

LO N° 250 (05/11/08) L'ARGENT-DETTE / 3



COMPLICES
Autrement dit, il ne suffit pas d'accuser "les actionnaires" (des millions d'actionnaires, dits "petits porteurs"), il faut admettre que c'est tout le monde qui est dans le coup, moi aussi… tout le monde qui est coupable — ou complice, c'est-à-dire faisant partie de ce fameux complot — ou au moins complaisant.

PETITS PORTEURS
— C'est quoi, des petits porteurs ? Des pygmées dans la jungle qui suivent Indiana Jones avec des colis sur la tête ? Ils peuvent pas porter grand chose, en fait. Ou alors il en faut beaucoup.
— Ouais, justement, y en a beaucoup. C'est ça le truc !
— Les actions, c'est comme les cacahouettes. T'en prends une, tu peux plus t'arrêter.
— Moi, c'est le pastis. J'en prends un…
— Y mettent un truc dedans, que quand on en a fini un, on a envie d'un autre instantanément. Le coca, pareil. La clope, pareil.
— Les femmes, pareil.
— Oh, parle pour toi. Moi c'est la suze que je suis accro..
— Moi, c'est l'andouillette.
— Ah, l'andouillette, c'est un cheval de Troie.
— …?
— Ouais, ça a l'air de rien comme ça, dans l'assiette : on dirait une bite…
— Une bite, ça a pas l'air de rien…
— … Tu la manges et une fois à l'intérieur, ça grouille dans ton estomac, on dirait des tradeurs qui veulent te vendre des actions EADS… Et voilà. T'es devenu un petit porteur sans le savoir. C'est du parasite fiscal.

MASSE
Nous sommes tous des conspirateurs, à différents niveaux, plus ou moins avoués, plus ou moins masqués, soit conscients-cyniques, soit naïfs, soit quelque chose entre les deux : une sorte de résignation ou de flemme (« Je sais bien qu'il y a quelque chose qui va pas, là-d'dans, mais comment faire autrement ? ») Complicité passive massive, du même ordre que celle de l'ouvrier qui tourne des missiles chez EADS en se refusant à penser à "à quoi ça sert". « Je sais ou je sens… mais je ne veux pas savoir… à quoi bon ? Ça me dépasse… Comment ne pas prendre ma bagnole pour aller acheter mon pain ? Comment ne pas brancher l'EDF nuke pour pouvoir allumer mon ordi…? Comment ne pas mettre mon argent à la banque ? (Techniquement, déjà, quand tes clients sont à 600 km, ils vont pas t'apporter une valise de billets…) Comment ne pas participer au grand jeu du crédit, dans un sens ou dans un autre, en prêteur ou en emprunteur…? » (Ainsi ça parle, juste en dessous de la conscience. Mais, encore plus en dessous, la honte et la colère grondent — mais ce n'est pas une raison pour (se contenter de) culpabiliser.)

MACHINE
Comme dans la problématique écologique (qui est indissolublement liée à la problématique économique et financière, bien sûr) nous sommes tous partie prenante de la grande machine économique et financière, que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou non, que nous voulions le savoir ou non. Que nous l'assumions ou non. Les positions psychologiques possibles sont multiples : ignorance, indifférence, complaisance, servitude volontaire, cynisme… mais dans tous les cas il y a malaise, évident ou sous-jacent.
La machine-système créée par l'homme, dictature économique sans dictateur, peut être vue à la fois comme un immense complot (puisque fabriquée par nous, part consciemment, part inconsciemment) et comme un grand inconscient collectif, puisqu'elle nous inclut et nous dépasse tout à la fois, tourne toute seule sans intention ni but avéré, et nous manipule subliminalement — contre notre volonté individuelle. Nous ne sommes plus que des rouages otages et ça ne nous plait pas (honte et colère secrètes), mais… comment on sort ?
"Machine : Artifice par lequel le poète introduit sur la scène quelque divinité, génie, ou autre surnaturel, pour faire réussir quelque dessein important, ou surmonter quelque difficulté supérieure au pouvoir des hommes." (L'Encyclopédie. 1751)
On pourrait dire aussi que la machine économico-financière est devenue tellement complexe qu'elle est de l'ordre du sublime, c'est-à-dire "ce qui excède le pouvoir de compréhension humain". Ou qu'elle se substitue à l'idée de dieu, dont les desseins sont impénétrables, c'est bien connu… ce qui entraîne une nouvelle notion de fatalité et, partant, un nouveau fatalisme. La main invisible et aveugle du marché sans entraves… l'inconscient, le "ça"… ou le dieu-démiurge, enfant capricieux qui modèle un adam dans son bac à sable et l'écrase quand il en a marre…
Mais qui ne se rend compte, au moins vaguement, qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans tout ça, et que lui-même est pris, peu ou prou, victime et acteur à la fois, dans ce "quelque chose" (qui ne tourne pas rond.)
La crise, du coup agit comme révélateur — mieux : comme une révélation. En Grec :

APOCALYPSE
Nous communiions au cœur d'une hallucination, et celle-ci nous unissait.
Nous découvrons que personne ne maîtrise cette seconde nature — ou nature seconde. Trop d'inconnues dans l'équation. Monde flottant, liquide, volatil. L'hôtel du Libre Échange tourne sans concierge ni femmes de chambres. La machine-système tourne toute seule et… s'autorégule ? Ben non, justement, ne s'autorégule pas. Le dieu Autorégulation est mort. Mieux, il n'a jamais existé. Les millions d'interventions humaines simultanées (traders achetant, vendant, individus empruntant, remboursant, s'assurant, agios s'agitants, chiffres échangés à la vitesse du çon…) ne créent pas un équilibre dynamique mais un chaos de nébuleuse. Sans cesse alimentée et dépourvue de soupape de sécurité, la machine saturée chauffe, surchauffe, s'emballe, produit n'importe quoi hors de toute décision humaine individuelle consciente ou concertée, explose… ou s'étouffe… et s'éteint. La machine est en panique — avant d'être en panne. Entropie galopante bientôt suivie d'encéphalogramme plat, si vous me permettez cette accumulation de métaphores plus ou moins compatibles.
On vous dira sans doute que "la crise" est une forme de régulation, un peu comme une épidémie, une famine ou une "bonne guerre" sont des formes de régulation démographiques, corrections apportées par "la nature" au danger de surpopulation. Purger les abcès, réduire les excédents, les excès… Ouais… Mais d'abord, à voir le nombre d'habitants sur Terre actuellement malgré toutes les guerres, épidémies et famines du XXè siècle et en cours, on est bien forcé de se dire : cette autorégulation fonctionne mal… À petite échelle, peut-être, dans le passé, mais pas à l'échelle planétaire globale… Quant au fait financier, ce n'est pas un fait de nature, c'est une pure création humaine. Devons-nous rendre les armes, nous humains, nous écraser… ou nous laisser écraser, tel le Dr Frankenstein, par le monstre que nous avons créé, cet état de fait mécanique, cette nature seconde aussi implacable que la première. Sommes-nous des fourmis, des lemmings…?

PARANOÏA
D'où le soulagement psycho-moral qu'apporte à l'opprimé-opprimeur économique que nous sommes le fait de pouvoir mettre des noms sur la source supposée du mal, l'idée qu'il y a un complot extérieur, qu'il y a des coupables à punir, des vilains à abattre. (Ou, pour rester dans la comparaison religieuse un démon, le diable, le satan. Car il se pourrait bien que cette propension que nous avons à toujours chercher, pour le bien comme pour le mal, l'origine première, la source, le UN responsable, soit intimement liée au monothéisme qui imbibe notre culture (donc notre inconscient collectif) : il y a UN dieu, origine de tout… et son double négatif, LE diable, le comploteur — et ils s'entendent comme larrons en foire pour faire chier le petit peuple ! (cf le livre de Job…, pour ceux qui ont une bible sous la main.)

PARIS SERA TOUJOURS VICHY
Comme dit plus haut, le pouvoir de type démoniaco-démagogique, le Shark, en l'occurrence, joue instantanément sur cette paranoïa, ce besoin de coupables. Alors… patrons-voyous, traders fous, paradis fiscaux, banquiers dorés sur tranche, avec leurs secrets, leurs cachotteries perverses, corruption… On lâche les chiens ! — Je vous le dis comme je le pense : il y aura des sanctions ! — Réflexe primaire, pour ne pas dire primate : — Des têtes vont tomber, je vous le dis, et après tout ira pour le mieux ! (Un coup de pot, déjà, que son pétainisme ou son lepenisme soient compensés par sa judéophilie, sinon le bouc émissaire serait déjà désigné — usual suspects…)

QUELQUES JOURS PLUS TARD
Évidemment, ce discours tendant à nous vendre des coupables ne tient pas longtemps. Poudre aux yeux populiste pour satisfaire la parano, la pulsion vengeresse primaire. Mais au delà ? Quel homme politique aura l'audace de nous lancer le raisonnement esquissé plus haut : il n'y a PAS de coupables, il n'y a QUE des coupables : vous tous, nous tous…?
"Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire." George Orwell
Penser qu'il n'y a pas de complot est plus exigeant parce que obligeant à entrer dans une pensée complexe. Une pensée écologique, en quelque sorte : la conscience que TOUT est connecté, alors que croire que quelqu'un tire les ficelles, dieu ou Rothschild, c'est pratique… mais c'est juste de la paranoïa.
Maizalors, au delà de battre les coupables, au delà de se battre la coulpe, que faire ?
Sans doute, pour commencer, analyser plus avant "le système", y compris dans ses aspects historiques.
D'où le film déjà cité (et bien d'autres analyses plus approfondies et plus sérieuses fournies par les analyseurs depuis pas mal d'années damnées… Car c'était prévisible — mieux, c'était prévu.)

(à suivre)