samedi 24 février 2018

ALONE ON MOON / 16


REVENANTS.
En hiver, la campagne est prise de rougeurs aux dents poilues et aux oreilles absolues tandis que chantent les écluses du canal Folinlove. Retour de flamme au matin, même si ce n'est que pour un jour.
Au bout d'un certain temps, le paysage se reboucle. Au carrefour près du pont, là où il devrait y avoir une route perpendiculaire menant ailleurs, c'est la même route qui se reproduit, une fois, deux fois, trois fois.
Arrive le premier Morlok. Une loque humaine. Un fou décoiffé. Il marche comme une poule désespérée.
Loin de la tentation, les revenants repentis errent. Ils ont des morsures sur l'épaule et longues sur la langue (que reste-t-il sous ces cicatrices ?) Leurs yeux s'exorbitent, pris dans le nœud du problème. Ils se sont battus contre mille et une nuits. Ils ont perdu les eaux, ils ont quitté leur propre tête, des rumeurs incongrues se glissent entre leurs vertèbres et l'ile du crâne est sous clef. La peur et la poussière sous les chapeaux de cristal. Mais l'horreur est partout, sauf sous les verrous.
Sans tabou ni tempête, tout a foutu le camp dans leur saison d'étoile, sur les trottoirs d'un ancien paradis, là où les rebelles de Pâques mènent une guerre secrète à leurs frères de sang. Une justice sauvage hante la cité atteinte de désobéissance civile. Ils marchent avec des ruses de serpent, comme des Indiens sur le sentier de naguère – la peur. Ils ont des suaires aux poches garnies de grenades lacryminelles.
Des chrysalides enragées qui se croyaient en légitime défense. Des perroquets Pavlov rendus à l'impuissance, seuls au monde. Des ombres blanches les poursuivent jusque dans les recoins de la caverne, camera oscura d'où sortent des paroles d'outre-tombe venues de disparus volontaires.
On rouvrira les goulags. On exorcisera leur cervelle. Ils coudront des sacs postaux dans des couvents de prostituées, derrière le brouillard empoisonné. (Derrière l'écran, il y a des choses insoupçonnables qui veulent nous dévorer tout cru.)
Leur nom a pris le train pour loin – à l'écart de leur identité. Ils gardent le silence – pour ne pas qu'il s'échappe, sans doute. Leur chair de violette se partage entre photographes tantriques. C'est la fin du sabbat et les shérifs dansent devant le musée. Adorer le dieu ou tenter le diable, ça se vaut bien : c'est toujours l'appel de la bête, c'est le gouffre : l'oiseau bleu et le dragon parlent la langue de l'inconnu. Les bulles du démon éclatent dans le mercure bouillant au centre de la comédie humaine.
Il ne faut pas avoir peur de la douleur. Si on ne bouge pas, on meurt. Nul n'est censé ignorer la loi de la pesanteur : quand tout a basculé, il faut réparer les engrenages.
— On peut quand même essayer de ne pas se faire tuer avant Noël, non ?!
— Volons plutôt une ambulance, fuyons cet hôpital et partons pour Cuba.


mercredi 21 février 2018

ALONE ON MOON / 15


Outrage avalé tout cru.
Penché au bord du monde, au bout de l'abime cul-de-sac, penché sur toi, monstre sucré, épiant tes rêves où errent des fantômes sans papiers, épiant le souffle de ta bouche, le souffle de la tempête et tes yeux effondrés, prêt à tomber de l'ordre quadrangulaire de Mondrian au chaos de Kandinsky, je regarde.
Les hommes ne regardent jamais assez l'intérieur du sexe des femmes.
Femme languide allongée, qui ne pense rien – que le chant des sirènes sur le cristal du champagne. Rêve en partance éternelle. Ton corps emplit la chambre et ta langue alanguie danse dans l'obscurité, là où le silence brise les oreilles un ballet assourdi.
Cesse donc de parfumer les portes de l'enfer, ça ne fait qu'aggraver les choses.
Quelque chose que tu sais sur moi te perturbe (sacrilège timide authentique, mais ton corps m'aime encore).
Et j'ai sondé tes seins, j'ai saisi leurs tétons, j'ai soupesé leurs frasques passées toutes inscrites par pesanteur (s'ils tombent, ne t'en fais pas, je serai toujours là pour les ramasser).
Gagnées par la contagion, mes instances profondes commencent à enfler.
Oh ! Toutes les étoiles tombent !
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Paysages mal fréquentés.
C'est la rentrée des glaces. Dans le marais, le vent souffle trois fois, atavique. Les oreilles amoureuses vont dans les prés fleuris à petits bonds, comme des faons.
Les yeux chassieux des chasseurs ont concassé le vide. Fierté gauloise. Dans les chasses d'eau de la ville absente, ils traquent les gibets aquatiques : échassiers et poissons d'Autriche, aurores humides et captures de sève.
Sur les territoires du vide indolore, féroces antipodes, des archevêques libidineux aux cris acrimonieux portent ostensiblement les gants rouges du diable. Avec eux, un cardinal infrarouge et un pape ultraviolet frappent d'hosties hostiles les parricides récidivistes qui égrènent des chansons pailletées alentour des arcs-en-ciel bitumeux.
Voraces, ils espèrent faire fortune en décrochant la lune. C'est l'enfance des dunes au pied des plages chevelues.
Sur la planète Shadok, ça sent le roussi : des minorités nuisibles déclenchent des alarmes, des femmes abattues envoient des signaux de fumier, alors que les élites libertines rattrapées par la date de péremption partent en voyage d'affaire entre cercles vicieux. Bipolaires ils sont.
Quand la nuit est américaine, l'océan plie.
Au Mont Saint-Michel, la marée noire avance à la vitesse d'un chwal au galop au grand dam des pays détergents. Zone d'ombre, pot au noir, triangle des Bermudes, mer des sargasses, c'est la mort du sable. Sous les pavés, l'épave. Comment recycler les oiseaux mazoutés ? Pourquoi la pompe ?
Des sinistrés en tempête alourdissent le bilan nauséabond de la nativité.
Le fossoyeur d'œufs durs a planté la lance de la torture le plus loin possible. Homme de l'ombre refroidi, transformé en écumoire des mers, il traverse le présage éperdu de charognards.
Des anagrammes nus dansent le cirque du printemps et la chambre écarlate.
Capturées par la pluie, démontées par la mer, vérolées pour l'hiver, les poupées ventriloques, tranquilles, se perdent en rêveries cannibales et en enfantillages meurtriers. Leurs bijoux essaient en vain de briller.


samedi 17 février 2018

ALONE ON MOON / 14


(Par respect des superstitions crétines, il n'y a pas de chapitre 13)
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Les animaux denturés
L'animal enchanté, l'inquiétant végétal, l'orchidée au calice licencieux… Et les papillons enchainés…
Le cygne noir, avec ses dents de marbre, avec ses dents en diagonale, hexagonales ou isocèles, je ne sais plus… (En losange et en nacre, en losange, oui, c'est ça, comme les anges.)
La limace masseuse et le macaque à toque. Le crocodile albinos mangeur de terre qui déjoue les allumettes friandes (et toutes ces dents gloutones !)
Dans la baie des Doux Nénés, on fait la chasse au merlan armoricain sur échasses et aux langoustes aux colliers de perles.
Des sons perturbent l'oreille interne du faucon, ils proviennent du vase d'argent de ses extases intérieures.
Des oisillons déshydratés et des grappes de chevaux cadenassés de rire.
Des poissons morts de soif et des chiens explosifs.
Quant aux flamants…… Les hérons et les flamants roses dorment sur une patte. On ne sait pas pourquoi. Dubillard nous dirait qu'ils gardent l'autre en réserve pour plus tard. Mais ça n'explique pas tout. Utilisent-ils de préférence la droite ou la gauche ? Y a-t-il des flamants gauchers ? Est-ce que de temps en temps ils changent de patte ? Et déjà, être rose, est-ce bien prudent, quand les chasseurs ont appris à nager et que los Canadairos volent bas.
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Une salade de morts-vivants
À table, je sers les dents sur un plateau, mais personne n'en mange.
Les dents de la verdeuse claquent inlassablement sur la salade.
Quand ils ont vu les couilles pataugeant dans le potage, les dineurs libidineux et leurs enfants mornes ont vomi leur bile d'érable indésirée. Hélas il y avait de l'ail.
Arrive la boisson : Gewurtz-Alzheimer, ce vin d'Alsace qui vous fait perdre la mémoire.
Arrive le dessert : des caramels liégeois dans des cornettes et une couvée de moustiquaires.
Chacun s'avide. Pendant que le col mange de la tarte, la cravate prend la cerise et laisse le gâteau.
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Braderie
À vendre : Une prothèse mammaire ayant très peu servi ; un fœtus en état de marche ; une clef à bougie (j'ai déjà vendu la mèche) ; un chat d'occasion ; une grenouille en solde ; bail à céder, pas de porte (dommage !) ; un crucifix à prix sacrifié ; des témoins ; des peaux de l'ours et la mienne (chèrement) ; un prêt-à-porter jamais porté ; un gant de seconde main…


jeudi 15 février 2018

ALONE ON MOON / 12

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L'ouverture des portes est programmée pour 6 heures.
Il faut ramasser les choux-fleurs avant qu'ils ne se mettent à courir précocement. Mais ils ne se laissent pas facilement approcher.
Le chat que tu as mis dehors gémit. Sa voix d'enfant mort-né acidifie l'espace neigeux. Il faut le rentrer, lui donner du lait d'abeille. Tu sors pourtant – dans la ruée du ciel. Il pleut comme un rapace, ta robe oxydée va être toute taggée et tu ne trouves pas de tapis. Tu regardes le ciel avide, mais il a déteint au lavage et les avions font des trous dans l'air : on voit toutes les coutures.
Demi-tour. Est-ce qu'il reste du café ?
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Basket
Tel un Indien amer sortant de sa réserve naturelle, il s'attaqua à mes baskets à coups de chauvesouris. Les coups pleuvaient comme vache qui rit et mes lacets, lassés, prirent la tangente. Mes semelles battaient le pavé avec rudesse. Je décidai alors de me faire pousser une moustache et d'émigrer en Australie où sont les kangourous et les eucalyptus de l'apocalypse.
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Que c'est triste les pays de lest.
La guerre froide a fini sur la chaise électrique. Le Danube n'est ni bleu ni beau. Dans ses profondeurs femelles, des monstres marins forment un cauchemar grotesque où se marient carpes et lapons. Les zombies de Tchernobyl et leurs chiens sans poils ont depuis longtemps perdu leurs eaux et de gros poissons fugitifs dansent au bal du jugement dernier.
Le désert est sanglant, la lumière est morbide. Sur ces territoires intermittents, le vent parcourt les steppes sans changement (l'espace les boit). Les landes sceptiques peuplées d'anacoluthes invertébrés sentent l'épicéa. Le ciel est gris comme un rat.
Sous l'étoile Absinthe, des architectures vindicatives se moquent du coucher de soleil. L'oxygène manque. La gloire passée a détraqué les balcons sans coup férir. Des somnambules marchent pieds nus au bord de l'asphyxie sous influence d'art contemporain. Des moteurs mal consciencieux râlent au pied des murs. Un chien-robot ronge un os d'acier.
Derrière les barreaux des prisons, on regarde une effeuilleuse aux seins verts qui danse sur une musique opératique d'une laideur révoltante. Un bandeau néon enserre son front, empêchant ses cheveux de tourner en boucle. Ses dents sont déboisées. Ses longs bas luisent. Une clarinette ennuyeuse l'accompagne, et sa langue alanguie flirte avec les guitares. (C'est bien trop sentimental.)
Un instant, ses seins poussent en fleurs, printaniers, s'épanouissent en été, fruits juteux. Puis tombent à l'automne. Ne reste que l'hiver squelette.
Shut up, sugar ! Allez vous-en, il n'y a personne à tuer, ici : nous sommes tous atteints de la maladie du bonheur.


lundi 12 février 2018

CHARLATÂNERIES

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Dans l'univers, il n'y a pas de mystères, il n'y a que du mal connu qui gagnerait à être connu. Tout appel au mystère ne fait qu'entraver la pensée.
Les origines de l'homme ? Les mêmes que celles du singe, du marsupilami, ou de la brosse à poils durs : le buissonnement de l'évolution.  L'infiniment grand et l'infiniment petit…? Rien d'autre que notre point-de-vue à nous Terriens. Le terme "infini" est une illusion fomentée par le langage.
Les molécules et les bactéries n'ont rien de mystérieux, elles sont juste très très petites et très très très nombreuses. Les insectes bizarres, oui, il y en a de très très bizarres (de notre point-de-vue humain) : la nature essaie tout, c'est un grand laboratoire OGM à ciel ouvert.
Les pyramides ? Pourquoi construire des pyramides ? Parce que c'est ce qu'il y a de plus con. Fatigant et long, certes, mais facile : pas de colonnes, pas de voutes : un gros tas. D'ailleurs, on ne les a pas construites, en fait, on les a taillées dans des montagnes qui étaient là avant. Le Sphinx, pareil.
Dans l'univers, quand on décèle quelque chose et qu'on ne sait pas ce que c'est, on le qualifie de noir : "Afrique noire", "continent noir" (la femme, selon Freud), "trou noir", "énergie noire", "matière noire". Mais la "matière noire", ça y est, les physiciens ont trouvé : c'est du caca.
Les ovnis ? L'appellation acronymique suggère des objets (solides, donc) – et qui volent, (comme des avions, donc). Abus de langage. "Phénomènes atmosphériques non identifiés" suffirait. Et sans doute naturels : leur forme se retrouve partout dans la nature, de la galaxie au nibard version œuf au plat. Roswell, c'est du bidon. Les aliens s'appellent tous Paul et parlent français comme tout le monde, mais avec l'accent de Phil Manœuvre.
Le "Big Bang", c'est une expression imagée inventée par un physicien britannique pour dénigrer la théorie d'un Univers qui tiendrait tout entier dans un point de convergence de dimension nulle et de densité infinie et ce en temps zéro… "singularité" qui est proprement une aberration rationnelle… ou une charlatânerie.
Les voyages dans le temps sont une fantaisie de l'imagination liée à la comparaison du temps avec une route : métaphore séduisante mais trompeuse. D'ailleurs, le temps, ça n'existe pas.
Pas de fantômes. L'idée que "l'âme" pourrait s'échapper du corps à la mort et continuer à exister "quelque part ailleurs" est une niaiserie née du dualisme et de la peur de la mort. Il n'y a pas de surnaturel, pas de paranormal, que de la paranoïa. Pas de métaphysique, que de la physique. Pas de mystères ni de miracles, ni de dieux, que de l'imagination.
Et c'est génial, l'imagination… mais en tant que : imagination.

Mais il y a aussi les exploiteurs/exploités de l'imagination : les complotistes.
(Dans les § qui suivent, le ! au bout de chaque phrase est obligatoire.)
• Stanley Kubrick est un con !
Le cinéaste, quand il a filmé en studio les astronautes américains pour faire croire qu'ils avaient mis le pied dans la bouse lunaire, était tellement con qu'il n'a pas pensé à faire des petits trous dans la toile de fond de décor pour qu'on croie à des étoiles, n'a pas pensé à lester le drapeau américain pour qu'il ne fasèye pas dans les courants d'air du studio et n'a pas pensé à fermer la porte des chiottes d'où provient une lumière parasite qui contrarie celle du clair de Terre ! Et tout ça en noir et blanc, alors que la pellicule couleur existait depuis longtemps ! On se demande encore si c'est bien lui qui a réalisé 2001, L'Odyssée de l'Espace !
• Les extraterrestres sont des cons !
Quand ils ont assassiné Kennedy, ils n'ont même pas pensé à utiliser un rayon laser qui l'aurait désintégré 100% sans laisser de traces ni de bouts de cervelle !
Par ailleurs, quand ils crashent une soucoupe volante, ils font ça tout exprès dans une zone militaire américaine !
• Les aviateurs producteurs de chemtrails sont des cons !
Ils s'évertuent à envoyer des polluants stérilisateurs dans l'atmosphère alors que le moindre agriculteur chimique fait ça tous les jours sans que personne ne le dénonce !
(Regardons plutôt La Mort aux trousses.)

Pour une nouvelle d'Olivier Ka, in Psikopat 272

vendredi 9 février 2018

ALONE ON MOON / 11


(La vérité n'a que peu à voir avec l'histoire, mais une fiction n'est pas un mensonge.)
Carnet de bal.
Le crabe sous hypnose, marchant du côté de chez Swann rencontra Marcel réincarné en cinéaste. À l'ombre des jeunes fils de fer, les enfants de Paris faisaient la queue d'atmosphère devant les portes de l'ennui.
Les héritages, parfois, sont pénibles : comment se partager une boite à musique, un carton à dessin, un balai de chiottes, un fusil à lunette, un entrechat ? Et les coffres pleins de mots ?
Don Juan est malade – souviens-toi !
Il est au bar, noir, noir démon, trafiquant d'étrange, avec une Amazone aux pieds bleus. Le zinc est incandescent et les tortures pleuvent par entrechats. Le monde a un son d'orgue Hammond orgueilleuse, les lumières tamisent des cocktails d'orangeades, amers comme un veau. Le barman, désinvolte, a bien trois yeux, comme prévu.
Évitez les pluies acides et les chutes de canards.
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Trouble in Paradise
« Un torrent surgi de son âme dévasta son subconscient… » Mais… Qu'est-ce que je raconte, moi ?!
Rien. Everything is absolutely NORMAL.
La plage est désertée, ma main aussi, la pluie s'écrase sur la nuit, le vent bouffle et je nage entre deux comas. Je jette un œil vague sur la mer en contrebas. (La mer est toujours en contrebas.) Les tsunamis se tiennent sages et les crabes attendent le déluge. (Ils sont si naïfs, les crabes.) Le sable est bleu comme un enfant. Au loin, Charybde oscille dans la brume hydrophile, les sirènes chantent, bien cachées, les poissons nagent entre deux eaux. (Pourtant, il n'y a qu'une eau, fluide habitant le monde dans toutes ses dimensions, à la forme de tous les creux, de l'océan unique à l'atmosphère unique, et terres, ruisseaux, rivières, lacs, glaciers, aventures souterraines, et jusqu'aux cuvettes de chiottes et nos vessies.) Les vagues sont lourdes sur la mer, elles n'iront nulle part – parce qu'il n'y a nulle part où aller : le monde est clos, l'océan est unique, tout autour de la Terre qu'on pourrait faire ronde.
Nous pensons sans cesse par début et fin. Nous pensons un fleuve de sa source à la mer, c'est une approximation trompeuse. La source, déjà, est une vue de l'esprit cartographique simplifiant : il y a la pluie, le ruissèlement, la rivière souterraine, etc.  Quant à "la mer"… ? Dans l'embouchure ou le delta, où finit le fleuve, où commence la mer ? (La carte, décidément, n'est pas le territoire.) L'eau du monde est un fluide non fini, continu, comme l'espace, comme le temps. (Nous, dans un but d'illusoire maitrise, nous adorons découper l'espace, le temps, les choses et les êtres en tout petits morceaux, en miettes conventionnelles.)
Ravagé de virages de vagues, je rentre à l'hôtel. Ne m'attendez pas.
Ceux qui, de retour à l'état sauvage, pénètreront dans la mer salée n'en reviendront pas. Ceux qui, aveuglés, pénètreront dans la caverne platonique n'en reviendront pas. Ceux qui, pieds enflés, pénètreront dans la grotte vénusienne où la sphinge pose ses énigmes n'en reviendront pas.
Moi, au bar, au son des mandolines, je boirai du champagne rose avec une paille assez large pour laisser passer toutes les bulles. Quelqu'un entrera me dire que le petit chat est mort. C'est triste, mais heureusement, Gina Lollobrigida a un décolleté généreux.
À qui nuit la beauté ?

dimanche 4 février 2018

ALONE ON MOON / 10


Des planctons électroluminescents se sont installés dans le lac. Ils empêchent les tanches de dormir.
Ça et les ablettes qui jouent un symposium font que la nuit passe trop vite et ne se retient pas, couverture écossaise, de laine légère et verte.
Des branches découpent le ciel, des racines le sol (déracinent le sol ?).
Les serpents rampent à sénestre. Vénéneuses sont leurs larmes. (Dis-moi ton secret, ophidien aléatoire !)
Les étoiles chantent Jeanne la Française avec des airs de fête foraine.
Des nains jardiniers entonnent un chœur de chants de brouette.
Je reste au dessus de l'horizon, au dessus de la ligne de flottaison.
Le plafond a fondu. Je ne dors pas et mon matelas s'ennuie – insomnuit.
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Obsèques obscènes.
Le roi des eaux est probablement dans sa tombe, recouvert de plumes colorées. Là, il fait noir comme dans une taupe, il fait froid comme dans un cadavre, mais il est vivant : il a juste besoin d'air et de soleil.
(Retransmise, l'image, aux nymphes hystériques, leurs croissants sauvages et leurs fourbes escarpins.)
•••
Des météorites en flammes s'échouent dans les Sargasses de l'automne.
Quand le grand visionneur revint de l'espace, il s'intégra comme une fleur dans les entrailles d'Ève – la velue. Il naquit peu après et prit le nom d'Adam. (Car, si vous ne le saviez pas et contrairement à ce qu'on raconte partout, Adam est né d'Ève, mère de toutes les sources.)
Il laboura les eaux de l'océan : il en poussa des poissons violents.
Il balaya les sables du désert : il en poussa des guitares à douze cordes et des flutes enchanteresses.
Il féconda le champ des vœux et n'en exauça aucun.
— Les dieux inexpérimentés créent des planètes lentes.
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Les archéologues, ivres d'alzheimer, explorent les vestiges, les épaves éparses du navire à la rive. Mais le temps passe plus vite qu'eux.
Dans les cimetières anciens, paysages sages, des gnomes avares ont leurs repaires.
Le soleil se couche sur les os, ardemment.
Les os… Ils sont censés préserver les morts : le souvenir n'en démord pas (mais les morts n'existent pas – par définition). Les architectures de pierre ne guérissent pas les sépultures et la paléontologie est un métier d'apocalypse.
Chacun s'affaire. Les céramiques antiques communient avec les racines des arbres. Les minotaures bâtissent des pyramides où Ariane file des étoiles. Les scarabées ne font pas exception : ils creusent des canyons angoissés et érigent des cercles de pierres stressées.
Du Paléozoïque au Protozoïque, les insultes résistent : c'est la tyrannie des âges.
Les archéologues en sont tout désordonnés : en allant se coucher (de bonne heure), ils laissent des vertiges partout : des fresques à ciel ouvert, des mosaïques ensablées, des statues de sel, des scories de crânes de plâtre, des momies enrubannant des princesses inconnues.
La sérendipité les sauve.
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