jeudi 13 mai 2010

Chez les Grecs


LO N° 374 (13 mai 10)

Il est accro, popol
Le temple grec (un chapiteau sur quelques colonnes) est partout : Bourse, chambre des députés, église de la Madeleine, tous les palais de justice, les temples protestants, le Capitole ou la Maison Blanche, le Vatican… Aucun motif architectural n'est aussi répandu dans les bâtiments officiels occidentaux, politiques, religieux ou financiers…
Et dedans, y a quoi ?
J'entre dans la Maison Carrée de Nîmes, je m'attends à des fresques, des dorures, une profusion d'objets de culte, et dedans, il n'y a RIEN. Une pièce vide sans aucun intérêt. Peut-être, dans l'antiquité, y a-t-il eu des fresques, une statue colossale de Minerve ou de Vénus, des trésors. Aujourd'hui, rien. Le temple est vide : Dieu, l'État, l'argent, tout a disparu. Et l'homme ? L'homme Samson s'arc-boute entre les colonnes et se prend le temple sur la tronche. Exit homo – et requiescat in pace.

« L'argent a les mêmes caractéristiques que Dieu : il est partout, il peut tout et il n'existe pas. » (Rufus Agnostyle Junior. "La Caverne à plateaux". Molinard, 1872)

Les Bourses font le yoyo, paraît-il. (Les miennes, je le savais, en fonction de la température). Là, maintenant, euphorie puis frilosité… en fonction de quoi ?… Euphorie, grâce à quoi…? Aux milliards "débloqués" pour sauver la Grèce, l'Euro, l'Europe… Qui débloque ? Où donc y avait-il des milliards bloqués ? Nulle part, c'est de l'argent emprunté "sur les marchés", donc sur la spéculation, emprunté aux banques, pour qu'un pays puisse rembourser ses dettes… c'est-à-dire ce qu'il a emprunté… où ça, à qui ?… euh… ben… aux banques… "sur les marchés"…


Et dire qu'on accuse toujours les zécolos de "peurs irrationnelles" ! Alors qu'on met des pays entiers, avec tous leurs habitants (des gens, vous savez…) à la merci de parasites prédateurs spéculateurs, de crétins congénitaux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur tableau de cotation, foule énervée en proie à des phénomènes de masse, anonyme, irresponsable, folle. On va dire "maniaco-dépressive" (ou bipolaire, comme on dit maintenant). En proie à des enthousiasmes et des dépressions irrationnels qui se potentialisent mutuellement.
Là encore, on voit des boucles de rétroaction positive : le principe de la Bourse, c'est que si quelque chose marche, il ne peut que marcher mieux, si quelque chose marche mal, il marchera plus mal. Les spéculateurs accordent leur confiance à une entreprise qui monte, ils achètent et donc ça monte encore plus. Ils n'ont pas confiance dans une entreprise qui baisse ?, donc ils jettent, ils vendent… donc ça baisse encore plus. Ex-action.
Autrement dit, ils enfoncent la tête de celui qui se noie et propulsent vers le haut celui qui savait déjà nager. Comme ça, sans penser à mal, juste parce que ça rapporte, parce que ça excite. Jeu de casino, jeux du cirque. Morituri te salutant.
Que ceci ne puisse que faire croître les inégalités, favoriser les concentrations, ne doit pas nous étonner. Augmenter la richesse des riches, augmenter la pauvreté des pauvres.
L'exemple de la Grèce est typique : la Grèce a du mal à payer ses dettes, du coup les cabinets d'évaluation lui mettent une mauvaise note, du coup un emprunt lui coûtera encore plus cher. C'est mettre une amende aux surendettés.
D'où plongeon – de la fenêtre du sixième étage de préférence – ou du haut de l'Acropole. La Grèce sera bientôt un "pays du tiers-monde", comme on appelait ça il y a encore peu.

« On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir. » (Cioran. "De l'inconvénient d'être né".)

Quand est-ce qu'on ferme les Bourses ?
Et les banques ?
Et les traders au feu ?
Parce qu'il ne s'agit pas de corruption ou de dérive anecdotique qu'on peut corriger en tapant sur les doigts de quelques madoffs ou kerviels. Les pratiques financières dans leur ensemble sont de toute façon de l'ordre de l'abus de bien sociaux, de l'escroquerie organisée, mafieuse. Ce n'est pas une déviance immorale du système, ce n'est pas de la corruption, c'est l'essence même du commerce financier : celui des traders, assureurs, avocats d'affaire, banquiers prêteurs sur le futur. On ne les réformera pas.
— Qu'en faire, alors, les tuer ?
— Mieux : les étriper un à un avec un vieux couteau rouillé, les laisser agoniser des heures sous un soleil brûlant, attirer des colonies de fourmis pour grignoter leurs entrailles étalées sur le sol poussiéreux. Ce n'est qu'après le trépas du dernier de ces infâmes personnages qu'il sera temps de se demander "Que faire maintenant ?" (Citation éhontée de je ne sais pas qui.)
— Un bombardement d'astéroïdes bien ciblé serait peut-être moins coûteux.
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Pour piger tout ça avec beaucoup plus de détails techniques, je ne peux que conseiller la lecture de Bernard Maris dans Charlie Hebdo, Frédéric Lordon dans Le Monde Diplomatique, ou Paul Jorion sur son blog.
http://www.pauljorion.com/blog/

Et puis, sous forme d'un PDF, et avec l'autorisation de l'auteur, je vous retransmettrai, si vous me le demandez, tel que je l'ai reçu, (c'est parce que je ne sais pas comment joindre un PDF) un texte de Pierre Auréjac, (retraité de la Caisse des Dépôts), qui m'a été communiqué par un-e de mes lecteurs-trices. Précis, informé, pédagogique… et néanmoins mordant !


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