mardi 29 juin 2010

PHILO


LO N° 389 (29 06 10)

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES SUJETS DU BAC PHILO 2010
(C'est un peu long, et y aura pas de dessins… mais je ne veux pas séparer, parce qu'il y a des prolongements d'une série à l'autre… Ça cause de justice, de règles, de loi, de morale, c'est donc totalement d'actualité. Alors courage. Une épreuve du Bac, on a trois heures devant soi, de toute façon…)
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Série scientifique :
1er sujet : L’art peut-il se passer de règles ?
— L'art, sans doute, mais l'artiste sûrement pas. (Surtout pour tracer les cases de ses BD).

2ème sujet : Dépend-il de nous d’être heureux ?
— C'est qui, nous ? C'est quoi, heureux ?

3ème sujet : Expliquer le texte suivant : (Hobbes, Léviathan. La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.)

# L’ignorance des causes et de la constitution originaire du droit, de l’équité, de la loi et de la justice conduit les gens à faire de la coutume et de l’exemple la règle de leurs actions, de telle sorte qu’ils pensent qu’une chose est injuste quand elle est punie par la coutume, et qu’une chose est juste quand ils peuvent montrer par l’exemple qu’elle n’est pas punissable et qu’on l’approuve. […]
— Après plusieurs lectures, je crois qu'il veut dire que "les gens" ("nous" ? "on" ?) préfèrent les règles traditionnelles (non dites, non écrites : l'habitus) à la Loi officielle, et ce parce qu'ils ignorent comment les lois sont fabriquées. (Mais c'est ce point qui mériterait d'être développé : la question des lois religieuses, en particulier).
Ils sont pareils aux petits enfants qui n’ont d’autre règle des bonnes et des mauvaises manières que la correction infligée par leurs parents et par leurs maîtres, (la peur du gendarme) à ceci près que les enfants se tiennent constamment à leur règle (!!! ah oui ??? Il a peut-être pas eu d'enfants, lui…), ce que ne font pas les adultes parce que, devenus forts et obstinés, ils en appellent de la coutume à la raison, et de la raison à la coutume, comme cela les sert, s’éloignant de la coutume quand leur intérêt le requiert et combattant la raison aussi souvent qu’elle va contre eux.
— En gros, par égoïsme ou anti-autoritarisme, chacun choisit la règle qui l'arrange, coutume ou loi ou rien du tout, selon les circonstances et tant qu'il ne risque pas de punition.
C’est pourquoi la doctrine du juste et de l’injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et par l’épée.
— Yes. Parce qu'il n'y a pas d'absolu, dans ce domaine, seulement des règles et lois locales (lieu et époque), donc discutables (relativisme).
Ce qui n’est pas le cas de la doctrine des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n’intéresse pas les gens, attendu qu’elle ne s’oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui concerne la doctrine selon laquelle "les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles d’un carré", si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu’un, ou à l’intérêt de ceux qui dominent, je ne doute pas qu’elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait eu intérêt. #
— En principe, oui, la géométrie représente un absolu, et, toujours en principe, les sciences en général. Mais en réalité bien entendu c'est faux : Galilée ou Giordano Bruno en témoignent. Les empoignades entre partisans de la thèse du réchauffement climatique d'origine humaine et climato-sceptiques en témoignent aussi. Entre les darwiniste et les créationnistes, aussi. Les filles d'Afghanistan qui veulent aller à l'école, aussi.
Sans compter que depuis l'invention de la relativité, des quantas, etc., nous marchons dans les sables mouvants du principe d'incertitude de Heisenberg, ce qui fait que même la géométrie n'est plus sûre.
(Sans qu'une connaissance de la doctrine de Hobbes soit requise, on peut se rappeler quand même qu'il date du XVII° siècle)
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Récréation (en rapport avec le sujet précédent, quand même) : Deux vaches sont au pré. L'une se tourne vers l'autre et dit : « Quoique le nombre pi soit généralement abrégé à cinq unités après la virgule, en fait il va à l'infini. » La seconde lui répond : « Meuh. » (Thomas Cathcart et Daniel Klein "Platon et son ornithorynque entrent dans un bar – La Philosophie expliquée par les blagues [sans blague ?]")
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Série économique et sociale :
1er sujet : Une vérité scientifique peut-elle être dangereuse ?
— Ça prolonge assez bien la question précédente sur l'impact moral ou politique des règles de la géométrie. Donc, bien sûr, oui, soit par les luttes de pouvoir que cette vérité entraîne, soit par ses conséquences sous forme d'applications techniques et/ou guerrières. Citer la bombe atomique est évident. Le réchauffement climatique aussi.

2ème sujet : Le rôle de l'historien est-il de juger ?
— Ce n'est peut-être pas son rôle officiel, mais comment pourrait-il en être autrement ? L'objectivité n'existe pas, on peut juste s'y efforcer. Commencer par établir au mieux des faits, d'accord, mettre à plat, sans préjugés. Ensuite, porter un jugement ou émettre une opinion sur la qualité de tel ou tel personnage historique, sur le bien et le mal dans tel fait historique, pourquoi pas ? (Sinon, d'ailleurs, à quoi bon faire de l'Histoire ?) (Petit exercice supplémentaire : le flash-back d'anticipation = faire raconter notre époque par un habitant de l'an 2100).

3ème sujet : Expliquez le texte suivant : (Durkheim, L’éducation morale)
# La morale de notre temps est fixée dans ses lignes essentielles, au moment où nous naissons (nous voilà en quelque sorte dans ce que le texte de Hobbes, appelait "la coutume", mais il peut s'agir aussi de la morale religieuse qui est quelque part entre coutume et "loi" ou inclut les deux : Durkheim parle par ailleurs de "conscience commune") ; les changements qu’elle subit au cours d’une existence individuelle, ceux, par conséquent, auxquels chacun de nous peut participer sont infiniment restreints. Car les grandes transformations morales supposent toujours beaucoup de temps. De plus, nous ne sommes qu’une des innombrables unités qui y collaborent. Notre apport personnel n’est donc jamais qu’un facteur infime de la résultante complexe dans laquelle il disparaît anonyme.
— Tout cela est juste, et très intéressant, parce que pour une fois, on ne regarde pas la morale comme une question soit transcendante (venue de Dieu) soit purement personnelle : on prend en compte les grands mouvements mentaux collectifs qui se passent dans le "nous", dans le "on", au delà de l'individu, mais l'individu y participant, consciemment ou non. Participation surtout passive, sans doute, parce que, dès la naissance, je suis imprégné de la morale de ce temps, mais participation quand même : par mon vécu, mes choix inconscients ou conscients, mes prises de position, combinées avec celles des autres, tous les autres, avec les faits politiques, etc. Alors, même si je ne me rends pas compte de mon propre apport personnel au sein de la complexité humaine de l'époque, je sais que je suis une de ces gouttes d'eau.
Ainsi, on ne peut pas ne pas reconnaître que, si la règle morale est œuvre collective, nous la recevons beaucoup plus que nous ne la faisons. Notre attitude est beaucoup plus passive qu’active. Nous sommes agis plus que nous n’agissons. Or, cette passivité est en contradiction avec une tendance actuelle, et qui devient tous les jours plus forte, de la conscience morale. En effet, un des axiomes fondamentaux de notre morale, on pourrait même dire l’axiome fondamental, c’est que la personne humaine est la chose sainte par excellence ; c’est qu’elle a droit au respect que le croyant de toutes les religions réserve à son dieu ; et c’est ce que nous exprimons nous-mêmes, quand nous faisons de l’idée d’humanité la fin et la raison d’être de la patrie. En vertu de ce principe, toute espèce d’empiètement sur notre for intérieur nous apparaît comme immorale, puisque c’est une violence faite à notre autonomie personnelle. Tout le monde, aujourd’hui, reconnaît, au moins en théorie, que jamais, en aucun cas, une manière déterminée de penser ne doit nous être imposée obligatoirement, fût-ce au nom d’une autorité morale.
— Mais donc, cet individu individualiste décrit ici, participe aussi activement au changement moral. Cette "tendance actuelle de la conscience morale", qui se traduit par un humanisme individualiste qui ne supporte pas l'imposition d'une règle extérieure, "fût-ce au nom d’une autorité morale", représente bel et bien une nouvelle morale. Laquelle s'est imposée "toute seule" : aucune autorité ne nous a imposé de ne plus rien nous laisser imposer. (Désobéissez ! – c'est un ordre !). Noter quand même que l'auteur nous parle d'imposer ou non "une manière déterminée de penser", et que la morale, au delà de penser, c'est agir, et agir avec et envers les autres. La liberté de penser individualiste, ce n'est pas se conduire n'importe comment en société. Nous (maintenant, fin XX°, début XXI°) sommes dans cette confusion.
(Là encore, il peut être bon de se rappeler que Durkheim a vécu entre 1858 et 1917, et qu'il est considéré comme l'inventeur de la sociologie. "L'Education morale" date de 1903)

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Récréation : Moïse redescend du Mont Sinaï, portant les tables de la loi. Il annonce à son peuple : « J'ai une bonne et une mauvaise nouvelles. La bonne c'est que j'ai réussi à négocier les commandements : il n'y en a plus de dix. La mauvaise, c'est que l'adultère est toujours dedans. » (Thomas Cathcart et Daniel Klein "Platon et son ornithorynque entrent dans un bar – La Philosophie expliquée par les blagues [sans blague ?]")
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Série littéraire :
1er sujet : La recherche de la vérité peut-elle être désintéressée ?
— Oh oui, bien sûr… si tant est qu'il existe une seule action humaine qui soit désintéressée. Par contre, sur le concept de "vérité", j'ai des doutes.
« La philosophie, j'en fais pour le plaisir mais j'en ferais pas mon métier.
— C'est payé mes couilles, en plus. » (Brève de comptoir, tome 6, 1997)

2ème sujet : Faut-il oublier le passé pour se donner un avenir ?
— Là, nous voilà dans le prolongement de la question sur les jugements portés ou non par les historiens. peut-être que, justement, pour se donner un avenir, il faut connaître le passé, l'Histoire, et porter un jugement sur elle.

3ème sujet : Expliquez le texte suivant : Thomas d'Aquin, Somme théologique. (Là on remonte au XIII° siècle).
# Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l'infini, il a toujours été impossible d'instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. (Tiens, comme par hasard, nous voici encore dans des questions de morale, de loi et de relativisme.) Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont établi des lois en ce sens. (Les lois concernent "ce qui se produit le plus souvent" : on ne fait pas une loi pour chaque cas particulier.)
Cependant, en certains cas, les observer va contre l'égalité de la justice, et contre le bien commun, visés par la loi. Ainsi, la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce que cela est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un fou a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu'un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d'autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d'obéir aux exigences de la justice et du bien public. C'est à cela que sert l'équité. Aussi est-il clair que l'équité est une vertu. L'équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s'oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l'exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c'est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. Aussi est-il dit dans le Code (1) : « II n'y a pas de doute qu'on pèche contre la loi si, en s'attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur ». II juge de la loi celui qui dit qu'elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d'un cas déterminé qui se présente. #
1 Il s'agit du Code publié par Justinien en 529 : il contient la plus grande somme connue de droit romain antique.
— A priori, je ne peux qu'approuver : le "mal" provient souvent de l'obéissance aveugle à la loi, à l'ordre établi, à l'autorité. Désobéir à la loi établie pour, dans un cas particulier, faire mieux que la loi établie. Après, le problème va être celui du jugement de chacun : conscience, sens critique, anticipation des conséquences, sens des responsabilités… et capacité à désobéir ! (Exercice supplémentaire : cherchez des exemples contemporains.)

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Récréation : Avant d'ouvrir un procès, le juge convoque les avocats des deux parties opposées et leur dit : « Nous avons un problème : l'un comme l'autre, vous avez tenté de me corrompre. Vous, maître Croquignol, vous m'avez donné 15 000 euros. Et vous, maître Filochard, 10 000 euros. » Il sort alors son carnet de chèque et donne à maître Croquignol un chèque de 5 000 euros. Il conclut : « Maintenant vous êtes à égalité et je vais pouvoir juger cette affaire strictement selon la justice. » (Thomas Cathcart et Daniel Klein "Platon et son ornithorynque entrent dans un bar – La Philosophie expliquée par les blagues [sans blague ?]")
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« Dans le Code Pénal, y a tout !
— Pas bouffer les gosses ?
— Oui, bien sûr.
— Pas chier au lit ?
— Ah non, pas ça !
— Y a pas tout, alors. » (Brève de comptoir, tome 4, 1995)
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