PENDANT LES INFOS, L'ACTU CONTINUE

LO N°411 (22/09/10)

••••••••••

— La France connaît un pic de fausses alertes à la bombe et de menaces touristiques : Murakami au château de Versailles, Julia Roberts à Canal +, des Roms un peu partout…

— Qu'est-ce que ça serait si en plus ils étaient de gauche !…

— N'empêche, moi, en ce moment, je serais issu de l'immigration africaine, je m'empresserais de brûler quelques bagnoles, parce que y en a plus que pour les Roms ! Faudrait pas nous oublier !

— … sans compter les tziganes, les gitans, les manouches, les romanichels, les AQMI, les houellebeck, les vacanciers de septembre (des vieux), le pape à Londres…

— Mais Londres, c'est pas en France !

— Et le Niger, c'est pas en France, peut-être ?

— Le Niger, c'est en Arevance. (« Sans l'uranium du Niger, un quart de la France serait sans lumière », disait-on à la télé ce matin.)

— Miracle en Vendée : 184 maisons sont sorties des "zones noires".

— Ça fout la trouille, quand même.

— Et les bios qui se glissent partout, ça te fait pas peur ?

http://www.liberation.fr/societe/01012288603-de-tres-bioslocaterres

••••••••••

LE PAKISTAN EXISTE-T-IL ?

— Pourquoi l'Église a-t-elle réagi aux expulsions de Roms, alors que pour les africains, maghrébins et autres, elle ne disait rien ?

— Parce que les Roms sont chrétiens.

— Pourquoi l'Union Européenne a-t-elle réagi aux expulsions de Roms, alors que pour les africains, maghrébins et autres, elle ne disait rien ?

— Parce que les Roms sont européens.

— Pourquoi les dons post-inondation au Pakistan sont-ils minables, contrairement à ce qui s'est passé lors du tsunami de l'Océan Indien, ou le séisme d'Haïti ?

— Parce que c'est des bougnoules musulmans bourrés de talibans al-Qaïdians très méchants avec des femmes sous burqa droguées au pavot.

— Parce que là-bas il n'y a pas de plages, donc pas d'hôtels de luxe, de touristes (avec caméras), de jolies filles.

— Parce que en Haïti, on parle vaguement français.

— Et puis de vieilles américaines y vont (enfin… y allaient) se faire sauter par de jeunes blacks.

— Et puis y a des bananes, du cacao, du pétrole…

••••••••••

••••••••••

L'ACTU

Faut faire vite, parce que ça a tendance à tomber vite dans l'abdomen public.

Le problème c'est d'échapper au présent. Je veux dire au présent court, quotidien : l'actu. Parce que, pour peu que l'on suive un quotidien, deux ou trois hebdos, deux ou trois mensuels, plus, tous les jours, quelques infos radio, télé… et quelques blogs… on est… "surinformé" ?

Non pas vraiment : on est saturé des mêmes informations, annoncées de la même façon, souvent dans le même ordre, copié-collé des dépêches AFP, et commentées de la même façon. Ça tourne en rond. Le consensus est de plus en plus consensuel. Contre la doxa officielle, la doxa contestataire. Exemple, les évacuations de Roms comparées à la France de Vichy. Même si ça sonne juste, c'est devenu en quelques jours une telle idée toute faite, un tel cliché anti-sarkozyste qu'il y en a marre. L'antisarkozysme lui-même est devenu le politiquement-moralement correct.

L'antisarkozysme est une nécessité, mais ce n'est pas un projet de société.

Il devient très difficile de commenter l'actualité, dans ces conditions : tout le monde le fait, sur les mêmes sujets et avec le même ton. Les faits ont disparu sous les commentaires. Viennent les commentaires des commentaires et les commentaires des commentaires des commentaires…

Le monde est bien celui décrit par Baudrillard, où le réel a disparu : « L'information n'est pas le savoir, c'est le faire-savoir, auquel correspond le faire-semblant de savoir. »

Image

Pluie ou poignée de graviers lancée sur l'étang : les ronds dans l'eau se croisent et s'entrecroisent, multiples cellules d'ondes concentriques multipliées par les réflexions sur les rives fermées, rivales. Vaguelettes qui se battent, se rompent les unes les autres, s'annulent mutuellement, ou, moments de hasard des entrecroisements, s'amplifient mutuellement pour un temps comme les soldats au pas sur un pont émettent une vibration capable de le rompre. Résultat : mouvement brownien, brouillé, agitation vaine, chaos.

Information informe. Brouillon de culture. On se noie dans un lac de redondances, eau barattée, agitée mais non agissante. Lac, non fleuve. L'eau bouillonnante ne va nulle part : vapeur.

Ça peut donner envie de passer à l'ennemi, juste par esprit de contradiction, pour sortir de la convention.

Ou de laisser tomber… se complaire dans le nihilisme, se passionner pour la collection de porte-clefs, ou se monter une cave de vins fins. Aller à la pêche ? Non ça laisse la tête trop libre de vagabonder, ça laisser trop penser.

Reste quoi ? Prendre ou garder la distance, voir plus large, étaler sa pensée dans le temps long, en arrière/en avant, passé/avenir, histoire/anticipation. Et aussi latéralement : la science, pas le dernier gène pointé par "une étude"… la philosophie, pas Onfray contre Freud… la littérature, pas Houellebecq… l'art, pas Murakami à Versailles… les relations entre nomades et sédentaires, pas les Roms… l'écologie terrestre, pas Ushuaïa…

Sur l'étang lisse, calme, au petit matin, la pierre plate finement lancée ne coulera qu'après avoir fait d'intelligents ricochets. Qu'elle coule donc : son œuvre est accomplie, œuvre neuve, non copie de copie de copie.

Ou alors : quitter le lac, rompre ou déborder les digues, et déferler. Jusqu'à la mer. (La mer non plus ne va nulle part, mais ses brassées sont longues.) Et nager sans repères.

••••••••••

••••••••••

« Une femme n'est belle que si elle est nue sous ses vêtements. » (Jean Baudrillard) (Sorti de son contexte, ça fait un peu vieux cochon. Mon honnêteté foncière m'oblige à citer la suite, une des courtes entrées des "Cool memories"  : « Une femme n'est belle que si elle est nue sous ses vêtements. Une pensée n'est belle que si elle est nue sous le langage. C'est à dire violente. Chaque phrase est l'étincelle d'une volonté de puissance. »… mais faut avouer que parfois Baubau a des phrases qui ne sont là que pour faire des phrases…