LO N°413 (05/10/10)
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PETITESSE ET SERVITUDE
« Le problème actuel de la classe politique, c'est qu'il ne s'agit plus de gouverner, mais d'entretenir l'hallucination du pouvoir, ce qui exige des talents très particuliers. Produire le pouvoir comme une illusion, c'est comme jongler avec des capitaux flottants, c'est comme danser devant un miroir.
Et s'il n'y a plus de pouvoir, c'est que toute la société est passée du côté de la servitude volontaire. Cette mystérieuse figure, sur laquelle on s'est interrogé depuis le XVI° siècle, n'est plus un mystère désormais, puisqu'elle est devenue la règle générale. Mais d'une façon étrange : non plus comme volonté d'être serf, mais comme chacun devenu serf de sa propre volonté. Sommé de vouloir, de pouvoir, de savoir, d'agir, de réussir, chacun s'est plié à tout cela, et la visée du politique a parfaitement réussi : chacun de nous est devenu un système asservi, auto-asservi, ayant investi toute sa liberté dans la volonté folle de tirer le maximum de lui-même.
Mais alors le pouvoir n'a plus de sens, puisqu'il n'y a plus besoin de lui pour perpétuer cette forme mystérieuse qu'est la servitude volontaire. À partir du moment où le pouvoir n'est plus l'hypostase*, la transfiguration de la servitude et que celle-ci est parfaitement diffuse dans la société, alors il n'a plus qu'à crever comme une fonction inutile. »
(Jean Baudrillard, "Cool Memories", T.2, 1987-1990)
* Hypostase :
[théologie] Terme désignant chacune des trois personnes de la trinité (le père, le fils, le saint esprit), considérées comme substantiellement distinctes.
[philosophie] Substance, sujet.
[médecine] Dépôt de sang dans les parties basses des poumons, dépôt d'urine, etc.
[linguistique] Substitution d'une catégorie grammaticale à une autre. Ex.: Un nom propre devenant un nom commun : un harpagon. ou un verbe devenant un nom : le boire et le manger.
Euh… à votre choix.
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Pour en savoir plus sur la servitude volontaire, il n'est que de lire La Boétie "Discours de la servitude volontaire" – justement. En version "français moderne" chez Mille.et.une.nuits, tout petit bouquin qu'on peut garder dans sa poche, ça peut toujours servir.
On y trouve par ex. : « Or ce tyran seul, il n'est pas besoin de la combattre, ni de l'abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente pas à la servitude. » (C'est tout simple, non ?)
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Mais se rappeler que : « L'esclavage est une très mauvaise préparation à l'exercice de la liberté. » (Anthony Trollope. The West Indies. 1860. Extrait du Dictionnaire de la bêtise, de Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière. R. Laffont.)
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Une autre de Jean-Baud : « L'arbitraire du prince vient de ce qu'il condense en lui tout l'arbitraire épars et diffus dans la société, si bien que celle-ci en est délivrée. Si l'arbitraire n'est pas concentré au sommet, il est partout dans la société : ainsi en est-il dans l'état démocratique, où l'arbitraire est diffus et endémique… » (Si ça vous semble écrit à la va comme j'te pousse, c'est que les "Cool Memories" sont des sortes de notes rapides, désinvoltes, un peu comme un blog.)
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D'abord, tu dis « Non ! Pas lui ! », ou « La grippe A, rien à foutre ! », ou « Dieu ? bof… »
Et puis "ceux-là" ("lui", la grippe A ou de saison, "Dieu") insistent, se manifestent quotidiennement, te travaillent au corps. Travaillent particulièrement à te faire peur.
Arrivé à un certain degré de peur, tu es mûr. Quelque part, une voix te dit : « Et si…? — Et si c'était "lui" qui pouvait sauver le pays du marasme…? — Et si la grippe A était vraiment dangereuse… et le vaccin pas tellement…? — Et si Dieu existait… et si, après la mort… paradis… enfer…? Après tout… ça mange pas de pain… »
Et voilà : tu te retrouves à voter Nanozy, à te faire vachiner, à te faire bêptiser ou extrême-oindre – parce que, hein, on sait jamais…
C'est comme ça que ça marche…
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Face aux démolitions orchestrées systématiquement à coup de recettes empoisonnées par le pouvoir Tzarkoziste, des directeurs d'hôpitaux, des maires, des présidents de tribunaux, des directeurs d'écoles ou de collèges, des postes, des commissaires de police (et quelques membres du gouvernement)… menacent de démissionner.
MAIS QU'ILS LE FASSENT, NOM DE PROUT !
On dirait qu'ils ne se rendent pas compte de la puissance qu'ils ont entre les mains. Là où d'autres, des petits (employés, ouvriers) font grève ou manif, parfois avec succès, parfois non, eux, les chefs, les directeurs, les élus, ont un moyen de pression énorme – à condition de le faire trous ensemble ! Imaginez : un millier de Maires qui démissionnent tous ensemble pour protester contre la suppression de la taxe professionnelle ! La moitié des directeurs d'hôpitaux qui démissionnent ensemble pour protester contre le démantèlement de l'hôpital public ! Les trois quarts des présidents de tribunaux ! Les recteurs d'universités………
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L'ESPOIRANCE
L'espoir, l'espérance : une des sources de la servitude. Si tu manques de ceci ou cela, si tu n'as plus de boulot, plus de pouvoirdachat, des enfants frappadingues, plus de sécu, plus de retraite, plus de poissons, d'air pur, d'eau, d'ours, il te reste l'Espoir. Mieux : L'ESPÉRANCE – vertu théologale.
"L'espoir fait vivre". Et "tant qu'y a d'la vie, y a d'l'espoir." Ouais………
Tu es maintenu vivant – et travaillant et consommant – par l'espoir. "Un jour, bientôt, tout ira mieux, on rasera les lendemains gratis en chantant, et si c'est pas de ton vivant, ça sera pour après : on ira tous au paradis, la mort n'est qu'un passage, etc."
Mais « Les lâches vivent d'espoir. » (J.P. Sartre)
Mais « Il n'est pire servitude que l'espoir d'être heureux. » (Carlos Fuentes)
Mais « Qui n'a plus d'espoir n'aura plus de regrets. » (Shakespeare)
Mais « Espoir, vertu d'esclave. » (Shakespeare aussi, je crois.)
Mais « On ne peut parler et communiquer avec un être asservi. » (Albert Camus, "L'Homme révolté")
Et Jean-Claude Carrière, dans "Fragilité", titre un chapitre "Cet obscur besoin de subir". Et dit aussi : « Mais comment soigner une foule ? »
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Plutôt que dans l'espérance, la réponse à la servitude volontaire est peut-être dans la désobéissance civile… ou civique.
On en parle fort dans FAUCHEURS VOLONTAIRES, le livre préparé depuis deux ans avec amour par Les Dessin'Acteurs et qui vient de sortir : ce samedi 2 octobre au petit matin, au festival BD de Vitry-le-François (Champagne !), j'ai été le troisième être humain sur cette planète à le tenir en main, l'ami Dominique ex-Lidwine l'ayant récupéré chez le relieur la veille !
Lecture (dense tant en textes qu'en images) recommandée ! Pour les témoignages humains et la démonstration de recherche de cohérence, tant dans la démarche des FV que dans le concept du livre. (Pour le moment, il n'y a que peu d'infos sur le site des Dessin'Acteurs, mais je suppose que ça va venir.)
Pour ma part je n'y ai pas dessiné, mais abondamment photoshopé les photos des FV et fait quelques mises en couleurs sur quelques dessins des autres.
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La Boétie. "Discours de la servitude volontaire" (1001 nuits)
Pierre Kropotkine. "La morale anarchiste" (1001 nuits)
Thoreau. "La désobéissance civile" (1001 nuits)
Proudhon, Bakounine, Kropotkine. "La Révolution libertaire". Textes choisis et présentés par Philippe & Michael Paraire (Editions de l'Épervier)
Marshall Sahlins. "La nature humaine, une illusion occidentale" (Terra cognita. Ed de l'éclat)
J.C. Carrière "Fragilité" (Odile Jacob)
Collectif. "Faucheurs Volontaires". Cartonné 25x25, 120 pages couleurs. Textes, témoignages, photos, illustrations, bandes dessinées, par 45 auteurs et une centaine de Faucheurs. (Les Dessin'Acteurs. 16 euros) www.dessinacteurs.org
http://attac-toulouse.org/spip.php?article1279&artsuite=0
http://www.cinemas-utopia.org/toulouse/index.php?id=1103&mode=film
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