dimanche 2 mars 2014

TÉLÉOLOGIE


Georg Simmel est l'auteur du concept de "série téléologique" : série d'actions enchainées vers un but.
Téléologie (à ne pas confondre avec la théologie). Définition usuelle : "l'étude des fins"... "Télos" traduit le grec "fin", dans le sens de finalité, but. Cela peut prendre l'aspect d'une doctrine philosophique selon laquelle toute chose, toute forme a une finalité. Dans une définition plus moderne, on parlera de :
 "science des processus de finalisation ou comment, en fonctionnant et en se transformant, et en se formant des représentations de leurs comportements (informés, et par là, informant), les systèmes élaborent en permanence leurs propres processus de finalisation." Formule assez abstruse, certes, mais il faut dire que là, on entre dans le domaine de la complexité, l'étude des systèmes, l'information, la cybernétique… Je n'irai pas plus loin, sauf pour citer J. Ladrière : « C'est une téléologie qui se construit. Il n'y a pas un télos posé à l'avance, il y a comme un processus d'apprentissage à la faveur duquel une démarche d'abord tâtonnante réussit à dessiner de façon de plus en plus précise son propre cheminement. Un processus interne d'auto finalisation. »
 Ce qui m'intéresse particulièrement, là, c'est que ces finalités d'un système (individu, État, espèce…) ne sont pas forcément conscientes, elles ne se confondent pas avec les buts consciemment et volontairement définis par les acteurs du système en question. On pourra donc parler d'un finalisme aveugle, même si ça semble paradoxal…)
Un État est un groupe humain survivant aux décès successifs de ses membres et leur remplacement par des nouveaux, comme une espèce est un ensemble animal, humain ou végétal survivant aux décès successifs de ses membres et leur remplacement par des nouveaux, comme un individu est une entité survivant aux décès successifs de ses cellules et leur remplacement par de nouvelles. Aussi, il faut penser un État, une espèce ou un individu non comme des choses ou des états statiques, mais comme des processus s'étendant dans la durée, formant "série téléologique".
À part que l'idée de but (fin, finalité, projet, but conscient) n'est pas si évidente. Quel est le but d'un État, d'une espèce, d'un individu ? Le but de la Vie, de la Nature ? Le but n'est-il pas seulement : être et durer, c'est-à-dire exister le long du temps, persister – sans fin… c'est-à-dire sans but ?
Sauf, chez les humains, pour qui croit au divin, le but, la fin (aux deux sens, finalité et finitude) c'est "l'après la mort" – paradis avec angelots à cul nu ou 11000 vierges…
Pour la civilisation de la même foi, l'équivalent collectif à cette mort/paradis est l'apocalypse : la révélation de "l'après la fin du monde terrestre" : parousie, Jérusalem céleste, point Oméga… (Ce qui correspond à la téléologie vue par la philosophie spéculative classique : cette fin, sous forme de cause finale, est au-delà du connaissable, en Dieu.)
Sur un plan plus concret, la nôtre civilisation est braquée sur l'idée de Progrès : ce n'est pas vraiment un but au sens de fin, rupture et passage dans une autre réalité, mais on peut quand même parler de téléologie dans le sens de tension vers un futur imaginé, projeté : toujours plus beau toujours plus mieux, à l'infini. Une pure dynamique, en fait, tirée en avant par une projection collective personnelle et impersonnelle plus ou moins nette, un fantasme du mieux et du plus, et donc peut-être bien tout aussi mystique et mythique que le précédent concept religieux avec arrière-monde à la clef.
L'État est-il lui aussi établi dans cette tension vers le mieux ? Pas sûr. Théoriquement, idéalement, oui… mais en réalité…? (Penser à demander à un homme politique quel est le but de l'État…)
Quant à une espèce, il n'y a pour elle aucun projet, aucun but, aucune fin. Cela dure, cela continue, se développe s'il y a de la place, se restreint s'il y a un manque dans le contexte, disparait s'il y a un gros manque, ou un gros trop… À part que l'évolution peut être vue comme une série téléologique, un processus interne d'auto finalisation – non conscient, impersonnel. Finalisme aveugle.
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