mercredi 13 janvier 2016

Je suis toujours Charlie


La lecture du Charlie Hebdo N°1224 (le numéro anniversaire tiré à un million d'exemplaires, 32 pages, en vente un mois, parait-il) me produit un effet mitigé. Cette lecture se fait, il faut dire, dans un contexte complexe, qui associe les cérémonies officielles (et leurs "gags" : j'ai éclaté de rire en voyant débouler Johnny H., sinistre ! Et puis "Le temps des cerises" chanté par le chœur des armées……… Et ces Légion d'Honneur attribuées à ceux qui ne peuvent même plus la refuser puisqu'ils sont morts… Et la messe à Notre Dame, oui, mais avec les Fémen comme enfants de chœur !)… la sortie du livre de Philippe Val. "C'était Charlie" (que je ne lirai pas) et du film "L'Humour à mort" (que je ne verrai pas, tant je crains d'y voir encore le dit Val s'étaler la larme à l'œil en compagnie de son complice Richard Malka)… mais aussi, (heureusement, même s'il est triste) la lecture du dernier bouquin de Cavanna, "Lune de miel", celle, complémentaire, du "Mohicans" de Denis Robert, et la vision, tout aussi complémentaire, du film du même Denis Robert sur le même Cavanna… sans omettre quelques docus télévisuels souvent répétitifs diffusés ces derniers temps.
"Souvent répétitifs", c'est peu dire : "Les Réseaux de la haine", les cités, le djihad – ceux qui en sont revenus, les hauts et les bas de la guerre en Syrie-Irak, "Les Visages de la terreur"… accumulation qui culmine le 5 janvier avec "Janvier 2015, Paris face à la terreur", "Charlie 712", "D'un 11 septembre à l'autre", "Paris est une cible", "Les Armes des djihadistes", "La Chambre vide", "La Caricature, tout un art !", "Fini de rire"… mais surtout et heureusement, le très beau : "Du côté des vivants" de David André. Suivront, le 6, "Charlie, le rire en éclat", "Engrenage", "La France face au terrorisme", "Charlie : un an après, ils racontent", "De Charlie au 13 novembre : comment les attentats ont changé la France", et le 7, "C'est dur d'être aimé par des cons", que j'évitai pour les mêmes raisons valiennes que j'ai déjà notées plus haut. Sans compter que je n'avais pas du tout aimé cette fameuse couverture ; un de ces jours j'essayerai d'expliquer pourquoi. J'ajoute que bien entendu je n'ai pas regardé tout ça, parfois il vaut mieux revoir "Peggy Sue got married", "Looper", "Haute voltige" ou "Fenêtre secrète"… sans oublier un docu (prémonitoire) sur David Bowie… Et encore, plus récemment, le sympa "À la recherche de Bernard Maris".
Tout ceci est assez éprouvant. Sur Cavanna, à travers son bouquin comme à travers celui de Denis Robert et le film… la tristesse de l'âge et de la maladie, les souvenirs durs, très durs, du STO en Allemagne, et l'amertume liée à l'histoire de Hara Kiri, Charlie Hebdo, etc., (« L'histoire de la dilapidation d'un héritage. Une histoire tumultueuse, magnifique, triste et honteuse », dit Denis Robert), la brouille avec Choron, les magouilles sordides de Val et les positions ambigües de quelques autres (Cabu ?!). Si ça me touche tellement, comme leur assassinat m'a déchiré, c'est que ces journaux et ces gens ne faisaient pas simplement partie du paysage, ils étaient pour moi essentiels. Sans jamais y participer, j'ai toujours vécu, depuis le tout début, avec ces journaux, donc avec ces gens. Je ne les ai jamais côtoyés, seulement croisé certains au hasard des festivals, mais c'étaient "mes copains", des voix familières avec qui je discutais chaque semaine en mon for intérieur… Et avec qui je me disputais parfois car je n'étais (ne suis) pas forcément d'accord avec eux. Mais si je fais maintenant du dessin de presse, et l'état d'esprit dans lequel je le fais, c'est bien à eux que je le dois, y compris et peut-être encore plus, ceux d'avant, morts "de mort naturelle", Gébé, Reiser, Choron, Cavanna…
Quant aux morts assassinés, il faudra bien que je dise mon amour et ma reconnaissance à Wolinski, à Tignous, à Charb (non sans quelques réticences), à Cabu dont j'admirais plus le génie de la caricature (au sens propre) que l'humour – quelque peu défaillant ces dernières années, à Honoré pour ses qualités graphiques, sa capacité à récupérer et détourner les photos de presse, et, hors dessin, Oncle Bernard – inconditionnellement (encore que son admiration pour l'œuvre de Houellebeck ne m'ait pas convaincu de lire ce dernier…) Merci aussi à Mustapha Ourrad, grâce à qui il n'y avait dans le journal ni fautes de français, ni fautes d'orthographe, ni coquilles, seulement des couilles.
Quant aux blessés et survivants, passés entre les balles ou simplement pas là ce jour-là je cite plus loin Nicolino, mais il y a aussi Riss, bien sûr, nouveau pilier (non sans quelques réticences aussi de ma part), et surtout Lançon, modèle de culture, de qualité d'écriture, de sensibilité. Le récit semaine après semaine de sa réparation justifierait à lui seul la lecture du canard. Willem, Luz, Coco, Patrick Pelloux – inconditionnellement, le plus humain des êtres humains – et bien d'autres que j'identifie mal, sans doute parce qu'ils sont plus récents dans le journal ou parce que je ne les ai jamais vus…
Ce qui veut dire aussi que Charlie Hebdo n'a jamais été pour moi un canard juste pour rigoler ni un canard de "dessins avec des bites", ni une collection de couvertures provocatrices, ce à quoi s'arrêtent les illettrés et les tueurs. Ni "Le Hérisson" ni "L'Almanach Vermot", mais un canard à lire, pour ses opinions, ses prises de position et de bec, son contenu intellectuel et politique. Dans Charlie Hebdo, depuis toujours, je lis tout. Même, à l'époque, Val. Ses éditoriaux, j'appréciais une fois sur deux. Et pas pour des raisons d'intellectualisme qu'on lui met souvent sur le dos : moi aussi je suis fan de Spinoza : qu'on le cite, ça ne me fait pas peur. Plutôt sans doute pour des raisons politiques (le TCE, par exemple), et parce que je sentais que Cavanna et quelques autres ne l'aimaient pas (et réciproquement). Quand il a viré Siné, c'est devenu zéro, même si je n'étais (ne suis) pas forcément toujours d'accord avec le dit Siné. Zéro, ça veut dire que, comme bien d'autres, j'ai boycotté Charlie Hebdo jusqu'à ce qu'il se tire, le Val – bon débarras… et que j'ai proposé mes services de dessinateur à Siné Hebdo, entamant ainsi une nouvelle expérience qui me tentait depuis longtemps…
(à suivre)

3 commentaires:

WENS a dit…

C'est tellement étrange ce qui se passe avec Charlie que je comprends ton envie de t'exprimer là-dessus.
Je ne sais pas où ça va te mener : "à suivre", donc !
Bien vu ton dessin. Continuons à faire comme si le problème n'était pas LES religions, leurs haines leur obscurantisme, leur dogmes contraignants...

Georges a dit…

Je suis quand même obligé de rappeler que le problème n'est pas les religions, mais le fait d'amalgamer aux Adorateurs de la Destruction qui se font passer pour des croyants ceux qui, parfois même de façon non extrémiste, c.a.d. compatible avec la laïcité(et c'est hélas d'autant plus rare que l'amalgame fonctionne aussi à l'intérieur de la communauté des croyants pour les obliger à prendre la position fanatique sous peine d'être exclus). Comme tous les tracts qui prétendent exclure de la laïcité une croyance, ce dessin a pour objet numéro un d'obliger à choisir entre laïcité anti-religieuse et religion extrémiste, et de détruire la possibilité de moyen terme. Moyen terme qu'il avait fallu cinquante ans pour faire apparaître chez les chrétiens, autrefois (au début du siècle précédent) aussi extrémistes que les musulmans, et qui, avant ce rejet, commençait à apparaître chez les musulmans. Et que, honnêtement, je vois disparaître de plus en plus vite, aussi bien chez les chrétiens et les juifs d'ailleurs. Encore quelques mois et il ne restera plus de possibilité pour la laïcité, c.a.d. la croyance religieuse sans fanatisme.

Georges a dit…

J'ajoute qu'il est hélas tout à fait effectif que, progressivement, la burqa, le rejet du porc et celui de l'alcool, sont devenus indispensables à la survie de tous ceux qui auraient voulu croire de façon privée. La faute, d'abord, aux salafistes; mais aussi à ce rejet...