dimanche 22 mai 2016

Bullit


La mise en scène, ça tient essentiellement à « l'art de trouver à chaque plan la place idéale de la caméra ». (Aurélien Ferenczi à propos de Polanski.)
« Dans la série télé, la mise en scène court après le scénario… » (J.B.Thoret). Du cinéma, on exige d'avantage, formellement, et même que la mise en scène suscite le scénario. Ou que la mise en scène raconte l'histoire et non l'illustre.
(J'aime bien quand les critiques de cinéma parlent d'autre chose que de l'histoire et des acteurs… parlent de plans, de cadre, de montage… de cinéma, quoi.)
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Je revois "Bullit" de Peter Yates (1968) et je me dis « la mise en scène est drôlement belle ». Pas seulement efficace ou impressionnante, mais belle. Et je ne sais pas très bien ce que ça veut dire, car il n'y a rien de spécial dans les angles, les cadrages, la lumière, la couleur, le mouvement, le montage. Rien d'exceptionnel dans chacun de ces domaines. Donc ce qui est beau, ce n'est pas l'un ou l'autre des éléments de la mise en scène, mais la mise en scène elle-même, la réalisation, c'est-à-dire la manière dont tous ces éléments sont agencés pour aboutir à une presque parfaite fluidité, presque parfaite lisibilité.
Une pure forme. Brillante.
Et pourtant on en a vu, depuis, des poursuites en bagnole à fond la caisse et montées comme des ânes, au point que celle de "Bullit", archétype d'un genre, semble pépère… et pourtant tellement évidente d'efficacité. Et puis la ville de San Francisco… La musique de Lalo Schiffrin. Le charisme de Steve McQueen…
D'accord, il y a quand même quelques trucs voyants : un plan où la caméra "passe à travers un mur", des coups de zoom (c'était nouveau) des perturbations de la perspective, de la profondeur, soit contrariée soit accentuée, question de focale.
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J'ai du écrire ça il y a deux ou trois ans. En revoyant le film, là maintenant en 2016, je me dis que oui, cette mise en scène est drôlement belle, un brio, une élégance faite de travellings fluides, de jeux de profondeur, de jazz cool (une flute "féminine"). Et la sobriété dans l'emploi de la musique : la fameuse poursuite automobile est sans musique du tout ! (Imaginez ce qu'on ferait maintenant de tonitruant… ou cette invasion de boucles rythmiques partout dans les films et les séries, artifice basique pour faire monter la tension). Cette fluidité est comme en accord avec les grosses bagnoles américaines de l'époque, qui flottent comme des bateaux… la caméra semble montée sur les mêmes suspensions, elle est d'ailleurs souvent embarquée. Pas de mouvements de grue gigantesques. On reste dans l'horizontale, à hauteur humaine autant qu'à hauteur automobile.
Avec ça, le charme un peu anxieux de Jacqueline Bisset, des filles en mini-robes et bottes de cuir mais pas d'hommes en pattes-d'ef… Ouf… Pas de téléphones portables qui raccourcissent le temps et interrompent les conversations au moment opportun-importun… Dans l'aéroport, on voit des bonnes sœurs mais pas de femmes voilées… (Et le méchant est monté à bord d'un avion avec un révolver sur lui !)
Et tout finit à la course sous le ventre des avions. (Comme plus tard, sauf erreur, dans "Heat", de Michaël Mann, 1996…)


Paru dans Psikopat

4 commentaires:

Georges a dit…

Juste une remarque sur ton dessin, Philippe: tu confonds l'industrie, c.a.d. les moyens techniques, et le Capitalisme, l'argent. Que le Capitalisme se soit emparé de l'industrie comme un virus pervertit le corps qu'il infecte n'autorise pas à accuser l'industrie des méfaits dont elle est, elle aussi, victime.

Philippe Caza a dit…

Quand on dit "l'industrie", ce n'est pas seulement les moyens techniques, c'est "le monde de l'industrie". Il n'y a pas d'industrie sans capital(isme), peu importe qu'elle soit née avant et ait été parasitée par OU que le capitalisme l'ait créée… OU même que l'industrie est généré le capitalisme dans une sorte d'enchainement inéluctable.

Autrement, je croyais que la phrase était une citation (de JLG, par exemple), et non… en tout cas je ne l'ai pas retrouvée. En première approximation, j'ai trouvé cette citation (très ambigüe)de Jen Anouilh : « Le cinéma est une industrie. Malheureusement, c'est aussi un art.»

Par ailleurs, on parle de "l'industrie du cinéma", essentiellement en référence à Hollywood.

Georges a dit…

Je sais très bien ce qu'on dit, et c'est justement à cette assimilation qui revient à faire porter au malade la culpabilité de la maladie, comme on fait aux "sidaïques", que je me suis attaqué.

Philippe Caza a dit…

Je me corrige : OU même que l'industrie ait généré…