mardi 29 novembre 2016

Système d'exploitation, langage symbolique, idéalisme… (des trucs en vrac, quoi…)

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John Stuart Mill disait que le devoir de l'État n'est pas la providence (une sorte de charité qui perpétue la soumission), ni de fournir des emplois. Pour lui, l'État devait promouvoir les vertus de l'homme indépendant. Donc le libéralisme.
L'État libéral (libéraliste) serait un logiciel sans contenu. Une pure structure structurante. Sans contenu, donc sans morale. Soit le libéralisme – qui ne promettait rien d'autre que l'autonomie, l'émancipation des individus (avec son bon côté : l'autogestion). L'ennui, c'est que ce sont toujours les plus méchants qui s'emparent des principes structurants sans contenu et sans morale et qui imposent le contenu(*). C'est ainsi que le libéralisme est « devenu le bras armé du capitalisme, le socle idéologique de sociétés inégalitaires et aliénantes. » (John Dewey)
(*) Rappelez-vous l'aventure de l'intelligence artificielle Tay, en mars 2016, logiciel sans contenu qui s'est fait manipuler par les plus méchants et les plus cons et a proféré sur Twitter des messages dignes de Donald Trump. D'ailleurs, on peut soupçonner Trump d'être un pur logiciel sans contenu, une émanation de Tay qui capte des mots-clés racistes et sexistes qui passent et compose des phrases avec, au hasard…)
On peut plutôt voir ou revoir "Her" (Spike Jonze, 2014), avec Joachin Phoenix amoureux de l'O.S. (système d'exploitation) de son ordi, lequel se nomme Samantha et parle (et rit) avec la voix de Scarlett Johansson (son meilleur rôle, puisqu'on ne la voit pas, et surtout pas en superhéroïne).
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Le langage symbolique est partout, bien à tort. On dit ainsi que, à Charlie, les djihadistes se sont "attaqués à la liberté" (d'expression), à l'Hypercacher ils se sont "attaqués à l'égalité", au Bataclan à "la fraternité". Et pourquoi pas aussi, aux terrasses, "à la convivialité, à Nice à la festivité de l'estivalité…?"
Non. Ils ont tué des gens.
On nous parle d'intolérance, de racisme, de haine, de violence. Mais tout ça n'existe pas : il n'y a que des gens intolérants, racistes, haineux, violents. Et des gens victimes de ces gens intolérants, racistes, haineux, violents.
Nous sommes (en particulier les Français) dans les idées. Culture nourrie de platonisme et de christianisme ("le platonisme pour le peuple", dixit Nietzsche). Le Mal, le Bien, la Paix : Idées à majuscule… on adore.
D'ailleurs, les Charlie ne "défendaient pas la liberté d'expression", ne se battaient pas pour la liberté d'expression. Ils exerçaient la liberté d'expression disponible, celle qui ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. Ils pratiquaient la possibilité concrète d'exprimer des opinions, des critiques, des moqueries, même parfois des insultes… de s'exprimer contre tel gouvernement ou gouvernant, telle religion (toutes), tel parti ou homme politique, tel personnage public, vedette ou autre, de goitre comme de drauche. Ce n'est qu'à partir du moment où on les a attaqués (procès, insultes, violences, meurtres) qu'ils sont devenus des symboles pour le monde, décorés chantres de la liberté d'expression, allégorisés, et, partant, contraints et forcés d'assumer ce rôle… à leur corps défendant (l'expression sonne tragiquement juste). Pourtant, non, ils n'ont pas "sacrifié leur vie" pour la liberté d'expression (quelle formule horrible issue encore de la religion et de l'héroïsme mirlitaire !). L'idéal, l'idéalisme, l'idéologie, la folie sacrificielle, était bien loin d'eux. (On dit ça des djihadistes kamikazes, que ce sont des idéalistes !)
J'écris au passé parce que je pense encore aux assassinés de janvier. Mais ceux et celles qui les remplacent et les prolongent sont bien vivants et continuent à pratiquer activement la liberté d'expression. Avec sans doute un poids nouveau sur le dos. L'ombre de l'assassin à kalachnikov qui vous surprend à caricaturer le prophète pèse plus que l'ombre du pion qui vous surprenait à caricaturer le prof', au collège. Doit-on se radicaliser pour autant ?
— Tu t'inclus ou tu t'exclus ? Parce que, si je ne m'abuse, tu pratiques aussi le dessin et le texte "de presse" et souvent politiquement et religieusement incorrect, acerbe voire cru.
— Actuellement, j'avoue que je n'y arrive plus. Lassitude, trouille, àquoibonisme… quelque chose s'est cassé, oui, avec les attentats et leur répétition. Et puis l'âge et d'autres occupations plus personnelles qui font que je n'ai plus d'énergie à consacrer à insulter des gens que je méprise… et là je parle autant des ci-dessus cités djihadistes que des sarkos et sarkosistes, juppés et jupettes, trumps et trumpettes, fillons et fions.
— Tu y arrives quand même un peu, on dirait.
— Ouais, les mots viennent tout seuls. Des dessins, des gags, c'est une autre affaire.
— Pourtant, le fameux rire de résistance…
— …N'est qu'un rire d'impuissance. Tant qu'on est capable de faire de l'humour on ne monte pas les faux à l'envers pour prendre la bastille.